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comme observe le même Plutarque, la religion du serment qu'il exigea des Lacédémoniens auroit été une foible ressource après sa mort, si par l'éducation il n'eût imprimé les lois dans leurs mœurs, et ne leur eût fait sucer presque avec le lait l'amour de sa police, en la leur rendant comme familière et naturelle. Aussi vit-on que ses principales ordonnances se conservèrent plus de cinq cents ans, comme une bonne et forte teinture qui avoit pénétré jusqu'au fond de l'âme. »

Tous ces grands hommes de l'antiquité étoient donc persuadés, comme Plutarque le dit en particulier de Lycurgue, que le devoir le plus essentiel d'un législateur, et il en faut dire autant d'un prince, étoit d'établir de bonnes règles pour l'éducation de la jeunesse, et de les faire exactement pratiquer. Il est étonnant jusqu'où ils portoient sur ce point l'attention et la prévoyance. C'est dès la naissance même des enfants qu'ils recommandoient qu'on prît de sages précautions par rapport à toutes les personnes qui devoient en prendre soin; et l'on voit bien que Quintilien a puisé dans Platon et dans Aristote ce qu'il dit à ce sujet, surtout pour ce qui regarde les nourrices. Il vouloit, comme ces sages philosophes, que dans le choix qu'on cu feroit, non-seulement on prit garde qu'elles n'eussent point un langage vicieux, mais que surtout on eût égard aux mœurs et au caractère d'esprit. Et la raison qu'il en apporte est admirable. « C'est, dit-il, que ce

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* Et morum quidem in his haud dubiè prior ratio est : rectè tamen etiam loquantur.... Naturâ enim tenacissimi sumus eorum quæ rudibus annis percepimus: ut sapor quo nova imbuas durat, nec lanarum colores, quibus simplex ille candor mutatus est, elui possunt. Ei hæc ipsa magis pertinaciter hærent, quæ deteriora sunt. Quintil. lib. 1. cap. 1.

qu'on apprend à cet age, s'imprime facilement dans l'esprit, et y laisse de profondes traces qui ne s'effacent pas aisément. Il en est comme d'un vase neuf, qui conserve long-temps l'odeur de la première liqueur qu'on y a versée; et comme des laines, qui ne recouvrent jamais leur première blancheur quand elles ont été une fois à la teinture. Et le malheur est que les mauvaises habitudes durent encore plus que les bonnes. »

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C'est par la même raison que ces philosophes regardent comme un des plus essentiels devoirs de ceux qui sont chargés de l'éducation des enfants, d'écarter d'auprès d'eux, autant qu'il est possible, les esclaves et les domestiques, dont les discours, et encore plus les exemples, pourroient leur être nuisibles.

Ils ajoutent à cela un avis, qui sera la condamnation d'un grand nombre de pères et de maîtres chrétiens. Ils veulent que non-seulement on interdise aux jeunes gens jusqu'à un certain âge toute lecture de comédie et tout spectacle, mais que toute peinture, toute sculpture, toute tapisserie, qui pourroient offrir aux yeux des enfants quelque image indécente ou dangereuse, soient absolument bannies des villes. Ils désirent que les magistrats veillent avec soin à l'exécution de ce réglement, et qu'ils obligent les ouvriers, même les plus industrieux, qui ne voudront pas s'y soumettre, à porter ailleurs leur funeste habileté. Ils étoient persuadés que de cet amas d'objets propres à flatter les passions, et à nourrir la cupidité, il sort comme un air contagieux et pestilentiel, capable d'infecter à la longue et insensiblement les maîtres même

Arist. Polit. lib. 7. c. 17.

qui le respirent à chaque moment sans crainte et sans précaution; ' et que ces objets sont comme autant de fleurs empoisonnées, qui exhalent une odeur de mort d'autant plus à craindre, qu'on s'en défie moins, et que même elle paroît agréable. Ces sages philosophes veulent au contraire que dans une ville tout enseigne et inspire la vertu, inscriptions, tableaux, statues, jeux, conversations; et que de tout ce qui se présente aux sens, et qui frappe les yeux ou les oreilles, il se forme comme un air et un souffle salutaire, qui s'insinue imperceptiblement dans l'âme des enfants, et qui, aidé et soutenu par l'instruction des maîtres, y porte dès l'âge le plus tendre l'amour du bien et le goût des choses honnêtes. Il y a dans le texte original une finesse, une délicatesse d'expression dont nulle autre langue n'est susceptible. Quoique ce passage soit un peu long, j'ai cru devoir en citer une grande partie, pour donner quelque idée du style de Platon.

