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qu'il se trouve dans toutes les figures rectilignes, sera vrai de cet angle ainsi défini, sans qu'on soit jamais obligé de changer d'idée, ni qu'il se rencontre jamais aucune absurdité en substituant la définition à la place du défini; car c'est cet espace ainsi expliqué que l'on peut diviser en deux, en trois, en quatre; c'est cet espace qui a deux côtés entre lesquels il est compris; c'est cet espace qu'on peut terminer du côté qu'il est de soi-même indéterminé, par une ligne qu'on appelle base ou sous-tendante ; c'est cet espace qui n'est point considéré comme plus grand ou plus petit, pour être compris entre des lignes plus longues ou plus courtes, parce qu'étant indéterminé selon cette dimension, ce n'est point de là qu'on doit prendre sa grandeur et sa petitesse. C'est par cette définition qu'on trouve le moyen de juger si un angle est égal à un autre angle, ou plus grand ou plus petit: car, puisque la grandeur de cet espace n'est déterminée que par la partie proportionnelle d'une circonférence qui a pour centre le point où les lignes qui comprennent l'angle se rencontrent, lorsque deux angles ont pour mesure l'aliquote pareille chacun de sa circonférence, comme la dixième partie, ils sont égaux; et si l'un a la sixième, et l'autre la douzième, celui qui a la sixième est plus grand que celui qui a la douzième. Au lieu que, par la définition d'Euclide, on ne saurait entendre en quoi consiste l'égalité des deux angles; ce qui fait une horrible confusion dans ses éléments, comme Ramus a remarqué, quoique lui-même ne rencontre guère mieux.

Voici d'autres définitions d'Euclide, où il fait la même faute qu'en celle de l'angle. La raison, dit-il, est une habitude de deux grandeurs du même genre, comparées l'une à l'autre selon la quan tité; la proportion est une similitude de raisons 1.

Par ces définitions, le nom de raison doit comprendre l'habitude qui est entre deux grandeurs, lorsque l'on considère de combien l'une surpasse l'autre : car on ne peut nier que ce ne soit une habitude de deux grandeurs comparées selon la quantité ; et par conséquent, quatre grandeurs auront proportion ensemble, lorsque la différence de la première à la seconde est égale à la différence de la troisième à la quatrième. Il n'y a donc rien à dire

1. Eléments., lib. V, déf 3.

à ces définitions d'Euclide, pourvu qu'il demeure toujours dans ces idées qu'il a désignées par ces mots, et à qui il a donné les noms de raison et de proportion. Mais il n'y demeure pas, puisque, selon toute la suite de son livre, ces quatre nombres 3, 5, 8, 10, ne sont point en proportion, quoique la définition qu'il a donnée au mot de proportion leur convienne; puisqu'il y a entre le premier nombre et le second, comparés selon la quantité, une habitude semblable à celle qui est entre le troisième et le quatrième.

Il fallait donc, pour ne pas tomber dans cet inconvénient, remarquer qu'on peut comparer deux grandeurs en deux manières ; l'une, en considérant de combien l'une surpasse l'autre; et l'autre, de quelle manière l'une est contenue dans l'autre et come ces deux habitudes sont différentes, il fallait leur donner divers noms, donnant à la première le nom de différence, et réservant à la seconde le nom de raison. Il fallait ensuite définir la proportion, l'égalité de l'une ou de l'autre de ces sortes d'habitudes, c'est-à-dire de la différence ou de la raison; et, comme cela fait deux espèces, les distinguer ainsi par deux divers noms, en appelant l'égalité des différences proportion arithmétique, et l'égalité des raisons proportion géométrique; et parce que cette dernière est d'un usage beaucoup plus grand que la première, on pouvait encore avertir que lorsque simplement on nomme proportion, ou grandeurs proportionnelles, on entend la proportion géométrique, et que l'on n'entend l'arithmétique que quand on l'exprime. Voilà ce qui aurait démêlé toute cette obscurité et aurait levé toute équivoque.

Tout cela nous fait voir qu'il ne faut pas abuser de cette maxime, que les définitions des mots sont arbitraires; mais qu'il faut avoir grand soin de désigner si nettement et si clairement l'idée à laquelle on veut lier le mot que l'on définit, qu'on ne puisse s'y tromper dans la suite du discours, en changeant cette idée, c'està-dire en prenant le mot en un autre sens que celui qu'on lui a donné par la définition, en sorte qu'on ne puisse substituer la définition en la place du défini, sans tomber dans quelque absurdité.

CHAPITRE V.

que les géomètres semblent n'avoir pas toujours bien compris la différence qu'il y a entre la définition des mots et la définition des choses.

Quoiqu'il n'y ait point d'auteurs qui se servent mieux de la définition des mots que les géomètres, je me crois néanmoins ici obligé de remarquer qu'ils n'ont pas toujours pris garde à la différence que l'on doit metre entre les définitions des choses et les définitions des mots, qui est que les premières sont contestables, et que les autres sont incontestables; car j'en vois qui disputent de ces définitions de mots avec la même chaleur que s'il s'agissait des choses mêmes.

Ainsi l'on peut voir dans les commentaires de Clavius 1 sur Euclide, une longue dispute et fort échauffée entre Pelletier et lui, touchant l'espace entre la tangente et la circonférence, que Pelletier prétendait n'être pas un angle, au lieu que Clavius soutient que c'en est un. Qui ne voit que tout cela pouvait se terminer en un seul mot, en se demandant l'un à l'autre ce qu'il entendait par le mot angle?

