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Pour parvenir à ce but, le premier soin du maître est de bien étudier et d'approfondir le génie et le caractère des enfants; car c'est sur quoi il doit régler sa conduite. Il y en a qui se relâchent et languissent, si on ne les presse; d'autres ne peuvent souffrir qu'on les traite avec empire et hauteur. Il en est tels que la crainte retient, et tels au contraire qu'elle abat et décourage. On en voit dont on ne peut rien tirer qu'à force de travail et d'application; d'autres qui n'étudient que par boutade et par saillie. Vouloir les mettre tous de niveau, et les assujettir à une même règle, c'est vouloir forcer la nature. La prudence du maître consiste à garder un milieu qui s'éloigne également des deux extrémités; car ici le mal est tout près du bien, et il est aisé de prendre l'un pour l'autre et de s'y tromper; et c'est ce qui rend la conduite des jeunes gens si difficile. Trop de liberté donne lieu à la licence; trop de contrainte abrutit l'esprit. La louange excite et encourage, mais aussi elle inspire de la vanité et de la présomption. Il faut donc garder un juste tempérament qui balance et évite ces deux inconvénients, et imiter la conduite d'Isocrate à l'égard d'Ephore et de Théopompe, qui étoient d'un caractère tout différent. Ce grand maître, qui n'a pas moins

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1 Sunt quidam, nisi institeris, remissi; quidam imperia indignantur: quosdam continet metus, quosdam debilitat: alios continuatio exfundit, in aliis plus impetus facit. Quintil. lib. 1. cap. 3.

2 Difficile regimen est .... et diligenti observatione res indiget. Utrumque enim, et quod extollendum, et quod deprimendum, similibus alitur facilè autem etiam attendentem similia decipiunt. Crescit licentiâ spiritus, servitute comminuitur: assurgit, si laudatur, et in spem suî bonam adducitur; sed eadem ista insolentiam generant. Sic itaque inter utrumque regendus est, ut modò frenis utamur, modò stimulis, Senec. de Ira. lib. 2. cap. 21.

3 Clarissimus ille præceptor Isocrates, quem non magis libri benè

réussi à instruire qu'à écrire, comme ses disciples et ses livres en font foi, employant le frein pour réprimer la vivacité de l'un, et l'éperon pour réveiller la lenteur de l'autre, ne prétendoit pas les réduire tous deux au même point. Son but, en retranchant de l'un, et ajoutant à l'autre, étoit de conduire chacun d'eux à la perfection dont leur naturel étoit capable.

Voilà le modèle qu'il faut suivre dans l'éducation des enfants. Ils portent en eux les principes et comme les semences de toutes les vertus et de tous les vices. L'adresse est de bien étudier d'abord leur génie et leur caractère; de s'appliquer à connoître leur humeur, leur pente, leurs talents; et surtout de découvrir leurs passions et leurs inclinations dominantes; non dans la vue ni dans l'espérance de changer tout-à-fait leur tempérament; de rendre gai, par exemple, celui qui est naturellement grave et posé, ou sérieux celui qui est d'un naturel vif et enjoué. Il en est de certains caractères, comme des défauts de la taille, qui peuvent bien être un peu redressés, mais non changés entièrement. Or le moyen de connoître ainsi les enfants, c'est de les mettre dès l'âge le plus tendre dans une grande liberté de découvrir leurs inclinations; de laisser agir leur naturel, pour le mieux discerner; de compatir à leurs petites infirmités, pour leur donner le courage de les laisser voir; de les observer sans qu'ils s'en

dixisse, quàm diseipuli benè docuisse testantur, dicebat se calcaribus in Ephoro, contrà autem iu Theopompo frenis uti solere. Alterum enim exultantem verborum audaciâ reprimebat, alterum cunctantem et quasi verecundantem incitabat. Neque eos similes effecit inter se, sed tantùm alteri affinxit, de altero limavit, ut id confirmaret in utroque, quod utriusque natura pateretur. Quintil. lib. 2. cap. 8. Cic. lib. 3. de Orat. n. 36.

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aperçoivent, surtout dans le jeu, où ils se montrent tels qu'ils sont car les enfants sont naturellement simples et ouverts; mais, dès qu'ils se croient observés, ils se ferment, et la gêne les met sur leurs gardes,

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Il est bien important aussi de distinguer la nature des défauts qui dominent dans les jeunes gens, En général, on peut espérer que ceux où l'âge, la mauvaise éducation, l'ignorance, la séduction, et le mauvais exemple, ont quelque part, ne sont pas sans remède; et l'on doit croire au contraire que les défauts qui ont des racines dans le caractère naturel de l'esprit, et dans la corruption du cœur, seront très-difficiles à traiter, comme la duplicité et le déguisement; la flatterie, la pente aux rapports, aux divisions, à l'envie, à la médisance; un esprit moqueur, et surtout à l'égard des avis qu'on lui donne, et des choses saintes; une opposition naturelle à la raison, et, ce qui en est une suite, une facilité à prendre les choses de travers.

