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loi nouvelle doit être présumée offrir à l'innocence toutes les garanties dont elle peut avoir besoin pour triompher; car, sans cette présomption, la loi nouvelle serait illégitime à l'égard même des faits postérieurs à sa promulgation.

Les accusés sont-ils coupables? on ne conçoit guère que la culpabilité puisse avoir un droit acquis contre la société à une loi vicieuse qui lui permettrait d'échapper à la répression (1).

Quid des lois d'attribution et de compétence entre des juridictions préexistantes?

Une loi ancienne déférait les procès de presse au jury; elle les défère aux tribunaux correctionnels; appliquera-t-on la loi nouvelle aux faits antérieurs? On dit que si la loi rétroagit, il y a évidemment aggravation du sort du prévenu; ses chances d'acquittement sont moins grandes.

Réponse. On l'inculpé est innocent ou il est coupable: innocent, la loi est absolument mauvaise si son innocence ne triomphe pas. Coupable, il n'a pas de droit acquis contre la société (2).

On a tenté une distinction pourtant et on a dit : ou la loi nouvelle enlève la compétence à une juridiction de Droit commun pour l'attribuer à une autre juridiction de Droit commun, ou, au contraire, elle

(1) Cassation, 13 novembre 1835. Sirey, 35-1-910.

(2) Cassation, 10 mai 1822. Sirey, 22-1-286.-Cassation, 16 avril 1831. Sirey, 31-1-304. - Sic, Décret du 22 janvier 1852, art. 25.

l'enlève à une juridiction de Droit commun pour l'attribuer à une juridiction d'exception, par exemple, pour l'attribuer à un conseil de guerre ou à une commission militaire; dans le premier cas, la loi nouvelle rétroagit; dans le second cas, elle ne rétroagit pas.

Je n'admets pas cette distinction. Encore une fois si la loi nouvelle est vicieuse, le vice ne sera pas un vice de rétroactivité; ce sera un vice beaucoup plus absolu ; si elle a eu pour but, non la justice et la vé– rité, mais la condamnation, elle viole non le principe de la rétroactivité, mais le principe d'une bonne organisation judiciaire.

Mais au moins les lois nouvelles d'attribution entre des juridictions préexistantes, saisissent-elles les faits antérieurs à leur promulgation, lorsque ces faits ont déjà été déférés à la juridiction anciennement compétente? Non, dans le silence de la loi, et cela en vertu du principe de la loi 30 au Digeste De judiciis : ubi acceptum est semel judicium ibi et finem accipere debet.

Je ne crois pas, avec M. Dupin, que ce principe veuille uniquement dire que les moyens de récusation et les moyens d'incompétence doivent être opposés in limine litis. Il y a, en effet, des moyens d'incompétence qui peuvent être opposés en tout état de cause; ce sont les moyens fondés sur des considérations d'ordre public. Toutefois la loi peut, par une disposition expresse, dessaisir une juridiction d'affaires pendantes pour en saisir une autre juridiction.

Que décider pour les lois organisatrices des juridictions nouvelles ?

Le principe de la non-rétroactivité ne leur est pas applicable.

Cependant, si les faits ont été valablement déférés à la juridiction ancienne et que cette juridiction n'ait pas été supprimée, ils resteront soumis à la juridiction qui en a été saisie; mais la loi nouvelle peut saisir les juridictions nouvelles même des procédures commencées (1).

On oppose un décret du 21 thermidor an II; la réponse est que devant le tribunal révolutionnaire on n'appliquait qu'une seule peine, la peine de mort. La question de compétence emportait donc la question de la pénalité.

Les lois qui ne substituent pas une juridiction à une autre, mais suppriment ou introduisent des voies de recours en matière pénale, sont-elles applicables aux faits antérieurs à leur promulgation ? Oui, incontestablement. Il s'agit de lois d'ordre public, dont le caractère, la nature propre est de saisir les faits non consommés.

Mais seraient-elles applicables aux faits déjà jugés? Le jugement, d'après la loi ancienne, était rendu en

(1) En ce sens, art. 30 de la loi du 18 pluviôse an IX; art. 4 de la loi du 19 pluviôse an XIII; art. 19 de la loi du 20 décembre 1815.

Cassation, 12 octobre 1848, Sirey, 48-1-641.-Arrêt de la haute cour de justice, du 8 mars 1949, Sirey, 49-2-225.-Arrêt de la cour de cassation, du 13 mars 1850, Sirey, 50-1-226.

dernier ressort et il acquittait le prévenu; survient une loi nouvelle qui autorise l'appel; il est bien évident que le jugement est un droit acquis qu'une législation postérieure ne peut briser. Où s'arrêterait-on, d'ailleurs, dans le système contraire? Il n'y aurait jamais de chose jugée, puisqu'on aurait toujours à craindre l'introduction d'une voie de recours?

Ce que je dis du jugement favorable au prévenu, faut-il le dire du jugement qui le condamne ? Le prévenu condamné peut-il profiter de la législation nouvelle qui ouvre un recours, pour remettre en question sa condamnation? Le principe que les lois pénales rétroagissent quand elles sont favorables peut-il être invoqué? Non, la loi qui adoucirait la peine depuis que la condamnation aurait acquis un caractère définitif, ne modifierait pas cette condamnation; par la même raison, la loi qui crée des recours, les crée pour des faits à juger et non pour des faits déjà définitivement jugés (1).

Ce que j'ai dit de la loi nouvelle qui introduit une voie de recours, je le dis de la loi nouvelle qui en supprime une. Le prévenu acquitté sous l'ancienne loi, par un jugement attaquable, ne saurait soutenir que la loi nouvelle rend le jugement définitif; le prévenu condamné sous la loi ancienne conserve, sous la loi nouvelle, son droit de recours.

(1) Merlin, Répert., vo Effet rétroactif, nos 4, 5 et 6; et vo Pays réunis, § 4. Questions vo, Cassation, § 2. Carré, Lois sur la procédure, no 1647.

La loi nouvelle n'est-elle pas applicable au moins aux faits qui ne sont pas encore jugés, mais qui sont déférés aux juges ? Pour la négative, il semble qu'on puisse dire que les jugements ne créent pas le droit, qu'ils le déclarent, que leur effet remonte au jour où la poursuite a été intentée : qu'ils doivent être réputés rendus le jour même où la juridiction compétente a été saisie et que par suite ils doivent être régis, quant au mode de recours, par la loi en vigueur, au moment où la procédure a commencé. On pourrait argumenter en ce sens de l'art. 12 de la loi du 11 avril 1838 et de l'art. 1er, dernier alinéa de la loi du 3 mars 1840, qui, en matière civile et commerciale, n'ont appliqué les règles nouvelles sur le ressort qu'aux procès qui n'étaient pas encore intentés.

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Je crois que la loi nouvelle qui supprime ou introduit une voie de recours, est applicable aux poursuites commencées sous l'ancienne loi, tant que l'instruction n'a pas abouti à un jugement définitif; il n'y a de Droit acquis ni pour, ni contre la société. Le pouvoir garde le Droit d'anéantir une garantie qu'il juge surabondante ou d'en créer une qu'il juge nécessaire.

Les lois du 11 avril 1838 et du 3 mars 1840, contiennent, sous ce rapport, des dispositions exceptionnelles, des dispositions de pure convenance, des dispositions qui n'y ont même trouvé place que parce que le Droit commun eût entraîné une solution contraire; elles ne prouvent pas plus contre notre prin

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