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aussi ces changements et ces modifications que l'on a fait subir à la patrie française; il faut que vous veniez retremper vos propres pouvoirs dans l'élection ; revenez, car vous êtes sans titre, car vous êtes disqualifiés; vous aviez fait avec nous un contrat politique, un contrat synallagmatique; eh bien, l'objet, la substance de ce contrat sont changés, il s'agit de le renouveler. >>

Et si ce langage vous était tenu par le gouvernement, si le pouvoir exécutif le tenait lui-même, que feriez-vous? qui se plaindrait dans cette enceinte? Si, après le vote du sénatus-consulte, l'exécutif faisait appel au peuple, s'il voulait faire confirmer par un plébiscite l'ensemble des modifications nouvelles de la constitution, qui donc ne regretterait pas qu'on n'ait assuré au suffrage universel la sincérité et l'indépendance? (Très bien! à gauche.)

Eh bien, si cela est vrai, si cette situation est instante, si elle peut se produire demain, serait-il sage, serait-il politique, serait-il digne de votre esprit de conservation d'écarter plus longtemps ces solutions qui sont, permettez-moi de le dire, celles qui intéressent le plus l'avenir de la patrie, l'état de la France entière, car c'est une question d'État que je traite devant vous.

Il faut savoir si, oui ou non, vous vous refusez actuellement à donner satisfaction à l'opinion manifeste qui s'est déclarée depuis le 31 mai 1869. Refuserez-vous plus longtemps, sous prétexte qu'on vous demande un ajournement, qu'on allègue une inopportunité, à cause des embarras d'un ministère qui est chargé, je le sais, de préoccupations, mais qui ne devrait pas en connaître de plus grande que d'affranchir le suffrage universel devant lequel il doit se présenter comme un serviteur, et non point comme un temporisateur?

Voilà ce que je soutiens. Je crois que vous pou

vez mettre de côté l'hypothèse d'une dissolution. On vous l'a dit, vous trouverez dans votre énergie un frein contre les ministres, vous empêcherez la dissolution jusqu'au jour, et rien ne peut vous garantir à cet égard, jusqu'au jour où le chef de l'État voudra faire usage de sa prérogative; mais cette prérogative, qui l'a à sa disposition, qui peut répondre des surprises qu'elle nous réserve?

Est-ce que c'est le ministère ? Est-ce le Prince luimême ? Est-ce qu'il peut répondre du lendemain ? Évidemment non, puisque les évènements peuvent faire changer ses résolutions. Je dis donc que tant que vous êtes dans cette situation, à la discrétion d'un décret de dissolution, vous êtes, pour me servir. d'une expression romaine, in manu, et vous ne pouvez en sortir qu'en faisant la loi; et j'espère que vous la ferez, car vous la devez au pays. (Très bien! très bien ! à gauche.)

Voix nombreuses.

La clôture! la clôture!

La commission d'initiative concluait, comme on l'a vu, au rejet de la proposition de loi électorale présentée par MM. Ferry, Gambetta et Arago.

Le Corps législatif adopta ces conclusions, au scrutin public, par 184 voix contre 64.

DISCOURS

SUR

LE DROIT D'INTERPELLATION

(Mise à l'ordre du jour de l'interpellation de M. Grévy
sur le pouvoir constituant)

Prononcé le 30 mars 1870

AU CORPS LÉGISLATIF

Le 30 novembre 1869, M. Jules Favre, au nom de la gauche, avait déposé sur le bureau du Corps législatif la proposition suivante: «Article unique. Le pouvoir constituant appartiendra désormais exclusivement au Corps législatif. »

Quelques jours après, la commission d'initiative demanda la question préalable sur cette proposition jugée inconstitutionnelle.

Le 21 mars 1870, l'Empereur adressa au garde des sceaux une lettre officielle pour l'engager à préparer, de concert avec ses collègues, un projet de sénatus-consulte destiné à fixer « les dispositions qui découlent du plébiscite de 1852 », partager le pouvoir législatif entre les deux Chambres », et à restituer à la nation la part du pouvoir constituant qu'elle avait déléguée». « Dans les circonstances actuelles, disait l'Empereur, je crois qu'il est opportun d'adopter toutes les réformes que réclame le gouvernement constitutionnel de l'Empire, afin de mettre un terme au désir immodéré de changement qui s'est emparé de certains esprits et qui inquiète l'opinion en créant l'instabilité.