ARTICLE III.

Prendre d'abord de l'autorité sur les enfants.

Cette maxime est de la dernière importance pour tous les temps de l'éducation, et pour toutes les personnes qui en sont chargées. J'appelle autorité un certain air et un certain ascendant qui imprime le respect et se fait obéir. Ce n'est ni l'âge, ni la grandeur de la taille, ni le ton de la voix, ni les menaces, qui donnent cette autorité; mais un caractère d'esprit égal, ferme, modéré, qui se possède toujours, qui n'a pour guide

Mores se inter/ludendum simplicius delegunt. Quintil. lib. 1. cap. 3.

2 Lettres de Piété, tom. I.

que la raison, et qui n'agit jamais par caprice ni par cmportement.

C'est cette qualité et ce talent qui tient tout dans l'ordre, qui établit une exacte discipline, qui fait observer les réglements, qui épargne les réprimandes, et qui prévient presque toutes les punitions. Or c'est dès le premier abord, dès le commencement, que les parents et les maîtres doivent prendre cet ascendant. S'ils ne saisissent ce moment favorable, et ne se mettent dès les premiers jours en possession de l'autorité, ils auront toutes les peines du monde à y revenir, et l'enfant sera le maître.' Animum, et l'on et l'on peut dire aussi, puerum rege : qui nisi paret, imperat. Cela est vrai à la lettre, et l'on auroit de la pcine à le croire, si une expérience constante ne le montroit tous les jours. Il y a dans le fonds de l'homme un amour de l'indépendance qui se montre et se développe dès l'àge le plus tendre, et dès la mamelle. Que signifient ces cris," ces pleurs, ces gestes menaçants, ccs yeux étincelants de colère, dans un enfant qui veut à toute force obtenir ce qu'il demande, ou qui est piqué de jalousie contre un autre? « J'ai vu, dit saint Augustin, un enfant jaloux. Il ne savoit pas encore parler; et avec un visage pale il lançoit des regards furieux contre un autre enfant qui tetoit avec lui. » Vidi ego, et expertus sum zelantem parvulum. Nondùm loquebatur, et intuebatur pallidus amaro aspectu collactaneum suum.

Horat. Sat. z. lib. 1.

2 Flendo petere, etiam quòd noxiè daretur : indignari acriter ... Conad nutum voluntatis obtemperantibus : feriendo nocere niti, quan tùm potest, quia non obeditur imperiis, quibus perniciosè obediretur. Ita imbecillitas membrorum infantilium innocens est, non animus infantium. S. Aug. Conf. lib. 1. cap. 7.

3 Conf. lib. 1. cap. 7.

Voilà le temps et le moment de rompre cette mauvaise inclination dans un enfant, en l'accoutumant dès le berceau à domter ses désirs, à n'avoir point de fantaisies, en un mot, à céder et à obéir. Si on ne leur donnoit jamais ce qu'ils auroient demandé en pleurant, ils apprendroient à s'en passer; ils n'auroient garde de criailler et de se dépiter pour se faire obéir; et ils ne seroient pas par conséquent si incommodes à euxmêmes ni aux autres qu'ils le sont, pour n'avoir pas été conduits de cette manière dès leur première enfance.

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Quand je parle ainsi, ce n'est pas que je prétende qu'il ne faille avoir aucune indulgence pour les enfants, je suis bien éloigné d'une telle disposition: je dis seulement que ce n'est point à leurs pleurs qu'il faut accorder ce qu'ils demandent; et s'ils redoublent leur importunité pour l'obtenir, il faut leur faire entendre qu'on le leur refuse précisément pour cette raison-là même. Et ici l'on doit tenir pour une maxime indubitable, qu'après qu'on leur a refusé une fois quelque chose, il faut se résoudre à ne point l'accorder à leurs cris ou à leurs importunités, à moins qu'on n'ait envie de leur apprendre à devenir impatients et chagrins, en les récompensant de ce qu'ils s'abandonnent au chagrin et à l'impatience.

On voit chez certains parents des enfants qui ja- ? mais à table ne demandent rien, quelque mets qu'il y ait devant eux, mais qui reçoivent avec plaisir et en remerciant ce qu'on leur donne. Dans d'autres maisous il y en a qui demandent de tout ce qu'ils voient, et qu'il faut servir avant tout le monde. D'où vient une différence si notable? De la différente éducation qu'ils ont reçue. Plus les enfants sont jeunes, moins on doit

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