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CONTRE

LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION D'INITIATIVE PARLEMENTAIRE

TENDANT AU REJET

DE LA PROPOSITION DE LOI ÉLECTORALE

PRÉSENTÉE

PAR MM. FERRY, GAMBETTA ET ARAGO

Prononcé le 29 mars 1870

AU CORPS LÉGISLATIF

Le 27 décembre 1869, MM. Jules Ferry, Gambetta et Emmanuel Arago avaient déposé sur le bureau du Corps légis

1. Nous croyons inutile de reproduire dans ce recueil les observations présentées par M. Gambetta, dans la séance du 14 janvier 1870, sur l'article 23 du projet de règlement; dans la séance du 22 mars 1870, pour demander le renvoi à l'examen des bureaux de la proposition de M,Jules Simon relative à l'abolition de la peine de mort, renvoi qui fut accordé ; dans la séance du 23 mars (discussion sur les conclusions de la commission d'initiative parlementaire au sujet de la proposition de M. de Kératry, sur le recrutement de l'armée), pour demander au Ministre de la Guerre s'il existait un écart appréciable entre la solde des sous-officiers de la ligne et celle des sous-officiers de la garde; dans la séance du 24 mars pour réclamer l'abrogation du décret-loi du 8 décembre 1857, relatif à des mesures de sûreté générale, en même temps que l'abrogation de la loi du 19 juillet 1852, abrogations demandées par M. Steenakers, acceptées par le Gouvernement et votées par la Chambre; dans la séance du 25 mars, pour demander de retarder de quelques jours le renvoi aux bureaux du projet de loi de Code rural, retard qui ne fut pas accordé ; dans la séance du 3 juin 1870, sur la nature du droit d'interpellation méconnu par le garde des sceaux.

latif une proposition de loi électorale en 96 articles, précédée d'un exposé des motifs. La proposition avait pour base la loi du 15 mai 1849. Ses auteurs demandaient :

1° De déclarer nulle, en principe, l'élection d'un candidat officiel, patronné ou publiquement recommandé par l'administration;

2o De frapper de peines correctionnelles les fonctionnaires de l'ordre administratif ou judiciaire, dépositaires de l'autorité publique, et les chefs de service qui interviendraient en cette qualité dans les élections pour patronner une candidature par voie d'affiches, lettres, circulaires, distributions de bulletins ou recommandations publiques, de quelque nature qu'elles fussent;

3o De limiter aux communes comptant au moins 300 électeurs le principe du vote à la commune; les communes de moins de 300 électeurs devant voter soit au chef-lieu du canton, soit avec la commune de 300 électeurs la plus voisine;

4o De rétablir le scrutin de liste, chaque département devant former une circonscription unique, à raison d'un député par 80,000 âmes;

5o De réduire à trois années la durée du mandat législatif.

Le projet fut renvoyé à la commission d'initiative parlementaire, qui conclut au rejet de l'ensemble du projet comme inopportun et inconstitutionnel. M. Bourbeau, dans un rapport sommaire, déclara que la commission avait fait preuve d'une grande modération en ne proposant pas la question préalable.

Le 29 mars, après avoir longtemps refusé de les inscrire à son ordre du jour, le Corps législatif se résigna à discuter les conclusions de la commission d'initiative.

Ce fut M. Jules Ferry qui prit la parole pour défendre le projet de loi « On l'a traité d'inconstitutionnel, dit l'orateur. Mais qu'est-ce alors que ce sénatus-consulte de 1866 qui prononce immuables, inattaquables, indiscutables les dispositions de la Constitution de 1852? On l'a traité d'inopportun. Mais que signifie cette objection, si ce n'est ceci : que la réforme électorale, c'est la dissolution, et que vous ne voulez pas de la dissolution! Et cependant il y a eu dans cette Chambre 126 membres de la majorité qui, dans le programme du centre droit, ont proclamé la nécessité d'une

réforme électorale opérée avant la fin de la législature! La vérité, c'est que la majorité actuelle du Corps législatif a peur du suffrage universel, c'est que la Chambre, bien qu'elle n'ait pas une année d'existence, est une Chambre vieille, une Chambre usée. Voter, n'est pas vivre, car vivre, c'est avoir une politique, c'est avoir un ministère pris, non pas dans la minorité, mais dans la majorité de la Chambre, ce qui n'est pas aujourd'hui. La Chambre n'a pas de gouvernement parlementaire : elle a un gouvernement ministériel, c'est-à-dire un gouvernement bâtard du gouvernement personnel, un cabinet maître de la Chambre, parce qu'il la tient sous la menace de la dissolution, et maître du Prince... tant qu'il plaira au Prince... »