Je reviens à mon sujet, et je finis ce premier article en priant le lecteur de considérer comment le paganisme même a toujours regardé comme le devoir le plus essentiel des pères, des magistrats, des princes, de veiller à l'éducation des enfants, parce qu'il est de

- · Γνα μὴ ἐν κακίας εἰκοσι τρεφόμενοι ἡμῖν οι φύλακες, ὥσπερ ἐν κακῇ βολάνη, πολλὰ έκασης ἡμέρας κατὰ σμικρὸν ἀπὸ πολλῶν δρεπόμενοι τε καὶ νεμόμενοι, ἕν τι ξυνισάντες λανθάνωσε κακὸν μέγα ἐν τῇ ἀυτῶν ψυχῇ. Α'λλ' ἐκείνος ζητητέον τὰς Δημιεργές, τις ευφυῶς δυναμένες ἰχνεύειν τὴν τῆ καλέ τε καὶ ευσχήμονος φύσιν· ἐν ὥσπερ ἐν ὑ[ιεινῶ τόπῳ ὁικῶντες οι νέοι ὠφελῶνται ἀπὸ παντὸς, ὁποθεν ἂν ἀυλοῖς ἀπὸ τῶν καλῶν ἔργων ἢ πρὸς όψον ἢ πρὸς ἀκοήν τι προσβάλη, ὥσπερ αυρα φέρεσαι ἀπὸ χρησῶν τόπων ὑ[ίειαν, καὶ ἐυθὺς ἐκ πάδων λανθάνη εἰς ὁμοιότητα τε καὶ φιλίαν καὶ ξυμφωνίαν τῷ καλῷ λόγῳ άρεσαν Plat. lib. 3. de Rep.

la dernière importance pour tout le reste de la vie de leur donner d'abord de bons principes. En effet, lorsque les esprits sont encore tendres et flexibles, on les tourne à son gré; au lieu que l'âge et une longue habitude rendent les défauts presque incorrigibles : Frangas enim citiùs quàm corrigas, quæ in pravum indu

ruerunt.

ARTICLE II.

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On examine si l'éducation publique doit être préférée à l'instruction domestique et particulière.

Pendant tout le temps que j'ai été chargé de l'éducation de la jeunesse, parfaitement instruit des dangers qui se rencontrent et dans les maisons particulièrés, et dans les colléges, je n'ai jamais osé prendre sur moi de donner conseil sur cette matière, et je me suis contenté de m'appliquer, avec le plus de soin qu'il m'a été possible, à l'instruction des jeunes gens que la divine Providence m'adressoit. Je crois devoir encore garder la même neutralité, et laisser à la prudence des parents à décider une question qui souffre certainement de grandes difficultés de part et d'autre.

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Quintilien a traité cette question avec beaucoup d'étendue et d'éloquence. L'endroit est un des plus beaux de son ouvrage, et mérite d'être lu dans l'original. J'en donnerai ici un extrait.

Il commence par répondre à deux objections qu'on a coutume de former contre les écoles publiques.

La première regarde la pureté des mœurs, qu'on prétend y être exposée à de plus grands dangers. Si

Quint. lib. 1. cap. 3.

2 Ibid. cap. I.

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cela étoit, il juge qu'il ne faudroit pas hésiter un moment, le soin de bien vivre étant infiniment préférable à celui de bien parler. Mais il prétend que le péril est égal de part et d'autre; que le tout dépend du naturel des enfants, et du soin qu'on prend de leur éducation; que, pour l'ordinaire, c'est des parents mêmes que vient le mal, par le mauvais exemple qu'ils donnent à leurs enfants. Ceux-ci, dit-il, voient tous les jours et entendent des choses qu'ils devroient ignorer toute leur vie. Tout cela passe en habitude, et bientôt après en nature. Les pauvres enfants se trouvent vicieux avant que de savoir ce que c'est que le vice. Ainsi ne respirant que luxe et que mollesse, ils ne prennent pas le désordre dans nos écoles, mais ils l'y apportent.

La seconde objection concerne l'avancement dans les études, qui doit être plus grand à la maison, où le précepteur n'a qu'un écolier à instruire. Quintilien n'en convient pas, pour plusieurs raisons qu'il expose; mais il ajoute que cet inconvénient, quand même il seroit réel, est abondamment réparé par les grands avantages qui se trouvent dans l'éducation publique.

1. L'éducation publique enhardit un jeune homme, lui donne du courage, 3 l'accoutume de bonne heure

1 Potior mihi ratio vivendi honestè, quàm vel optimè dicendi, videretur.

2 Fit ex his consuetudo, deindè natura. Discunt hæc miseri, antequàm sciant vitia esse. Indè soluti ac fluentes, non accipiunt è scholis mala ista, sed in scholas afferunt.

3 Ante omnia futurus orator, cui in maximâ celebritate et in medià reipub. luce vivendum cst, assuescat jam à tenero non reformidare homines, neque illà solitariâ et velut umbratili vitâ pallescere. Excitanda mens et attollenda semper est, quæ in hujusmodi secretis aut languescit, et quemdam velut in opaco situm ducit; aut contrà tumescit inani persuasione. Necesse est enim sibi nimiùm tribuat, qui se nemini-comparat.

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