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de plus froid. Il ne semble pas que ce temple ait été fait pour loger des êtres assujétis aux nécessités de la vie : tout y est solennel et incommode. C'est l'argent et le labeur de la nation qui l'ont construit, comme c'est la France tout entière qui a fait sa langue; mais, ni dans l'édifice ni dans le langage de ceux qui l'habitent, rien ne rappelle celui qui pendant un siècle encore devait n'être rien, avant d'être tout. On voit dans les montagnes du Jura d'immenses forêts de sapins dont les masses sombres s'étagent sur les flancs des collines abruptes. Les arbres géants portent dans les nuages leurs cimes superbes et serrées. Les troncs droits et élancés sont nus, mais les rameaux des parties supérieures entrelacés et drus, interceptent la lumière et l'air : pas un arbuste ne peut vivre à l'ombre de ces redoutables colosses. Eux-mêmes se disputent les sucs d'un sol qu'ils épuisent, et font le combat de la vie. De maigres racines pour soutenir le faix écrasant du tronc et des branches. A chaque instant l'un d'eux, qui ne vit plus d'en haut, car il a été foudroyé, cesse de vivre par en bas et tombe; les plus robustes, c'est la cognée du bûcheron qui les abat. Ils n'ont pas de roi, autrement ils seraient l'image de cette société aristocratique qui sembla être la France si longtemps.

DESCARTES

Ce que Louis XIV a fait pour le cartésianisme.

Descartes hardiesse et prudence.

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La science universelle entre

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Caractère de

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Le cartésianisme dans la littérature du xviie siècle. de Descartes.

Il est bien difficile, pour ne pas dire impossible, de rattacher Descartes à cette époque qu'on est convenu d'appeler le siècle de Louis XIV. Il est né en 1596 et il est mort en 1650, bien avant le règne personnel du grand roi. De plus, la plus grande partie de sa vie s'est passée hors de France. Enfin, le gouvernement de Louis XIV ne s'est jamais occupé du cartésianisme que pour le condamner et le proscrire. Suivant l'usage, c'est à Rome d'abord que l'on fait prononcer la condamnation. En 1663, la Sacrée congrégation de l'Index donne le signal; aussitôt le conseil du roi, l'archevêque de Paris, ce scandaleux Harlay, les universités, les ordres religieux, tous les pouvoirs établis, tous les corps constitués, se lèvent et fulminent contre la philosophie nouvelle. De tous côtés sont lancées des défenses d'enseigner le cartésianisme. L'Université de Paris adresse une requête au Parlement en faveur d'Aristote, et contre l'audacieux novateur. Elle va jusqu'à demander l'exécution de ce fameux arrêt de 1624, qui condamnait à mort « ceux qui enseigneraient des doctrines contraires à celles des auteurs anciens et

approuvés. » Boileau, c'est-à-dire le bon sens, répondit par l'arrêt burlesque pour le maintien de la doctrine d'Aristote, et épargna au Parlement un ridicule qui demeura tout entier à l'Université. Elle dut se contenter des interdictions déjà prononcées, et de la satisfaction un peu sèche de faire terrasser la nouvelle doctrine par les malheureux candidats aux chaires de philosophie. On peut voir dans l'ouvrage si instructif de M. Bouillier (Histoire du Cartésianisme) le détail de ces persécutions odieuses et puériles. Le roi, absolument étranger à ces questions comme à tant d'autres, obéissait à ses confesseurs jésuites. Et d'ailleurs, la philosophie n'ajoutait rien à sa gloire, et elle apprenait à penser : cela suffisait bien pour la rendre suspecte. Rapprochement pénible, le cartésianisme réduit en France à se cacher, à se dissimuler, était accueilli avec enthousiasme dans tous les pays étrangers, et faisait presque partout la matière de l'enseignement.

Essayons d'abord de dégager des diverses biographies de Descartes les traits caractéristiques de sa physionomie.

