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Il est bien évident qu'on chercherait vainement l'unité des sources législatives là où l'unité nationale ne subsistait pas et devait résulter seulement du travail des siècles, opérant sur les éléments les plus variés. Nos Codes ont, comme nous, des aïeux d'origine tout-à-fait diverse. Toutefois, deux éléments principaux semblent résumer les autres éléments : l'élément germanique et l'élément gallo-romain, voilà le fonds de notre Droit public et de notre Droit privé; voilà le fonds de notre Droit pénal. La lutte de ces deux éléments, ses vicissitudes, la fusion qui en est le dénouement, voilà l'histoire de notre Droit tout entier.

Dans quels monuments l'élément germanique s'est-il spécialement produit? — Dans la loi salique, dans la loi des Ripuaires, dans la loi Gombette et dans les Capitulaires.

Qu'était, à proprement parler, la LOI SALIQUE? Était-ce une série de dispositions impératives, puisaut leur force dans la volonté d'un pouvoir public, promulguées officiellement, ou n'était-ce qu'un ensemble de coutumes, de traditions, un recueil de décisions dû à quelque prud'homme ou légiste? Avait-elle été rédigée avant l'invasion germanique et en langue teutonique, ou ne le fut-elle qu'après l'invasion et en langue latine? De quelle époque date la première rédaction latine?

Toutes ces questions sont très controversées entre les savants. En France, MM. Guizot, Pardessus, Laferrière, notamment, les ont discutées après beau

coup d'auteurs allemands; nous devons rester étrangers aux débats qu'ont soulevés les deux premières questions.

Quant à la dernière question, l'opinion qui semble la plus plausible est que la loi salique fut publiée dans le V' siècle, sous le règne de Clovis, dans l'intervalle de l'an 488 à l'an 496.

Loi proprement dite ou coutume, elle dominait dans la France occidentale, c'est-à-dire dans la Neustrie. Mais cette source importante de l'élément germanique ne se présente déjà plus dans sa pureté ; l'élément germanique a déjà subi les effets du voisinage et du contact de l'élément romain.

Cette source est surtout importante pour le Droit pénal qui y tient presque toute la place, puisque sur 408 articles il en a pour sa part 343 (1); il est vrai que, d'après l'opinion de M. de Savigny, dans son Histoire du Droit romain au moyen-âge, ce qui nous a été transmis sous le nom de loi salique, n'est qu'un extrait incomplet qui ne traitait que des matières les moins importantes (2).

Quant à la loi des Ripuaires, elle a une origine moins ancienne; elle n'a été rédigée selon les uns qu'au VI° siècle, c'est-à-dire de 511 à 534, et selon

(1) M. Laferrière (Histoire du Droit civil de Rome et du Droit français, t. III, p. 216) compte dans cette loi, 412 articles, dont 356 relatifs à des matières pénales.

(2) Histoire du Droit romain au moyen-âge, traduction Guenoux, t. Ier, p. 98.

les autres, dont l'opinion est admise par M. Guizot, qu'au VII siècle, de 613 à 628. Elle contient, d'après le système le plus accrédité de distribution, 277 articles sur lesquels on en compte 164 relatifs au Droit pénal et 113 relatifs à d'autres matières. Dans cette loi, l'élément germanique a subi, plus encore que dans la loi salique, l'action de l'élément romain. Quelques dispositions même de la loi des Ripuaires se réfèrent à ce Droit.

Cette observation semble contredire le système de M. Guizot qui voit dans l'élément ripuaire un renouvellement de l'élément germanique que l'élément salien avait cessé d'exprimer. M. Guizot ne se fait pas l'objection, mais il est évident que sa réponse serait dans la date de la rédaction de la loi des Ripuaires qui est postérieure à la rédaction de la loi salique, et qui par suite a subi, plus encore que la loi salique, l'empreinte de la loi romaine.

Un troisième monument, dans lequel l'élément germanique joue encore un grand rôle, c'est la loi des Burgondes, vulgairement appelée loi Gombette, qui a été publiée, soit tout entière sous le règne de Gondebaud, soit seulement pour partie sous ce règne, et pour partie postérieurement, mais avant que la Bourgogne ne fût tombée sous la domination des Francs, c'est-à-dire avant l'année 534. Pour cette loi il est certain que ce n'est pas une simple collection de coutumes; c'est l'œuvre officielle d'un pouvoir régulier qui promulgue ses commandements; elle témoigne déjà des progrès plus grands dans la civilisation, et

elle porte plus fortement l'empreinte du Droit romain. Elle contient 182 articles de Droit pénal sur 354.

Je ne parle pas de la loi des Visigoths qui paraît avoir été rédigée en l'an 466, parce que les Visigoths furent expulsés en 507 par Clovis et furent rejetés sur l'Espagne, et que leur loi, très supérieure à la législation contemporaine, n'a eu qu'une influence très indirecte sur nos propres lois. Je renvoie, pour tous ces détails, aux neuvième et dixième leçons de M. Guizot sur l'Histoire de la civilisation en France. Ceux qui voudraient se reporter aux textes pourraient consulter les Barbarorum leges antiquæ de Canciani et les diverses leçons de la loi salique, publiées ent 1843 par M. Pardessus avec dissertations (1).

En l'année 768 Charlemagne publia une édition, révisée et augmentée de la loi salique; en 803, il promulgua des additions et modifications aux lois salique et ripuaire.

Louis-le-Débonnaire et Charles-le-Chauve publièrent eux-mêmes des dispositions destinées à être incorporées et ajoutées à ces mêmes lois. Ces dispositions modificatives ou additionnelles sont renfermées dans des ordonnances appelées Capitulaires (2).

(1) On peut consulter encore la Lex salica publiée par M. J. Maskel, Berlin, 1850, dont la Revue de Législation et de Jurisprudence a rendu compte, 1850, t. ш, p. 319.

(2) Il faut lire le chap. Iv, liv. IV, de l'Histoire du Droit civil de Rome, et du Droit français de M. Laferrière, tome In, p. 72-109 et les Appendices 1, 2, 3, 4, 5 et 6 du même volume, ainsi que le chap. vi, même livre, p. 234-252.

Le mot capitulaire, c'est-à-dire écrit divisé en petits chapitres, a été employé, comme appellation commune, pour désigner des documents très-divers par leur nature et par leur source. Il s'appliquait aussi bien aux documents émanés de l'autorité ecclésiastique qu'aux actes du pouvoir politique; toutefois ce titre sert plus particulièrement à désigner les ordonnances des rois des deux premières races.

Les Capitulaires, dont Baluze a publié la meilleure édition, ne sont pas tous des monuments législatifs ; des actes d'administration, des instructions adressées à des fonctionnaires, des décisions sur des contestations particulières, des nominations, des grâces figurent au nombre des Capitulaires et sous ce titre.

Quant à ceux des capitulaires qui constituent des dispositions législatives, ils sont rédigés tantôt à la suite des assemblées dites Champ-de-Mars ou de Mai, à la suite des placités généraux,-tantôt avec le concours des hommes les plus considérables parmi les laïques et parmi les ecclésiastiques, — tantôt avec le concours des hommes les plus considérables d'une de ces classes seulement, tantôt sans aucun concours.

Les capitulaires qui n'avaient pas été soumis à la délibération des placités différaient-ils des lois? Oui, dit M. Pardessus; ils n'avaient qu'une autorité provisoire; œuvre de la volonté royale, ils étaient révocables par le seul fait de cette volonté. Les lois, au contraire, délibérées dans les placités, ne pouvaient être révoquées qu'avec l'adhésion des placités, consensu omnium.

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