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les visions des réalités, et étant accoutumés à les prendre pour des signes, Dieu lui parla fort intelligiblement en lui disant, que ces os étaient la maison d'Israël1; c'est-à-dire qu'ils la signifiaient.

Voilà les préparations certaines; et comme on ne voit pas d'autres exemples où l'on convienne que l'on ait donné au signe le nom de la chose signifiée, que ceux où elle se trouve, on en peut tirer cette maxime de sens commun; que l'on ne donne aux signes le nom des choses, que lorsqu'on a droit de supposer qu'ils sont déjà regardés comme signes, et que l'on voit dans l'esprit des autres qu'ils sont en peine de savoir, non ce qu'ils sont, mais ce qu'ils signifient.

Mais comme la plupart des règles morales ont des exceptions, on pourrait douter s'il n'en faudrait point faire une à celle-ci en un seul cas; c'est quand la chose signifiée est telle, qu'elle exige en quelque sorte d'être marquée par un signe : de sorte que, sitôt que le nom de cette chose est prononcé, l'esprit conçoit incontinent que le sujet auquel on l'a joint est destiné pour la désigner. Ainsi, comme les alliances sont ordinairement marquées par des signes extérieurs, si l'on affirmait le mot d'alliance de quelque chose extérieure, l'esprit pourrait être porté à concevoir qu'on l'affirmerait comme de son signe de sorte que, quand il y aurait dans l'Écriture que la Circoncision est l'alliance, peutêtre n'y aurait-il rien de surprenant, car l'alliance porte l'idée du signe sur la chose à laquelle elle est jointe : et ainsi, comme celui qui écoute une proposition conçoit l'attribut et les qualités de l'attribut avant qu'il en fasse l'union avec le sujet, on peut supposer que celui qui entend cette proposition, la Circoncision est l'alliance, est suffisamment préparé à concevoir que la Circoncision n'est alliance qu'en signe, le mot d'alliance lui ayant donné lieu de former cette idée, non avant qu'il soit prononcé, mais avant qu'il fût joint dans son esprit avec le mot de Circoncision.

J'ai dit que l'on pourrait croire que les choses qui exigent, par une convenance de raison, d'être marquées par des signes, se

1. Ezéchiel, xxXVII.

raient une exception de la règle établie, qui demande une préparation précédente qui fasse regarder le signe comme signe, afin qu'on en puisse affirmer la chose signifiée, parce que l'on pourrait croire aussi le contraire: car 1o cette proposition, la Circoncision est l'alliance, n'est point dans l'Écriture, qui porte seulement Voici l'alliance que vous observerez entre vous, votre postérité et moi : Tout mále parmi vous sera circoncis1. Or, il n'est pas dit dans ces paroles que la Circoncision soit l'alliance, mais la Circoncision y est commandée comme condition de l'alliance. Il est vrai que Dieu exigeait cette condition, afin que la Circoncision fût signe de l'alliance, comme il est porté dans le verset suivant : Ut sit in signum fœderis, mais afin qu'elle fût signe, il en fallait commander l'observation, et la faire condition de l'alliance, et c'est ce qui est contenu dans le verset précédent.

2o Ces paroles de saint Luc: Ce calice est la nouvelle alliance en mon sang, que l'on allègue aussi, ont encore moins d'évidence pour confirmer cette exception; car, en traduisant littéralement, il y a dans saint Luc: Ce calice est le nouveau testament en mon sang. Or, comme le mot de testament ne signifie pas seulement la dernière volonté du testateur, mais encore plus proprement l'instrument qui la marque, il n'y a point de figure à appeler le calice du sang de Jésus-Christ, testament, puisque c'est proprement la marque, le gage et le signe de la dernière volonté de Jésus-Christ, l'instrument de la nouvelle alliance.

Quoi qu'il en soit, cette exception étant douteuse d'une part, et étant très-rare de l'autre, et y ayant très-peu de chose qui exigent d'elles-mêmes d'être marquées par des signes, elles n'empêchent pas l'usage et l'application de la règle à l'égard de toutes les autres choses qui n'ont pas cette qualité, et que les hommes n'ont point accoutumé de marquer par des signes d'institution. Car il faut se souvenir de ce principe d'équité, que la plupart des règles ayant des exceptions, elles ne laissent pas

1. Genèse, XVII.

2. S Luc, XXII, 20.

d'avoir leur force dans les choses qui ne sont point comprises dans l'exception.

C'est par ces principes qu'il faut décider cette importante question, si l'on peut donner à ces paroles, ceci est mon corps, le sens de figure; ou plutôt, c'est par ces principes que toute la terre l'a décidée, toutes les nations du monde s'étant portées naturellement à les prendre au sens de réalité, et en extraire le sens de figure; car les apôtres ne regardant pas le pain comme un signe, et n'étant point eu peine de ce qu'il signifiait, JésusChrist n'aurait pu donner aux signes le nom des choses, sans parler contre l'usage de tous les hommes, et sans les tromper: ils pouvaient peut-être regarder ce qui se faisait comme quelque chose de grand; mais cela ne suffit pas.