M. Bourbeau, rapporteur, essaya de réfuter le discours de M. Jules Ferry, et se contenta de paraphraser longuement son propre rapport. M. Bethmont, membre de la minorité de la commission d'initiative, rappela spirituellement les déclarations précédentes de M. Daru et de M. Ollivier sur la nécessité d'une prompte réforme électorale. «Le gouvernement, dit M. Bethmont, ne sera cru sincère, malgré son désaveu des candidatures officielles dans la séance du 27 février, que s'il laisse faire les élections générales avec le système absolu de l'indépendance vraie et complète des électeurs vis-à-vis des candidats... La dissolution ne deviendra pas nécessaire, parce que la loi électorale aura été votée, mais la loi électorale est nécessaire aujourd'hui, parce que la dissolution l'est devenue. »

Le discours de M. Bethmont était une attaque directe contre M. Ollivier qu'il plaçait, à plusieurs reprises, en contradiction flagrante avec lui-même. Le garde des sceaux ne put se dispenser de monter à la tribune, mais après avoir annoncé qu'il irait droit au cœur du débat, il se déroba et recommença le panégyrique de son libéralisme, « de la conscience énergique et intrépide avec laquelle ses amis et lui essayaient de remplir leur devoir ». La droite applaudit le Ministre; les centres restèrent froids. M. Gambetta demanda la parole.

--

M. LE PRÉSIDENT MEGE. M. Gambetta a la parole. M. GAMBETTA. Messieurs, après la discussion qui vient de s'agiter devant vous, je demande la permis

sion de ramener le débat à une proposition plus modeste et à des proportions moins élevées que celles qu'il a affectées jusqu'ici. Non pas que je ne partage point les opinions, les doctrines qui vous ont été exposées tour à tour, et d'une façon si puissante et si éloquente, par mes honorables amis MM. Ferry et Bethmont; mais je crains que le débat se soit quelque peu égaré et que l'on ait, inconsciemment d'un côté, et, M. le garde des sceaux me permettra de le lui dire, avec infiniment d'art et trop d'habileté de l'autre, transporté l'attention de la Chambre sur ce qui n'est pas précisément en cause, sur la dissolution de cette assemblée, question purement politique, au lieu d'une question de législation qui vous est soumise par la commission d'initiative, et que je peux poser en ces

termes :

Quelle que soit l'opinion de chacun de nous, minorité ou majorité, sur l'opportunité ou l'inopportunité d'une dissolution, est-il convenable, est-il sérieux de ne pas faire un statut légal dans ce pays-ci pour les élections prochaines? Et suffit-il d'opposer aux revendications des députés qui réclament la confection d'une loi électorale, cette fin de non-recevoir, que dans certains esprits la dissolution s'associe à la confection de cette loi, pour ne pas faire la loi elle-même et pour ne pas assurer à ce pays et à cette assemblée un statut régulier électoral?

Je crois que si vous vouliez vous préoccuper uniquement de cette question, restreinte, je l'avoue, mais qui est la véritable question, alors vous comprendriez qu'il n'y a dans le renvoi aux bureaux aucune espèce de signification de dissolution, aucun péril à courir (Interruptions), aucun danger pour l'autorité de cette assemblée.

M. JOHNSTON.
M. GAMBETTA.

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M. Ferry a dit le contraire... Messieurs, je saisis très bien le sens de vos interruptions. Je ne me suis pas mis en

contradiction avec M. Ferry; je me place, pour discuter les conclusions de votre commission et pour demander le renvoi aux bureaux, sur un autre terrain, et je vous propose des raisons nouvelles, différentes, qui me semblent devoir légitimer la demande de renvoi que je vous adresse.

Je dis que l'on a associé, que l'on a soudé l'une à l'autre ces deux questions qui sont parfaitement divisées, parfaitement distinctes, savoir faire une loi électorale qui est réclamée de tous côtés et attacher la dissolution à la promulgation de cette loi.

Je soutiens qu'elle est réclamée de tous les côtés, et je remonte, pour le prouver, à l'origine même de nos pouvoirs. Il est incontestable qu'à travers tous les vœux, toutes les préoccupations de l'opinion, il y a une exigence qui domine toutes les autres, c'est la revision de la loi électorale et la substitution d'une législation à ce qui n'était qu'un décret de la période dictatoriale.

Une voix.

M. Ferry.

1

Vous êtes en

contradiction avec

M. GAMBETTA. — J'entends bien l'objection, Messieurs; je saisis bien que tout à l'heure le ministère disait : Oui, une loi est nécessaire; oui, les diverses parties de cette assemblée se sont mises d'accord pour en reconnaître la nécessité, mais nous sommes restés maîtres du jour, de l'heure, du moment opportun pour la rédaction et la discussion de cette loi. Et il ajoutait, non sans audace, qu'il avait devant lui un délai de cinq ans.

Eh bien, permettez-moi de vous dire que si cette parole est exacte, s'il est vrai que vous avez cinq ans devant vous pour faire une loi électorale, je dis que vous trahissez les volontés et les préoccupations de l'opinion publique. (Interruptions.)

Et je vais vous dire pourquoi. C'est que dans ce paysci il y a une chose capitale, fondamentale, à laquelle

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