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DISCOURS

SUR

UNE PROPOSITION DE LOI TENDANT A ORGANISER LA PROCÉDURE DU VOTE PLEBISCITAIRE

Prononcé le 12 avril 1870

AU CORPS LÉGISLATIF

Dans la séance du 9 avril, à la suite du dépôt par M. Barthélemy Saint-Hilaire d'une proposition sur l'organisation du scrutin plébiscitaire, M. Ollivier avait déclaré que le Gouvernement considérait que les règles applicables en matière électorale ne régissent pas nécessairement la période plébiscitaire qui a un caractère spécial. M. Gambetta s'était immédiatement rallié à cette opinion du garde des sceaux et le Journal officiel reprodusait l'échange suivant de paroles entre le ministre et le député :

M. GAMBETTA. — Je partage cette opinion du ministre de la justice, que les règles ordinaires de la matière électorale ne s'appliquent pas à la matière plébiscitaire que je voudrais absolument libre, et je prends acte de la déclaration qui a été faite. Seulement, afin de bien préciser la nature de la réponse qui vient d'être donnée sur le délai de discussion préalable au scrutin

plébiscitaire, je demande à M. le garde des sceaux de vouloir bien spécifier si, oui ou non, ce délai sera plus considérable qu'en matière électorale: première question.

Et secondement si, en outre de cette déclaration, que les règles ordinaires ne seront pas appliquées quand il s'agira du plébiscite, on pourra se réunir pendant les cinq derniers jours précédant le vote, que l'honorable M. Picard appelait spirituellement la retraite du peuple?

Voilà les deux questions auxquelles je prie l'honorable garde des sceaux de répondre.

M. LE GARDE DES SCEAUX. Sur la seconde question, je ne puis pas répondre, parce que nous n'avons pas délibéré. Je puis répondre sur la première, parce que nous avons pris un parti.

Non, la période plébiscitaire ne sera pas plus longue que la période électorale ordinaire; au contraire, elle sera plus courte. (Mouvement.)

Notre raison est qu'il serait impolitique de laisser le pays pendant un temps trop long dans l'incertitude naturelle qui résulte d'un vote sur une question constitutionnelle.

La réponse, je l'espère, paraîtra claire. (Très bien! très bien!)

La réponse du garde des sceaux à M. Gambetta était claire, mais la gauche la considéra comme insuffisante et comme étant en contradiction flagrante avec les précédentes déclarations du Cabinet. Aussi, le 12 avril, M. Gambetta déposait sur le bureau du Corps législatif un projet de loi complet tendant à organiser la procédure du vote plébiscitaire.

M. LE PRÉSIDENT MEGE. M. Gambetta a la parole pour le dépôt d'un projet de loi.

M. GAMBETTA. Messieurs, dans une de vos précédentes séances, l'honorable ministre de la justice dé

clarait que les règles ordinaires de la matière électorale ne s'appliquaient pas à la matière plébiscitaire; Je me suis rallié spontanément à cette opinion et j'ai pensé que, au lieu de poser incidemment, tous les jours, une question sur tel ou tel point de la procédure plébiscitaire, il était expédient et urgent de saisir la Chambre d'un projet de loi qui reconnût sur ce point les exigences légitimes de l'opposition et du suffrage universel.

C'est de ce projet de loi que je vous demande la permission de vous donner lecture. Il ne porte absolument que sur la procédure.

Projet de loi tendant à organiser la procédure du vote plébiscitaire.

ARTICLE PREMIER. La période plébiscitaire est de vingt jours pleins pour toute la France.

Le délai court à partir du jour de l'affichage, dans chaque commune, du décret qui ouvre les comices. ART. 2. Le scrutin ne durera qu'un seul jour, de six heures du matin à huit heures du soir.

Les votes seront recueillis, émargés, comptés suivant les règles ordinaires.

ART. 3. Les maires transmettront au président du Corps législatif, dans le plus bref délai, les listes d'émargements et les procès-verbaux, auxquels auront donné lieu les opérations du vote.