Et d'abord, ce n'est pas un Breton, comme l'a prétendu M. Cousin qui se plaît à retrouver en lui une sorte de parenté intellectuelle et morale avec Pélage, Abélard, et sans doute aussi Châteaubriand et Lamennais, ces indisciplinés d'une si forte personnalité. C'est un Tourangeau : il est né dans la petite ville de La Haye, d'un père Tourangeau et d'une mère Poitevine 1. Sa famille était ancienne

1. M. Vapereau a montré que non-seulement il n'était pas Breton, mais que la coutume de Bretagne lui interdisait de l'être. (Voir Introduction au Discours de la méthode, libr. Hachette.)

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et noble. Il naquit chétif, et sa santé exigea toujours les plus grands ménagements. Il semble avoir été d'humeur douce, pacifique surtout, et tout disposé à bien des sacrifices pour conserver la paix. C'est par là qu'il réussit, non sans peine, à allier l'indépendance de pensée qui était son génie même, à toutes les soumissions extérieures que réclamait le soin de sa tranquillité. En un mot il n'est pas de ceux qui confessent leur foi sur des bûchers. Il fut élevé chez les jésuites de la Flèche et s'y lia avec Mersenne qui fut plus tard son correspondant ordinaire, son confident, le lien qui le rattachait à la société des savants. Bon élève, appliqué, consciencieux, il montra toujours une préférence marquée pour les mathématiques, à cause de la certitude absolue des résultats. Les belles lettres, et particulièrement l'éloquence, la poésie, l'histoire lui plaisaient médiocrement. Sorti du collége, il ne voulut pas, malgré les instances de sa famille, faire choix d'une carrière déterminée, et il se mit à voyager; dans quel but? Il nous l'apprend lui-même : « Je ne fis autre chose << pendant neuf ans, que rouler çà et là dans le monde, « tâchant d'y être spectateur plutôt qu'acteur dans les co«médies qui s'y jouent. » Cependant il porta les armes pendant deux années, au service de Maurice de Nassau (1619-1621), fit la campagne de Bohême, et entra avec l'armée victorieuse dans Prague. Cette terrible guerre de Trente ans qui commençait alors, semble l'avoir fort peu intéressé, et les spectacles qu'il eut sous les yeux lui laissèrent peu d'estime pour la noble profession des armes. « J'ai bien de la peine, dit-il, à lui donner place entre les << professions honorables, voyant que l'oisiveté et le liber<< tinage sont les deux principaux motifs qui y portent au

« jourd'hui la plupart des hommes. » Au reste, aucune des occupations auxquelles se livrent les hommes ne pouvait lui plaire. Dès cette époque même, et pendant qu'il roulait ainsi dans le monde, il avait trouvé le but de sa vie, ce but unique qui réclame et prend l'homme tout entier. Qu'est-ce auprès de cela que les agitations mesquines, la poursuite des biens, des places, des vanités dont on se repaît sans se rassasier jamais ? C'est à la recherche de la vérité que Descartes consacrera désormais son temps, sa fortune, toutes ses facultés. Dès l'année 1620, sa résolution est prise; il la porte en lui, il l'entretient, la nourrit sur les champs de bataille, sous la tente, au bivouac, dans ce poêle où il s'enferme pendant les longues veillées militaires. Et ce n'est pas un projet caressé dans la ferveur de l'âge il est déjà entré dans la voie qu'il doit suivre jusqu'au bout; il a déjà conquis les premiers principes de cette méthode si puissante, si féconde, que sa vie consacrée tout entière au travail, ne suffira pas à en recueillir les résultats. Il a raconté lui-même l'espèce d'éblouissement, d'enivrement où le jeta sa découverte. Sa puissante raison faillit y succomber : il était comme écrasé, anéanti sous les flots de lumière qui venaient l'assaillir, qui lui découvraient dans tous les sens des horizons infinis. Il ne pouvait plus en douter, il avait trouvé les fondements d'une science admirable (Mirabilis scientiæ fundamenta reperirem). A partir de ce moment, Descartes est un homme qui, se sentant chargé d'un dépôt précieux, divin, n'a plus qu'une idée, chercher un lieu qui fût digne de servir de berceau à la science nouvelle. Après avoir traversé l'Allemagne, il revient en France, y séjourne peu, se dirige vers la Hollande, s'y arrête, se met à l'œuvre.

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