Nous voyons encore que Simon Stevin 2, très-célèbre mathématicien du prince d'Orange, ayant défini le nombre: Nombre est cela par lequel s'explique la quantité de chacune chose, il se met ensuite fort en colère contre ceux qui ne veulent pas que l'unité soit nombre, jusqu'à faire des exclamations de rhéto

1. Clavius, savant mathématicien, né à Bamberg en 1581, mort Rome en 1612.

2. Simon Stevin a vécu dans la dernière partie du seizième siècle et le commencement du dix-septième. On lui doit d'importants travaux qui ont enrichi la statique et l'hydrostatique d'un grand nombre de découvertes. Il a aussi laissé quelques ouvrages, entre autres un traité d'arithmétique d'où sont tirés les passages cités par Arnauld.

rique, comme s'il s'agissait d'une dispute fort solide. Il est vrai qu'il mêle dans ce discours une question de quelque importance, qui est de savoir si l'unité est au nombre comme le point est à la ligne; mais c'est ce qu'il fallait distinguer pour ne pas brouiller deux choses très-différentes : et ainsi, traitant à part ces deux questions, l'une, si l'unité est nombre, l'autre, si l'unité est au nombre ce qu'est le point à la ligne, il fallait dire, sur la première que ce n'était qu'une dispute de mots, et que l'unité était nombre ou n'était pas nombre, selon la définition qu'on voudrait donner au nombre ; qu'en le définissant comme Euclide : Nombre est une multitude d'unités assemblées, il était visible que l'unité n'était pas nombre; mais que, comme cette définition d'Euclide était arbitraire, et qu'il était permis d'en donner une autre au nom de nombre, on pouvait lui en donner une comme est celle que Stevin apporte, selon laquelle l'unité est nombre. Par là la première question est vidée, et on ne peut rien dire, outre cela, contre ceux à qui il ne plaît pas d'appeler l'unité nombre, sans une manifeste pétition de principe, comme on peut voir en examinant les prétendues démonstrations de Stevin. La première est :

La partie est de même nature que le tout;

L'unité est partie d'une multitude d'unités :

Donc l'unité est de même nature qu'une multitude d'unités, et par conséquent nombre.

Cet argument ne vaut rien du tout; car, quand la partie serait toujours de la même nature que le tout, il ne s'ensuivrait pas qu'elle dût toujours avoir le même nom que le tout; et, au contraire, il arrive très-souvent qu'elle n'a point le même nom. Un soldat est une partie de l'armée, et n'est point une armée; une chambre est une partie d'une maison, et non point une maison; un demi-cercle n'est point un cercle; la partie d'un carré n'est point un carré. Cet argument prouve donc au plus que l'unité étant partie de la multitude des unités, a quelque chose de commun avec toute multitude d'unités, selon quoi on pourra dire qu'ils sont de même nature; mais cela ne prouve point qu'on soit obligé de donner le même nom de nombre à l'unité et à la multi

tude d'unités, puisqu'on peut, si l'on veut, garder le nom de nombre pour la multitude d'unités, et ne donner à l'unité que son nom même d'unité ou de partie du nombre.

La seconde raison de Stevin ne vaut pas mieux.

Si du nombre donné l'on n'óte aucun nombre, le nombre donné demeure :

Donc si l'unité n'était pas nombre, en ótant un des trois, le nom bre donné demeurerait, ce qui est absurde.

Mais cette majeure est ridicule, et suppose ce qui est en question; car Euclide niera que le nombre donné demeure, lorsqu'on n'en ôte aucun nombre, puisqu'il suffit, pour ne pas demeurer tel qu'il était, qu'on en ôte ou un nombre ou une partie du nombre, tel qu'est l'unité: et, si cet argument était bon, on prouverait de la même manière, qu'en ôtant un demi-cercle d'un cercle donné, le cercle donné doit demeurer, parce qu'on n'en a ôté aucun cercle.

Ainsi, tous les arguments de Stevin prouvent au plus qu'on peut définir le nombre en sorte que le mot de nombre convienne à l'unité, parce que l'unité et la multitude d'unités ont assez de convenance pour être signifiés par un même nom mais ils ne prouvent nullement qu'on ne puisse pas aussi définir le nombre en restreignant ce mot à la multitude d'unités, afin de ne pas être obligé d'excepter l'unité toutes les fois qu'on explipue des propriétés qui conviennent à tous les nombres, hormis à l'unité.

Mais la seconde question, qui est de savoir si l'unité est aux autres nombres comme le point est à la ligne, n'est point de même nature que la première, et n'est point une dispute de mot, mais de chose car il est absolument faux que l'unité soit au nombre comme le point est à la ligne, puisque l'unité ajoutée au nombre le fait plus grand, au lieu que le point ajouté à la ligne ne la fait point plus grande. L'unité est partie du nombre, et le point n'est pas partie de la ligne. L'unité ôtée du nombre, le nombre donné ne demeure point; et le point ôté de la ligne, la ligne donnée demeure.

Le même Stevin est plein de semblables disputes sur les définitions des mots, comme quand il s'échauffe pour prouver que

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