Images de page
PDF
ePub

ché. Alors il sort de sa retraite, et, après s'être désaltéré du sang, il rejette le cadavre qui pourroit faire soupçonner sa cruauté.

Quand on veut avoir une seconde fois le plaisir de le voir travailler, on comble son cône en agitant le vase; et l'on est étonné avec quelle diligence cette petite bête rétablit une nouvelle figure aussi vaste et aussi régulière que la première.

Quels raisonnements ne faudroit-il pas qu'elle fit, si son travail étoit fondé sur le raisonnement? Peut-on penser plus finement en mathématique, et connoître mieux la nature du cône, celle du sable, celle des mouvements, et leur rétentissement du centre à toutes les parties de la circonférence? Il est certain que c'est cette bête qui raisonne, ou quelqu'un pour elle. Mais la merveille n'est pas, ni qu'elle raisonne, ni qu'un principe étranger raisonné pour elle; mais que ce principe fasse exécuter tout cela par des organes qui se meuvent eux-mêmes, et qui paroissent n'agir que par un principe intérieur.

Je ne dois pas omettre que le formicaléo, dont je viens de parler, se transforme en une grande et belle mouche, appelée demoiselle, de laid et de petit qu'il étoit auparavant; il ne se souvient plus de son humeur sanguinaire, quand il à quitté sa première dépouille.

Utilité de ces observations physiques.

Il n'est pas nécessaire que je fasse remarquer combien ces observations physiques, et une infinité d'autres pareilles, sont capables d'orner et d'enrichir l'esprit d'un jeune homme; de le rendre attentif aux effets de de la nature qui sont sous nos yeux, ét qui se présentent à nous presque à chaque moment, sans que

nousy fassions réflexion; de lui apprendre mille choses curieuses qui regardent les sciences, les arts, les métiers, comme la chimie, l'anatomie, la botanique, la peinture, la navigation, l'imprimerie, etc.; de lui donner du goût pour le jardinage, pour les arbres, pour la campagne, pour la promenade, ce qui n'est pas une chose indifférente; de le mettre en état de fournir agréablement à la conversation, et de n'être pas réduit ou à y garder le silence ou à ne savoir y parler que de bagatelles.

J'ai appelé cette physique, la physique des enfants, parce qu'en effet on peut commencer à la leur ap-prendre dès l'âge le plus tendre, mais en se proportionnant à leur foiblesse, et ne leur proposant rien qui ne soit à leur portée, soit pour les faits, soit pour les réflexions qu'on y joint. Il est incroyable combien ce petit exercice, continué régulièrement depuis l'âge de six ou sept ans jusqu'à l'âge de douze ou quinze ans, mais continué sous l'idée et le nom de divertissement, et non d'étude, rempliroit l'esprit des jeunes gens de connoissances utiles et agréables, et les prépareroit à l'étude de la physiqué, qui est propre aux savants.

Mais, me dira-t-on, où trouver des maîtres capables de donner à un enfant ces instructions, inconnues souvent à ceux mêmes qui sont les plus habiles, et qui demandent une étendue infinie de connoissances? La chose n'est pas si difficile qu'on pourroit se l'imaginer. Cicéron disoit en riant, dans un plaidoyer où il avoit entrepris de rabaisser l'étude de la jurisprudence, que si on le mettoit en colère, tout occupé qu'il étoit, il deviendrait jurisconsulte

[ocr errors]

Itaque, si mihi, homini vehementer occupato, stomachum mó veritis, triduo me jurisconsultum esse profitebor. Pro Muren. n. 28.

en trois jours. J'en pourrois dire à peu près autant, non de la physique des savants, qui est une science très profonde, mais de celle dont je parle ici. Il ne s'agit que de parcourir les livres où se trouvent ces sortes d'observations, tels que sont par exemple les Mémoires de l'Académie des sciences, où l'on trouve sur toutes les matières une infinité de remarques extrêmement curieuses. J'ai vu de jeunes gens, qui répondoient publiquement sur le quatrième livre des Géorgiques de Virgile, faire un merveilleux usage de ce qui est dit dans ces Mémoires sur la petite, mais admirable république des abeilles. Un maître curieux et studieux s'adresse à d'habiles gens pour savoir quels livres il doit consulter sur chaque matière; il emprunte ces livres, ou les va chercher dans les bibliothèques publiques; il les parcourt, il en fait des extraits, et par-là se met en état de pouvoir apprendre mille choses curieuses à ses disciples; et il a, pour faire ce petit amas, sept ou huit ans devant lui. Pour y réussir, il ne faut que le vouloir.