Une commission nommée par la Chambre sera chargée de dépouiller tous les scrutins et d'en publier le résultat détaillé.

ART. 4. Pendant toute la durée de la période plébiscitaire, tout citoyen électeur aura le droit de publier, imprimer et distribuer ou faire distribuer et afficher, sans timbre ni cautionnement, et par dérogation aux lois et règlements sur le colportage et l'affichage, et sans autre formalité que le dépôt préa

lable, tout bulletin de vote et tout écrit de matières politiques constitutionnelles.

ART. 5. Durant la même période, tous les citoyens français, sans distinction de circonscription, peuvent aller et venir sur toute la surface du territoire, s'assembler pacifiquement et sans armes, organiser, jusqu'au dernier jour, des réunions publiques, pour y traiter de toute matière politique, sans être astreints à aucune autre condition que de déposer à la maison commune, douze heures avant l'assemblée, la notification du local et de l'heure de la réunion.

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ART. 6. Le présent projet sera délibéré, rapporté, discuté et voté d'urgence.

Tel est le projet de loi que j'ai cru devoir soumettre en mon nom personnel et au nom des collègues qui se sont associés à ma demande. Ce sont MM. Jules Ferry, Crémieux, Emmanuel Arago, Jules Simon, de Kératry, Dorian, Steenackers et Barthélemy SaintHilaire.

M. GLAIS-BIZOIN.
M. GAMBETTA.

Il y en aura d'autres. (Rires.) Maintenant il me reste un mot à dire, et c'est sur ce point où la puissance d'intervention de la Chambre peut le mieux se manifester.

Il me reste à motiver brièvement, comme l'exige le règlement, Messieurs, la demande d'urgence qui accompagne ce projet de loi.

Il est bien évident que le plébiscite approche et qu'il faut, dès aujourd'hui, assurer au suffrage universel toutes les conditions de liberté, de sincérité de délibération que comporte un acte semblable.

Je dis que le plébiscite n'est rien ou qu'il est la remise dans un état d'intégrité parfaite du suffrage universel dans tous ses droits, et alors il faut que chaque citoyen actif recouvre les droits dont il ne jouit pas par suite de législations dérogatoires aux

principes de 1789; qu'il recouvre tous les droits organiques de discussion, de délibération, de réunion, de prosélytisme, d'entente, de concert, de propagande politique qui sont indispensables à la formation d'une opinion raisonnée et légitime dans le sein de la nation. (Très bien! à gauche.)

Il est donc urgent que cette procédure tutélaire, que cette procédure qui doit garantir pour les plus humbles de tous les citoyens, pour toutes les opinions, pour les opinions rivales, pour les opinions contradictoires, une égalité d'ombre et de lumière dans le champ clos plébiscitaire; il est nécessaire que cette loi soit votée avant que vous abordiez les comices et le scrutin.

Ces considérations, je ferais injure à l'Assemblée en les développant; vous pouvez ne pas approuver, si bon vous semble, après la discussion qui aura lieu dans cette enceinte, les dispositions que je vous propose, que je crois indispensables, nécessaires, pour assurer la libre expression des volontés nationales. Mais leur refuser l'accès même de la discussion, leur refuser le caractère d'urgence, quand nous sommes dans une matière qui n'a été ni réglementée ni éclairée; ne pas reconnaître, alors qu'on a proclamé que les règles habituelles en matière électorale ne régissaient pas les comices plébiscitaires, - qu'il faut faire quelque chose immédiatement, ce serait méconnaître vos devoirs et les légitimes exigences du peuple. (Très bien! très bien! à gauche.)

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M. LE PRÉSIDENT MÈGE. la parole.

--

M. le garde des sceaux a

M. ÉMILE OLLIVIER déclare que la proposition tient à l'ordre constitutionnel et ne peut être tranchée dans cette enceinte: en conséquence il repousse l'ur

gence.

M. GAMBETTA. Messieurs, il est incontestable que le gouvernement, par l'organe de l'honorable ministre

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