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le caractère absolu du statut personnel (1). Mais est-ce que les lois pénales ne tiennent pas essentiellement au statut personnel? Comment la loi, qui interdit au Français de voler ou de tuer, serait-elle condamnée à ne pas être aussi absolue que la loi qui lui interdit de faire un testament ou de contracter un mariage en dehors de certaines conditions? Vainement objecterait-on que la souveraineté française expire sur les limites du territoire : elle ne demande pas à faire acte de puissance hors de France; elle n'agira sur le Français qu'en France. Autre chose est l'étendue de son empire, autre chose l'étendue de son mode d'action; la question est de savoir si les prohibitions de la loi pénale française peuvent être rendues obligatoires pour le Français vivant à l'étranger. Il ne s'agit nullement de savoir si la souveraineté française pourra exercer sa justice hors de France, même contre un Français.

De ce que la souveraineté civile de la loi française, sur la capacité du Français à l'étranger, ne peut appliquer ses sanctions qu'en France, a-t-on jamais conclu que cette loi n'existait pas hors de France comme règle des nationaux, et, qu'en dehors de la frontière, elle pouvait être impunément enfreinte ? Pourquoi l'objection qui ne limite pas la souveraineté de la loi civile, limiterait-elle la souveraineté de la loi pénale?

(1) Voir Observations de la Faculté de Droit de Caen, sur quelques modifications à apporter au Code d'instruction criminelle, pages 5 et 6.-1846.

Voilà ce que dit le Droit. J'examinerai bientôt ce que dit la loi.

La loi pénale française ne peut atteindre les infractions commises à l'étranger par des étrangers, qu'elles soient ou ne soient pas commises au préjudice de nos nationaux. L'étranger, à l'étranger, ne relève pas, en effet, de la souveraineté française; il ne lui doit obéissance à aucun titre. Qu'importe que la victime du fait, à l'étranger, soit française ? Si la pénalité était une vengeance, le pouvoir français pourrait venger ses nationaux quand il saisirait, en France, les étrangers auteurs du mal; il pourrait peut-être infliger, en France, la pénalité à l'étranger pour un fait commis hors de France, si cette pénalité était un moyen de défense ou une arme de guerre. Mais la pénalité n'est que la sanction du commandement de la souveraineté française, et ce commandement n'est pas à l'adresse des étrangers tant qu'ils restent chez eux, tant qu'ils ne viennent pas troubler le bon ordre de la société à laquelle cette souveraineté est chargée de pourvoir.

J'ai essayé de dire ce qu'exige le Droit.

Comment la question de la personnalité de la loi pénale a-t-elle été résolue ?

Cette question n'était pas résolue dans le Droit romain (1). A l'époque de sa puissance Rome, maîtresse du monde connu, n'avait pas en vérité besoin

(1) Faustin-Hélie, t. II, p. 564.

qué sa loi pénale exerçât son empire en dehors de son territoire ; la loi romaine, comme loi territoriale, commandait urbi et orbi.

Dans notre ancien Droit, le principe que les lois pénales étaient des lois personnelles, suivant les Français à l'étranger et pouvant les atteindre au retour, était un principe généralement reconnu; c'est ce qu'atteste Jousse (1) qui se prévaut de l'autorité de l'opinion de l'avocat-général Talon lors d'un arrêt du 14 août 1632. La solution de Jousse était consacrée par l'art. 17, in fine, de l'édit de septembre 1651, et par l'art. 18 de l'édit d'août 1679 contre les duels. On donnait de ce principe d'assez bonnes raisons: on disait qu'il importait à l'intérêt général que les sujets d'un même état se conduisissent bien partout et que nos nationaux devaient être punis quand ils avaient violé la loi nationale, en quelque lieu que cette violation se fût produite.

Jousse professait que la peine était applicable, en France, à l'infraction commise hors de France, par un Français, au préjudice même d'un étranger.

Rousseau de la Combe professait la même doctrine (2).

Le Code de 1791 est muet sur la difficulté.

Le Code du 3 brumaire an IV déclare la loi pénale française applicable à l'infraction commise hors

(1) Jousse, t, Ier, tit. II, chap. 1o, sect. 4, no 36, p. 424. (2) Traité des matières criminelles, II partie, chap. 1", no 34, p. 121 de l'édit. de 1769.

de France, par un Français, lorsque cette infraction emporte une peine afflictive et infamante.

Notre question a été agitée lors de la discussion du Code d'instruction criminelle. Ce n'était cependant pas une question de procédure; elle appartenait essentiellement à la discussion de la loi du fond, puisqu'il s'agissait de déterminer l'étendue de l'empire de cette loi, de mesurer la portée de ses commandements. Mais, vous le savez, le Code d'instruction criminelle fut discuté et voté avant le Code pénal et il n'était pas possible d'organiser les conditions de l'action publique en laissant ce problème sans solution. Voilà pourquoi il nous faut chercher le principe que nous étudions dans le Code d'instruction criminelle, où il est véritablement dépaysé. MM. Treilhard et Bérenger soutinrent, avec vigueur, le principe de la non-personnalité. MM. Target, Berlier et Cambacérès défendirent le principe de la personnalité. Ce fut ce dernier principe qui l'emporta, mais il fut singulièrement restreint et limité, il ne fut appliqué que dans trois cas.

Il fut appliqué :

1° Aux crimes attentatoires à la sûreté de l'Etat ; 2° Aux crimes de contrefaçon du sceau de l'Etat, des monnaies nationales, des papiers et billets de banque autorisés par la loi.

Dans ces deux cas, la poursuite ne fut pas subordonnée au retour du Français en France ou à son extradition.

3. Enfin, le principe de la personnalité fut appliqué

aux infractions commises hors de France, par un Français, bien que ces infractions ne s'attaquassent pas directement à la souveraineté française, lorsque cinq conditions concouraient :

1T CONDITION.-L'infraction commise à l'étranger devait constituer un crime, c'est-à-dire entraîner une peine afflictive et infamante, ou infamante seulement;

2° CONDITION. Il fallait que la partie lésée fût française;

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3e CONDITION. La partie lésée devait porter plainte.

4 CONDITION.-Le Français, auteur de l'infraction, n'était punissable qu'autant qu'il était de retour en France, et, bien entendu, il s'agissait d'un retour volontaire, parce que le retour volontaire a, en quelque sorte, le caractère d'un défi jeté à la loi française (1).

5 CONDITION.-L'infraction ne pouvait être poursuivie en France, qu'autant qu'elle n'avait pas été jugée à l'étranger.

Il semble que le principe de la personnalité de la loi pénale eût été réduit à se rapetisser pour se faire accepter.

De ces cinq conditions, il y en a trois qui nous paraissent ne pouvoir se justifier.

(1) Voir MANGIN, de l'Act. pub., tome Ier, no 70. LESELLYER, tome V, no 1986.

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