ARTICLE V.

La philosophie sert à inspirer un grand respect pour la religion.

Tout ce que j'ai dit jusqu'ici de la physique des savants et de celle des enfants montre bien clairement qu'un des grands effets, et le fruit le plus essentiel de la philosophie, c'est d'élever l'homme à la connoissance de la grandeur de Dieu, de sa puissance, de sa sagesse, de sa bonté; de le rendre attentif à sa providence; de lui apprendre à remonter jusqu'à lui par considération des merveilles de la nature; de faire qu'il

la

devienne sensible à ses bienfaits, et qu'il trouve partout des sujets de le louer et de lui rendre grâces.

3

2

I

C'est Dieu lui-même qui nous apprend dans l'un et l'autre Testament que c'est là l'usage que nous devons faire de la vue des créatures, qui nous enseignent tous nos devoirs. Il renvoie dans ses Ecritures le paresseux à la fourmi, pour apprendre d'elle à ne pas demeurer oisif; l'ingrat au bœuf et à l'àne, qui sont reconnoissants des soins que prend d'eux leur maître; l'imprudent aux oiseaux de passage, qui savent discerner les temps. Jésus-Christ 4 veut que la considération des lis de la campagne, et des petits oiseaux du ciel, soit une instruction pour tous les hommes, et qu'elle leur apprenne à se reposer pleinement sur les soins d'une providence qui est en même temps attentive à tout, pleine de bonté, et toute-puissante. Ce seroit donc ne pas répondre aux intentions de la sagesse divine, et manquer au devoir le plus essentiel d'un maître, que de ne pas faire remarquer aux jeunes gens, dans toutes les créatures, les vestiges sensibles de la Divinité, qui a voulu s'y peindre et nous y tracer nos devoirs.

5

[ocr errors]

Dans le récit que nous fait l'Ecriture de la création du monde, il est dit souvent que Dieu fut l'approbateur et si on ose le dire, l'admirateur de ses ouvrages; pour nous apprendre quelle admiration ils devroient nous causer, quelle étude nous en devrions faire, et de quelles réflexions ils sont dignes; et pour

I Prov. 6. 6.

2 Isaï. 1. 3.

3 Jerem. 8. 7.

4 Matth. 6. 26. 30.

5 Vidit Deus cuncta quæ fecerat, et erant valdè bona, Gen. 1. 31.

nous reprocher en même temps notre stupidité qui ne pense à rien, notre ingratitude qui ne rend grâces de rien, et qui demeure toujours ignorante et imbécille, quoique nous vivions au milieu des prodiges les plus étonnants, et que nous en soyons nous-mêmes l'un des plus incompréhensibles.

Ce n'est pas la physique seule qui nous aide à connoitre Dieu. Le peu que j'ai rapporté des principes de morale, tirés du paganisme même, suffit pour nous montrer combien cette partie de la philosophie est propre à nous inspirer un grand respect pour la religion.

Y a-t-il rien de plus propre à l'enraciner dans l'esprit des jeunes gens, et à en jeter de solides fondements capables de tenir contre le torrent de l'incrédulité et du libertinage, que les deux célèbres questions qui se traitent dans la métaphysique, l'existence d'un Dieu, et l'immortalité de l'àme?

Mais le grand et l'important service que la bonne philosophie rend à l'homme, c'est de le disposer à recevoir avec docilité et respect tout ce que lui enseigne la révélation divine. Elle s'applique surtout à lui faire bien comprendre que devant Dieu tout doit se taire, la raison aussi-bien que les sens, parce que rien n'est plus raisonnable que de n'écouter que lui quand il parlé: ' Ipsi, de se, Deo credendum est; que la raison né doit pas trouver étrange qu'on la soumette à l'autorité dans des sciences qui, traitant des choses qui sont au-dessus de la raison, doivent suivre une autre lumi, qui ne peut être que celle de l'autorité divine; que, puisque dans l'ordre même de la nature il y a

1 Hilar. lib. 4. de Trinit

« PrécédentContinuer »