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du langage ont une grande puissance et elles triomphent souvent des idées systématiques. Le Code pénal qui nous régit a souvent employé le mot délit, non pas avec l'acception spéciale d'infraction correctionnelle, mais avec l'acception large de fait punissable; il l'a appliqué à des crimes proprement dits. Nous avons examiné ce qu'est une infraction et les diverses espèces d'infractions.

Dans quel lieu et par qui les infractions doiventelles être commises pour être punissables d'après la loi française ?

En d'autres termes, quelle est l'étendue de la loi pénale, soit sous le rapport du lieu, soit sous le rapport des personnes?

Notre loi pénale française est-elle une loi territoriale? Est-elle une loi personnelle? N'est-elle pas tout à la fois territoriale et personnelle?

La loi pénale est l'expression de la souveraineté qui l'édicte, car il est bien évident que la souveraineté régit et doit régir, sans distinction d'origine et de nationalité, toutes les personnes qui résident sur le territoire soumis à son empire; elle ne serait plus la souveraineté si, dans son sein, dans le pays qu'elle gouverne et protége, le bon ordre, la sécurité générale pouvaient être impunément troublés, s'il pouvait surgir un acte de rébellion qu'elle fût impuissante à réprimer. Ce n'est que le droit d'être maître chez soi.

Je vous ai dit comment du XIIIe au XVIe siècle, le principe de la territorialité triompha des obstacles que lui opposa l'organisation de la féodalité, comment il

parvint à supplanter le principe que la loi pénale applicable et la juridiction compétente, étaient, sauf le cas de délit flagrant, la loi et là juridiction du domicile de l'auteur du délit. La loi romaine, comme toujours, eut son rôle dans la lutte et elle contribua puissamment à la victoire: on se fit une arme du fragm. 3, de Paul, au Dig. de Officio præsidis: - « Habet interdum imperium et adversus extra« neos homines, si quid manu commiserint: nam « et in mandatis principum est, ut curet is, qui provinciæ præest, malis hominibus provinciam « purgare, nec distinguitur unde sint. »

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Le principe de la territorialité prit définitivement place dans l'art. 1", tit. I", de l'ordonnance de 1670. -Tous les auteurs qui ont écrit sur l'ordonnance l'ont facilement justifié (1).

L'art. 3 du Code Napoléon a traduit d'une manière concise cette nécessité de raison et de bon sens : « Les lois de police et de sûreté obligent tous ceux

qui habitent le territoire. » Or, le Code pénal est la loi de police et de sûreté par excellence; il saisit donc toutes les personnes françaises ou étrangères, leur résidence ne fût-elle que momentanée, et il doit dominer leurs actions. M. Portalis a justifié ce principe avec un grand bonheur d'expression: « Le pou

(1) ROUSSEAU DE LA COMBE, mat. crim., partie II, ch. 1o, no 34, p. 121.-Il cite un arrêt du Parlement de Paris de 1731. JOUSSE, Justice Crim., partie II, tit II, no 30, p. 422. Nouveau DENISART, vo Délit, § 4, no 1er.

avoir souverain ne pourrait remplir la fin pour la« quelle il est établi, si des hommes étrangers ou << nationaux étaient indépendants de ce pouvoir; il «< ne peut être limité, ni quant aux choses, ni quant <«< aux personnes. Il n'est rien s'il n'est tout; la qualité d'étranger ne saurait être une exception légitime pour celui qui s'en prévaut contre la puissance publique qui régit le pays dans lequel <«< il réside.« Habiter le territoire c'est se soumettre « à la souveraineté. »

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Je n'admets pas, toutefois, la nécessité de cette présomption de soumission aux lois du pays que l'étranger traverse ou habite. Cette présomption peut être une fiction; la souveraineté, par cela seul qu'elle est la souveraineté, s'impose et ne s'offre pas à la libre acceptation de telle ou telle volonté individuelle; le maintien du pouvoir social suppose, sans doute, l'assentiment de la raison et de la conscience publique. Mais son action, tant qu'il est debout, n'est pas subordonnée à l'adhésion de celui sur lequel elle s'exerce. J'adresserais la même objection à l'une des idées sur lesquelles un brillant et savant criminaliste a fondé le principe de la territorialité : « L'étranger, « par une sorte de convention tacite, en venant cher«< cher protection et sûreté à l'ombre des lois, est «< devenu le sujet de ces lois et s'est soumis aux conséquences de leur violation; il appartient à la justice du pays (1). »

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(1) M. Faustin-Hélie, Instruction Criminelle, t. II, p. 498.

Pourquoi parler de convention tacite, présumée, là où les conventions sont sans puissance, puisqu'il s'agit de commandements d'ordre public auxquels il est défendu de déroger et qui, partant, ont une autorité indépendante du consentement? (Art. 6, C. Nap.)

La loi pénale française ne cesserait pas d'être applicable à l'infraction de l'étranger en France, parce qu'elle aurait été commise au préjudice d'un autre étranger. La pénalité n'est pas un moyen de défense, une protection pour les nationaux ; elle est la sanction du commandement de la souveraineté française. Ce commandement astreignait l'étranger sur le territoire; si l'étranger l'a violé, la sanction est applicable, quelle que soit la qualité de la partie lésée. Il s'agit, non de l'intérêt privé de cette partie, mais de l'intérêt de la loi, du respect qu'il importe de lui

assurer.

La loi pénale française serait-elle encore applicable şi un étranger commettait, en France, une infraction au préjudice d'un étranger, ne résidant pas en France? un étranger, par exemple, fait un faux par supposition de personne, au préjudice d'un de ses compatriotes, qui ne nous a pas demandé l'hospitalité, qui habite à l'étranger.

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« La protection que la loi française accorde aux étrangers, dit M. Mangin (1), s'étend même à ceux qui n'habitent pas notre territoire; il suffit que le « délit qui leur fait préjudice y ait été commis. >>

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(1) De l'action publique, t. Ier, no 60.

M. Mangin cite en faveur de cette solution, que je n'ai garde de contester, deux arrêts de la Cour de cassation des 31 janvier 1822 et 22 juin 1826.

Ce que je conteste, c'est la valeur de son motif juridique. La loi ne réprime pas les infractions dans le but de protéger ou même de consoler les parties lésées; ce que la loi protége, c'est sa propre puissance; ce qu'elle protége, c'est la société qu'elle gouverne et qui ne peut vivre sans une loi forte et respectée.

Qu'importe la qualité de la victime! La loi a été attaquée, elle ne doit se préoccuper que de l'agression et de l'agresseur.

Si la loi pénale å essentiellement un caractère territorial, ne peut-elle pas aussi avoir un caractère personnel?

C'est la loi civile française qui règle la capacité civile du Français à l'étranger; le statut personnel suit le Français partout où il porte ses pas; c'est ce statut qui détermine en tous lieux les conditions de fond auquel est subordonnée l'aptitude juridique du Français pour contracter, pour tester, pour se marier. Pourquoi ? C'est que si la souveraineté française, en dehors de ses frontières, n'a pas de moyens coercitifs; si, à l'étranger, elle est paralysée dans son action par les souverainetés étrangères, ses commandements cependant ne sont pas limités, en ce qui concerne les nationaux, au territoire national; ils s'adressent aux personnes, et du moment où ils sont l'expression d'un intérêt général, ils réclament partout l'obéissance; voilà ce qui explique l'étendue des lois de capacité,

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