Dans la pensée de Napoléon III et de M. Ollivier, le sénatus-consulte de 1870 devait être à la Constitution de 1852 ce que l'acte additionnel avait été en 1815 à la Constitution de

l'an VIII. Le sénatus-consulte devait fonder l'Empire libéral; l'Empereur disait : « Amener la création d'un régime constitutionnel en harmonie avec les bases du plébiscite. >>

Le jour même où l'Empereur chargeait les ministres du 2 janvier de la confection d'un projet de sénatus-consulte, M. Grévy déposait sur le bureau du Corps législatif la demande d'interpellation suivante : « Les députés soussignés, considérant que la question préalable, proposée par la commission d'initiative sur leur proposition tendant à rendre aux représentants élus du pays le pouvoir constituant, nécessite, par voie d'interpellation, une discussion sur la restitution de ce pouvoir, demandent à interpeller le pouvoir à ce sujet. » La demande d'interpellation portait trente-trois signatures. Le Corps législatif décida d'attendre, pour porter la discussion de cette interpellation à son ordre du jour, que le texte officiel du sénatus-consulte fût rendu public.

Le sénatus-consulta fut présenté, le 28 mars, au Sénat par M. Émile Ollivier. Il portait que le Sénat partageait le pouvoir législatif avec l'Empereur et le Corps législatif, mais que tout projet d'impôt devait être d'abord voté par le Corps législatif (article 1er); que les ministres ne dépendaient que de l'Empereur et ne pouvaient être mis en accusation que par le Sénat (article 2); que la Constitution ne pourrait plus être modifiée que par le peuple sur la proposition de l'Empereur (article 5); que l'Empereur était responsable devant le peuple auquel il aurait toujours le droit de faire appel (article 13); que l'Empereur était le chef de l'État, qu'il commandait les forces de terre et de mer, déclarait la guerre, faisait les traités de paix, d'alliance et de commerce, nommait à tous les emplois, faisait les règlements et décrets nécessaires pour l'exécution des lois (article 14).

Le lendemain, 29 mars, M. Arago et M. Picard demandérent au Corps législatif de mettre à l'ordre du jour du 30 la discussion de l'interpellation sur le pouvoir constituant, ainsi que, la veille encore, cela avait été convenu entre M. Ollivier et les signataires de l'interpellation. Mais M. Ollivier avait parfois la mémoire très courte (il devait en donner une nouvelle preuve dans la séance du lendemain); et M. Picard avait à peine formulé sa demande, que le garde des sceaux s'élança à la tribune, nia qu'il eût jamais pris avec M. Grévy et ses collègues de l'opposition un engagement re

latif à leur interpellation, et déclara qu' « alors que le souverain, usant de son initiative, avait proposé constitutionnelment un sénatus-consulte et que ce sénatus-consulte était discuté devant le Sénat, le Cabinet ne pouvait pas accepter une discussion devant le Corps législatif; que, par conséquent, il demandait un ajournement indéfini de l'interpellation. » La gauche protesta avec énergie. « C'est une coufiscation humiliante du droit de la Chambre! » s'écria M. Gambetta. « C'est l'abdication de notre dignité, dit M. Arago, entre les mains du pouvoir personnel, qui semble aujourd'hui vouloir se diminuer et qui se constitue plus fort et plus insolent que jamais! » M. Grévy se leva en vain pour prendre la parole. M. Ollivier reparut à la tribune : « L'honorable M. Picard a raison, dit le ministre, nous sommes vos ministres en ce sens que nous n'avons le droit de conseiller le Souverain de parler au Sénat que si nous avons votre confiance. Eh bien! nous vous demandons, comme acte de confiance, de repousser l'interpellation : si vous l'accueillez, nous cesserons aussitôt d'être vos ministres. >> On vota sur l'ajournement indéfini demandé par le garde des sceaux: il rallia 196 voix contre 46.

Pourtant, M. Ollivier ne triompha que pendant vingt-quatre heures: il avait oublié, et le Corps législatif avait oublié, avec lui et avec son président M. Mège, que le vote d'ajournement indéfini était contraire au règlement qui disposait comme suit : « Une interpellation étant déposée, le Gouvernement doit être entendu; puis, dans la même séance ou dans une séance suivante, la date de la discussion est fixée. » Ce fut M. Jules Favre qui, dans la séance du mercredi 30 mars, se chargea de rappeler à M. Ollivier les articles 33 et 34 du règlement. Assez embarrassé, cherchant à nier qu'il eût demandé la veille un ajournement indéfini, le garde des sceaux finit par dire : « Lundi, quand je me serai concerté avec l'Empereur et avec mes collègues, je vous dirai ce que je dois répondre à votre question. »>

M. Gambetta demande la parole.

M. GAMBETTA.

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Messieurs, les questions de règlement sont des questions sur lesquelles l'Assemblée a un pouvoir souverain d'interprétation, et, en même

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