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plicable, le principe de la personnalité pouvait-il au moins recevoir son application? On comprendrait à la rigueur que la loi d'origine eût fait la règle quand la partie lésée et l'auteur de l'acte incriminé auraient eu une origine identique. Mais quand la partie lésée et l'auteur de l'acte incriminé avaient une origine diverse, quelle est la loi à laquelle on aurait pu s'attacher? La loi d'origine de l'offensé ? Mais c'eût été le contrepied du principe adopté en matière civile. C'était, en effet, la loi du défendeur qui faisait la règle, et ici on eût adopté la loi du demandeur. Se fût-on attaché à la loi d'origine de l'offenseur? Mais l'offensé n'aurait pas eu, pour sa garantie, la loi dont il eût subi les effets s'il l'avait lui-même violée. Est-ce que ce résultat eût été juste ?

D'ailleurs, quelle loi eût-on appliquée en matière pénale aux étrangers, à ceux qui n'étaient pas des regnicoles?

Cette grave question n'a pas été éclaircie et semble même n'avoir pas beaucoup préoccupé les savants.-M. de Savigny (Histoire du Droit romain au moyen-âge, chap. ш, t. I, p. 122) l'a soulevée; il professe, en principe, que la composition due pour un délit se réglait suivant la condition de l'offensé. C'eût été là une bien évidente dérogation à la règle du Droit civil d'après laquelle, jusqu'au Xe siècle au moins, on devait suivre la loi du défendeur.

Toutefois M. de Savigny cite un texte de la loi salique qui prouve qu'en cas de vol par un Romain au préjudice d'un Franc, l'amende était de 62 solidi,

et qu'au cas de vol par un Franc au préjudice d'un Romain, l'amende était de 30 solidi.

Ainsi la loi salique aurait été dans un cas applicable en raison de la qualité de l'offensé, et, dans l'autre cas, en raison de la qualité de l'offenseur.

Il nous paraît difficile d'admettre que le principe de la personnalité ait régi les matières pénales. Que ce principe ait réglé la forme des actes, la conséquence attachée par voie de présomption aux contrats; qu'il ait réglé l'ordre des successions, gouverné les familles et les propriétés, tout cela est conforme aux conséquences d'une conquête qui ne se proposait pas pour but la destruction des vaincus, mais réclamait seulement le partage du sol en se faisant seulement un peu la part du lion.

Nous croyons avec M. Pardessus, avec M. Aug. Thierry (1) qu'au dessus des lois spéciales de chaque race il y avait une loi commune, générale, qui régissait les habitants de tout le territoire sans aucune distinction d'origine.

Il n'est pas possible que le pouvoir, qui gouvernait les conquérants, s'en soit remis à la loi des vaincus pour déterminer ce qui leur était permis et ce qui leur était défendu.

Aussi, M. de Savigny lui-même (2) reconnaît-il que dans les Capitulaires il y en avait qui avaient un caractère général et s'appliquaient, par exemple sous

(1) Histoire du tiers-état, 2e édition. I, ch. 1o, p. 6. (2) Histoire du Droit romain, t. Ier, p. 122.

Charlemagne, à l'empire tout entier sans distinction entre les peuples d'origine diverse, tandis que d'autres avaient un caractère spécial et n'étaient faits que pour s'ajouter à telle ou telle loi ou pour la modifier (1).

Mais quelle était cette loi supérieure aux autres lois spéciales ? C'était la loi de la conquête primitive; la loi salique, la LOI proprement dite. C'était, ce semble, la loi Ripuaire sous la seconde race, si l'avènement des Carlovingiens s'explique par une seconde invasion germanique.

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Mais pourquoi donc avons-nous parlé des autres lois en matière pénale?- D'abord, parce qu'il est vraisemblable qu'en thèse générale, au moins, elles étaient suivies comme loi quand l'offensé et l'offenseur avaient la même origine et qu'il ne s'agissait que de faits qui ne s'attaquaient pas à l'existence du pouvoir, ou à la répression desquels le pouvoir croyait ne pas avoir d'intérêt bien direct; en second lieu parce que les lois spéciales, comme les éléments auxquels elles correspondaient, ont apporté chacune son contingent à l'œuvre de notre législation..

Ainsi le Droit pénal des Bourguignons dont M. Guizot (2) a constaté avec tant de soin la su

(1) Nous réjetons l'opinion de du Cange qui ne voit dans les Capitulaires que des suppléments, des appendices des différentes lois spéciales aux populations d'une certaine origine. -L'opinion de du Cange a été brillamment développée dans la Revue de législation, tome III de la 1re série. - Article de M. Jamet, p. 241.

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(2) Dixième leçon sur l'Histoire de la civilisation en France.

périorité (au moins comme loi de fond) sur les anciennes Coutumes germaines, ce Droit, dans lequel on rencontre, à côté de la composition, des peines corporelles et même des peines morales, a dû avoir, comme instrument de progrès, une part d'action. C'est ainsi que nous avons parlé du Droit romain et du Droit canon comme Droit pénal, bien qu'ils n'aient guère pu être appliqués à ce titre que dans quelques immunités ecclésiastiques (1).

II. Quels sont les principes qui ont dominé le Droit pénal du V au XIe siècle? En d'autres termes, quels sont les principes qui ont présidé à l'exercice du Droit de punir ?

Des principes qui ont présidé à l'exercice du droit de punir, il en est qui ont été contemporains de tous les âges de notre histoire. Il en est d'autres, au contraire, qui n'ont eu qu'un temps, qu'un moment, et qui ont bientôt cédé leur place à des principes supérieurs, témoignage d'une civilisation en progrès.

Les principes contemporains de tous les âges de notre histoire sont ceux qui expliquent pourquoi les violateurs des devoirs parfaits, des devoirs exigibles, des devoirs auxquels correspondent des droits, peuvent être atteints par un châtiment. —L'homme est libre, et partant responsable; voilà le principe qui n'a jamais varié.

(1) M. Laferrière, Histoire du Droit civil de Rome et du Droit français, III, liv. IV, ch. VIII, sect. 4, § 2, p. 428.

Mais à quel titre les hommes, considérés individuellement ou collectivement, sont-ils investis du droit d'infliger à un autre homme le châtiment même mérité? C'est là le point auquel les siècles ont apporté bien des solutions successives, qui ont été chacune un progrès, mais dont aucune peut-être n'est la vérité.

Le châtiment a été tour-à-tour une vengeance individuelle, puis une vengeance collective; puis une vengeance tout à la fois sociale et religieuse, et de plus un moyen d'intimidation; puis enfin un simple moyen de défense; puis un acte d'utilité publique; puis un acte de justice morale, et la dernière de ces six solutions n'est pas encore acceptée universellement de nos jours.

Quelle est celle de ces idées qui a dominé le Droit pénal du V au XI° siècle ?

Pour répondre à cette question il faut remonter aux traditions germaniques, dont Tacite s'est fait l'historien. Il n'y avait, chez les Germains que les crimes contre la chose publique qui fussent l'objet de pénalités proprement dites. Les attentats contre la propriété ou la personne des particuliers ne provoquaient pas de répression dans un intérêt d'ordre général; c'était une affaire purement privée entre, d'une part, l'offensé et sa famille, et d'autre part l'offenseur et sa famille. La répression même des attentats à l'autorité, à la propriété ou à la personne du chef, n'était que l'expression d'un intérêt individuel. L'idée d'un pouvoir personnifiant des inté

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