Je n'ai plus à remarquer sur le sujet des signes, auxquels l'on donne le nom des choses, sinon qu'il faut extrêmement distinguer entre les expressions où l'on se sert du nom de la chose pour marquer le signe, comme quand on appelle un tableau d'Alexandre du nom d'Alexandre, et celles dans lesquelles le signe étant marqué par son nom propre, ou par un pronom, on en affirme la chose signifiée; car cette règle, qu'il faut que l'esprit de ceux à qui on parle regarde déjà le signe comme signe, et soit en peine de savoir de quoi il est signe, ne s'entend nullement du premier genre d'expressions, mais seulement du second, où l'on affirme expressément du signe de la chose signifiée; car on ne se sert de ces expressions que pour apprendre à ceux à qui l'on parle ce que signifie ce signe, et on ne le fait en cette manière que lorsqu'ils sont suffisamment préparés à concevoir que le signe n'est la chose signifiée qu'en signification et en figure.

CHAPITRE XV.

De deux sortes de propositions qui sont de grand usage dans les sciences, la division et la définition, et premièrement de la division.

Il est nécessaire de dire quelque chose en particulier de deux sortes de propositions qui sont de grand usage dans les sciences, la division et la définition.

La division est le partage d'un tout en ce qu'il contient.

Mais comme il y a deux sortes de tout, il y a aussi deux sortes de divisions. Il y a un tout composé de plusieurs parties réellement distinctes, appelé en latin totum, et dont les parties sont appelées parties intégrantes. La division de ce tout s'appelle proprement partition; comme quand on divise une maison en ses appartements, une ville en ses quartiers, un royaume ou un État en ses provinces, l'homme en corps et en âme, le corps en ses membres. La seule règle de cette division est de faire des dénombrements bien exacts et auxquels il ne manque rien.

L'autre tout est appelé en latin omne, et ses parties, parties subjectives ou inférieures, parce que ce tout est un terme commun, et ses parties sont les sujets compris dans son étendue. Le mot d'animal est un tout de cette nature, dont les inférieurs, comme homme et béte, qui sont compris dans son étendue, sont les parties subjectives. Cette division retient proprement le nom de division, et on en peut remarquer de quatre sortes.

La 1re est quand on divise le genre par espèces : Toute substance est corps ou esprit; tout animal est homme ou béte.

La 2o est quand on divise le genre par ses différences : Tout animal est raisonnable ou privé de raison; tout nombre est pair ou impair; toute proposition est vraie ou fausse; toute ligne est droite ou courbe.

La 3e quand on divise un sujet commun par les accidents propres dont il est capable, ou selon ses divers inférieurs, ou en

divers temps, comme : Tout astre est lumineux par soi-même, ou seulement par réflexion; tout corps est en mouvement ou en repos; tous les Français sont nobles ou roturiers; tout homme est sain ou malade; tous les peuples se servent pour s'exprimer, ou de la parole seulement ou de l'écriture outre la parole.

La 4o d'un accident en ses divers sujets, comme la division des biens en ceux de l'esprit et du corps.

Les règles de la division sont : 1o qu'elle soit entière, c'est-àdire que les membres de la division comprennent toute l'étendue du terme que l'on divise, comme pair et impair comprennent toute l'étendue du terme de nombre, n'y en ayant point qui ne soit pair ou impair. Il n'y a presque rien qui fasse faire tant de faux raisonnements que le défaut d'attention à cette règle; et ce qui trompe est qu'il y a souvent des termes qui paraissent tellement opposés, qu'ils semblent ne point souffrir de milieu, et qui ne laissent pas d'en avoir. Ainsi, entre ignorant et savant, il y a une certaine médiocrité de savoir qui tire un homme du rang des ignorants, et qui ne le met pas encore au rang des savants. Entre vicieux et vertueux, il y a aussi un certain état dont on peut dire ce que Tacite dit de Galba, magis extra vitia, quam cum virtutibus ; car il y a des gens qui, n'ayant point de vices grossiers, ne sont pas appelés vicieux, et qui, ne faisant point de bien, ne peuvent point être appelés vertueux, quoique devant Dieu ce soit un grand vice que de n'avoir point de vertu. Entre sain et malade, il y a l'état d'un homme indisposé ou convalescent entre le jour et la nuit, il Y le crépuscule entre les vices opposés, il y le milieu de la vertu, comme la piété entre l'impiété et la superstition; et quelquefois ce milieu est double. comme entre l'avarice et la prodigalité, il y a la libéralité, et une épargne louable: entre la timidité qui craint tout et la témérité qui ne craint rien, il y a la générosité qui ne s'étonne point des périls, et une précaution raisonnable, qui fait éviter ceux auxquels il n'est pas à propos de s'exposer.

1

La deuxième règle, qui est une suite de la première, est que les membres de la division soient opposés, comme pair, impair; rai

1. Hist., I, 49.

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