Images de page
PDF
ePub

trouver raison partout, dont quelques personnes font vanité, est un si mauvais caractère d'esprit, qu'il est beaucoup au-dessous de la bêtise.

C'est pourquoi tout l'avantage qu'on peut tirer de ces lieux se réduit au plus à en avoir une teinture générale, qui sert peutêtre un peu, sans qu'on y pense, à envisager la matière que l'on traite par plus de faces et de parties.

CHAPITRE XVIII.

Division des lieux en lieux de grammaire, de logique
et de métaphysique.

Ceux qui ont traité des lieux les ont divisés en différentes matières. Celle qui a été suivie par Cicéron dans les livres de l'Invention et dans le II livre de l'Orateur, et par Quintilien au V⚫ livre de ses Institutions, est moins méthodique, mais elle est aussi plus propre pour l'usage des discours du barreau, auquel ils la rapportent particulièrement. Celle de Ramus est trop embarrassée de subdivisions.

En voici une qui paraît assez commode, d'un philosophe allemand fort judicieux et fort solide, nommé Clauberg1, dont la Logique m'est tombée entre les mains, lorsqu'on avait déjà commencé à imprimer celle-ci.

1. Jean Clauberg, né à Chartres en 1625, mort en 1665, est un des esprits les plus distingués de l'école cartésienne Leibnitz a même poussé l'enthousiasme pour son mérite jusqu'à le placer au-dessus de Descartes. De toutes les parties de la philosophie, la logique est celle qu'il paraît avoir le plus cultivée. Je ne sache pas qu'on ait approfondi davantage la classification des erreurs et de leurs causes, la nature des opérations de l'âme, la théorie de la définition, et le sens réel ainsi que la nécessité et les avantages du doute cartésien. Les euvres de Clauberg ont été publiées à Amsterdam en 1691.

Les lieux sont tirés, ou de la grammaire ou de la logique, ou de la métaphysique.

Lieux de grammaire.

Les lieux de grammaire sont, l'étymologie, et les mots dérivés de même racine, qui s'appellent en latin conjugata et en grec παρώνυμα.

On argumente par l'étymologie, quand on dit, par exemple, que plusieurs personnes du monde ne se divertissent jamais à proprement parler; parce que se divertir, c'est se désappliquer des occupations sérieuses, et qu'elles ne s'occupent jamais sérieu

sement.

Les mots dérivés de même racine servent aussi à faire trouver des pensées.

Homo sum, humani nil a me alienum puto.
Mortali urgemus ab hoste, mortales.

Quid tam dignum misericordia quam miser ?

Quid tam indignum misericordia quam superbus miser?

Qu'y a-t-il de plus digne de miséricorde qu'un misérable? Et qu'y a-t-il de plus indigne de miséricorde qu'un misérable qui est orgueilleux?

;

[ocr errors]

Lieux de logique.

Les lieux de logique sont les termes universels, genre, espèce, différence, propre, accident, la définition, la division; et comme tous ces points ont été expliqués auparavant, il n'est pas néces'saire d'en traiter ici davantage.

Il faut seulement remarquer que l'on joint d'ordinaire à ces lieux certaines maximes communes, qu'il est bon de savoir, non pas qu'elles soient fort utiles, mais parce qu'elles sont communes. On en a déjà rapporté quelques-unes sous d'autres termes; mais il est bon de les savoir sous les termes ordinaires.

1o Ce qui s'affirme ou se nie du genre, s'affirme ou se nie de

l'espèce. Ce qui convient à tous les hommes, convient aux grands; mais ils ne peuvent pas prétendre aux avantages qui sont audessus des hommes.

2o En détruisant le genre, on détruit aussi l'espèce. Celui qui ne juge point du tout, ne juge point mal; celui qui ne parle point du tout ne parle jamais indiscrètement.

3o En détruisant toutes les espèces, on détruit les genres. Les formes qu'on appelle substantielles (excepté l'âme raisonnable) ne sont ni corps, ni esprit; donc ce ne sont point des sub

stances.

4° Si l'on peut affirmer ou nier de quelque chose la différence totale, on en peut affirmer ou nier l'espèce. L'étendue ne convient pas à la pensée; donc elle n'est pas matière.

5o Si l'on peut affirmer ou nier de quelque chose la propriété, on en peut affirmer ou nier l'espèce. Étant impossible de se figurer la moitié d'une pensée, ni une pensée ronde et carrée, il est impossible que ce soit un corps.

6o On affirme ou on nie le défini de ce dont on affirme ou nie la définition. Il y a peu des personnes justes, parce qu'il y en a peu qui aient une ferme et constante volonté de rendre à chacun ce qui lui appartient.

Lieux de métaphysique.

