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On a fait une troisième objection et l'on a dit: La tâche de la justice humaine n'est pas de punir, mais bien de défendre la société en corrigeant, s'il se peut, et en réprimant les agents qui la troublent. La mort est exclusive de toute correction et de tout amendement. Si la société a perdu tout espoir de correction et d'amendement, qu'elle enlève à tout jamais à l'agent, dont elle désespère, les moyens de nuire ; qu'elle le séquestre de son sein; qu'elle lui enlève la vie sociale, qui est son œuvre, mais qu'elle ne lui enlève pas la vie naturelle qu'il ne tient pas d'elle.

En tant que cette objection tend à présenter tous les dons terrestres de Dieu, comme en dehors du pouvoir social, j'ai déjà répondu........ En tant qu'il s'agirait du don spécial de la vie, la conscience humaine répond qu'il n'est pas d'une inviolabilité plus absolue que les autres dons de Dieu. Depuis qu'il existe des nations, l'homme enlève la vie à l'homme sur des champs de bataille, et l'effusion du sang, pour l'indépendance du territoire et de la patrie, n'a jamais constitué un crime. On reconnaît qu'il y a des guerres justes, des guerres saintes, et le courage qu'on y déploie, ce n'est pas de la férocité, c'est de l'héroïsme. La conscience humaine répond que l'homme nonseulement dans l'intérêt social, mais même dans son intérêt individuel, peut disposer de la vie de son agresseur, s'il n'a d'autre moyen de sauver sa propre vie. Pourquoi donc l'intérêt social n'autoriserait-il pas ce qu'autorise l'intérêt individuel ? D'ailleurs l'objection suppose que la société n'a pas, à proprement

parler, le Droit de punir, mais seulement le Droit de se défendre.

Mais je vous ai démontré, dans mes PROLEGOMÈNES, que le Droit de défense et le Droit de punir étaient deux Droits distincts qui reposent sur des bases complètement différentes. La peine est pour nous, non une défense, mais une sanction. Or, s'il est des lois sociales dont le respect ne puisse être assuré que par la peine de mort, et qu'elles soient assez importantes pour mériter une pareille sanction, la nécessité sociale est la meilleure de toutes les légitimités.

On a dit encore:

Le pouvoir social ne saurait hâter l'heure à laquelle l'homme comparaîtra devant Dieu pour y être jugé selon ses œuvres; autrement on le priverait de ses chances de repentir, de ses moyens spontanés d'expiation.-Disposer de sa vie terrestre, ce serait peutêtre disposer de sa vie éternelle. Cette objection a de la gravité et de la grandeur; toutefois je ne la crois pas décisive le renvoi de l'homme, par l'homme, devant Dieu, a sans doute quelque chose d'effrayant, au point de vue de la vie à venir. Cependant des considérations de l'ordre le plus élevé peuvent nous rassurer. Rien ne prouve que la préoccupation d'une mort certaine, à jour fixe, ne sera pas pour le condamné le meilleur, le plus salutaire des avertissements, et qu'au moment où toutes les espérances disparaissent pour lui dans ce monde, il ne se rattachera pas avec plus de ferveur et plus de ténacité à la dernière espérance qui lui reste. Rien ne prouve enfin que l'ex

piation qu'inflige le pouvoir social ne soit pas le seul moyen qu'ait le condamné de payer sa dette même envers Dieu.

A la justice humaine n'opposons pas la justice divine, parce que celle-ci saura toujours bien faire ses affaires et régler ses comptes. L'objection, d'ailleurs, prouve trop; elle condamnerait la guerre; elle interdirait de sauver sa vie en sacrifiant la vie de son agresseur.

Enfin on a fait une dernière objection; on a dit : La justice humaine est faillible et elle peut appliquer, par une de ces méprises dont il y a plus d'un exemple, la peine de mort à l'innocence dans laquelle elle a cru trouver les apparences du crime.

La société ne doit donc appliquer que des peines réparables pour qu'elle ait le moyen de réparer ses injustices involontaires. L'irréparable et l'irrévocable, a dit un célèbre écrivain, n'appartiennent qu'à Dieu.

Je ne crois pas qu'il faille répondre, comme on a eu le tort de le faire, que la peine de mort après tout n'est qu'un moyen de renvoyer le justiciable devant son juge naturel.

Je ne crois pas non plus qu'il faille dire, qu'il est possible qu'un homme envoyé au supplice pour un crime qu'il n'a pas commis, l'ait réellement mérité pour un autre crime absolument inconnu. Ces réponses-là ont été éloquemment châtiées par M. Villemain (vingt-troisième leçon sur la Littérature française au XVIIIe siècle) (1).

(1) Delaroche-Flavin avait au reste dit avant M. de Maistre

Il y a une plus grave et meilleure réponse : Tout châtiment injuste, si minime qu'il soit, est un malheur social. Est-ce à dire que, pour s'éviter la chance d'un châtiment injuste, il ne faille jamais punir? Non, sans doute. Eh bien ! si la peine de mort est nécessaire, pourquoi résisterait-on à cette nécessité sous le prétexte de la possibilité d'une erreur ? L'irréparabilité de cette peine sera sans doute un motif grave de ne l'appliquer qu'avec beaucoup de réserve; mais ce n'est pas seulement pour la peine de mort que le doute absout; le doute ne saurait condamner même quand il s'agit de peines légères.

Il y a une considération qui domine cette question: La peine de mort a traversé les siècles; elle est écrite dans les législations de tous les temps et de tous les pays; elle a donc pour elle le témoignage de la conscience du genre humain. Cela veut-il dire, messieurs, qu'elle sera toujours nécessaire? Je n'en sais rien, mais j'espère que sa nécessité, qui s'est déjà amoiudrie, finira par disparaître. Les cas dans lesquels on l'applique ont toujours été en se restreignant et en se réduisant. Mais ce n'est qu'au XVII' siècle seulement que la théorie, qui conteste d'une manière absolue la légitimité de cette peine, a pris quelque généralité et a

Plusieurs sont prévenus à tort et condamnés injustement, qui meurent toutefois justement, la justice divine les ayant amenés par un autre chemin à la peine, qui, pour être différée, n'est pas perdue. (Des Parlements de France, livre XIII, no 39, page 850.)

élevé cette question à la hauteur d'une question sociale. Antérieurement cette légitimité n'avait été contestée que par quelques voix solitaires, par quelques Pères de l'Eglise, par des écrivains ecclésiastiques, et enfin par quelques philosophes.

L'abolition de la peine de mort fut demandée bien des fois dans le cours de notre première révolution; elle fut réclamée par des hommes qui devaient bientôt en abuser monstrueusement ou en être les victimes. Etait-ce instinct et pressentiment? Voulaient-ils une garantie contre eux-mêmes ou pour eux-mêmes?

Au nombre des théoriciens abolitionistes étaient Robespierre et Marat. Il faut convenir qu'ils pratiquèrent singulièrement leur théorie. Malgré les observations dans le même sens de Péthion et de Duport; malgré le rapport de Lepelletier-de-SaintFargeau, la peine de mort resta inscrite dans le Code pénal de 1791. Presque sous le coup du poignard qui allait le frapper, l'ancien rapporteur de la Constituante, devenu membre de la Convention, Lepelletier-de-Saint-Fargeau, le jour même où il avait voté la mort de Louis XVI, portait à son libraire un manuscrit, dans lequel il réclamait l'abolition de la peine de mort.

Le 23 janvier 1793, Condorcet faisait à la Convention la proposition de cette abrogation.

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