Les lieux de métaphysique sont certains termes généraux convenant à tous les êtres auxquels on rapporte plusieurs arguments, comme les causes, les effets, le tout, les parties, les termes opposés. Ce qu'il y a de plus utile est d'en savoir quelques dívisions générales, et principalement des causes.

Les définitions qu'on donne dans l'École aux causes en général, en disant qu'une cause est ce qui produit un effet, ou ce par quoi une chose est, sont si peu nettes, et il est si difficile de voir comment elles conviennent à tous les genres de causes, qu'on aurait aussi bien fait de laisser ce mot entre ceux que l'on ne définit point, l'idée que nous en avons étant aussi claire que les définitions qu'on en donne.

Mais la division des causes en quatre espèces, qui sont la cause

finale, efficiente, matérielle et formelle, est si célèbre, qu'il est nécessaire de la savoir 1.

On appelle CAUSE FINALE la fin pour laquelle une chose est. Il y a des fins principales, qui sont celles que l'on regarde principalement, et des fins accessoires, qu'on ne considère que par surcroît.

Ce que l'on prétend faire ou obtenir est appelé finis cujus gratia. Ainsi, la santé est la fin de la médecine, parce qu'elle prétend la procurer.

Celui pour qui l'on travaille est appelé finis cui. L'homme est la fin de la médecine en cette manière, parce que c'est à lui qu'elle a dessein d'apporter la guérison.

Il n'y a rien de plus ordinaire que de tirer des arguments de la fin, ou pour montrer qu'une chose est imparfaite, comme à persuaqu'un discours est mal fait, lorsqu'il n'est pas propre der; ou pour faire voir qu'il est vraisemblable qu'un homme a fait ou fera quelque action, parce qu'elle est conforme à la fin qu'il a accoutumé de se proposer; d'où.vient cette parole célèbre d'un juge de Rome, qu'il fallait examiner avant toutes choses, cui bono, c'est-à-dire quel intérêt un homme aurait eu à faire une chose, parce que les hommes agissent ordinairement selon leur intérêt, ou pour montrer, au contraire, qu'on ne doit pas soupçonner un homme d'une action, parce qu'elle aurait été contraire à sa fin.

Il y a encore plusieurs autres manières de raisonner par la fin que le bon sens découvrira mieux que tous les préceptes; ce qui soit dit aussi pour les autres lieux.

LA CAUSE EFFICIENTE est celle qui produit une autre chose. On en tire des arguments, en montrant qu'un effet n'est pas, parce qu'il n'a pas eu de cause suffisante, ou qu'il est ou sera, en faisant voir que toutes ses causes sont. Si ces causes sont nécessaires,

1. Cette division célèbre appartient à Aristote qui l'a exposée dans plusieurs de ses ouvrages, et spécialement au livre I de la Métaphysique.

l'argument est nécessaire; si elles sont libres et contingentes, il n'est que probable.

Il y a diverses espèces de cause efficiente, dont il est utile de savoir les noms :

Dieu créant Adam était sa cause totale, parce que rien ne concourait avec lui; mais le père et la mère ne sont chacun que causes partielles de leur enfant, parce qu'ils ont besoin l'un de l'autre.

Le soleil est une cause propre de la lumière; mais il n'est cause qu'accidentelle de la mort d'un homme que sa chaleur aura fait mourir, parce qu'il était mal disposé.

Le père est cause prochaine de son fils.
L'aïeul n'en est que la cause éloignée.
La mère est une cause productive.

La nourrice n'est qu'une cause conservante.

Le père est une cause univoque à l'égard de ses enfants, parce qu'ils lui sont semblables en nature.

Dieu n'est qu'une cause équivoque à l'égard des créatures, parce qu'elles ne sont pas de la nature de Dieu.

[ocr errors]

Un ouvrier est la cause principale de son ouvrage; ses instruments n'en sont que la cause instrumentale.

L'airqui entre dans les orgues est une cause universelle de l'harmonie des orgues;

La disposition particulière de chaque tuyau et celui qui en joue, en sont les causes particulières qui déterminent l'univer selle.

Le soleil est une cause naturelle.

L'homme une cause intellectuelle à l'égard de ce qu'il fait avec jugement.

Le feu qui brûle du bois est une cause nécessaire.

Un homme qui marche est une cause libre.

Le soleil, éclairant une chambre, est la cause propre de sa clarté; l'ouverture de la fenêtre n'est qu'une cause ou condition sans laquelle l'effet ne se ferait pas, conditio sine qua non.

Le feu brûlant une maison, est la cause physique de l'embrasement; l'homme qui a mis le feu en est la cause morale.

On rapporte encore à la cause efficiente, la cause exemplaire,

« PrécédentContinuer »