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On objecte que la résolution étant l'un des deux éléments du crime, l'ordonnateur et l'exécuteur sont au moins de moitié dans le crime.

On oublie que, pour qu'il en fût ainsi, il faudrait que l'exécuteur n'eût été qu'un outil, qu'il ne fût, dans l'infraction, que pour l'élément matériel, que sa volonté y eût été absolument étrangère. Or cette hypothèse ne se réaliserait qu'autant qu'on aurait conduit le bras de l'exécuteur, qu'on l'aurait mis en mouvement par une véritable contrainte physique, et alors le mandant serait son mandataire à lui-même : il serait, de cette fois, un auteur principal, parce qu'il aurait mis la main à l'œuvre, parce qu'il serait lié par le lien de cause à l'infraction. Mais quand, et c'est le cas le plus ordinaire, le provocateur reste à l'écart, quand il se cache, quand matériellement il n'est pour rien dans l'exécution, il a trouvé non seulement un bras, mais une volonté, une volonté peut-être non éclairée, une volonté peut-être irresponsable, mais une volonté sur laquelle il a pesé, cette volonté fûtelle la volonté d'un enfant ou d'un fou; de ce que, par exception, l'exécuteur pourra échapper à l'imputation, il faut se garder de conclure que l'instigateur sera puni pour son fait, à lui; il sera puni pour le fait d'autrui, à raison du lien intellectuel de la complicité, à raison d'un événement dont il sera bien, si l'on veut, la cause morale, mais dont il ne sera pas la cause juridique il ne sera pas un codélinquant (1).

(1) Contrà, M. Rossi, t. III, p. 13 à 49.-MM. Chauveau et

J'insiste sur cette observation, parce que, d'une part, elle est de nature à défendre notre loi contre des critiques qu'on a peut-être trop multipliées, et que, d'ailleurs, elle est de nature à bien vous faire comprendre la différence qui existe, et que j'ai toujours signaléc, entre la justice morale et la justice sociale. L'auteur d'une résolution criminelle qui la fait partager à son instrument, tandis qu'il ne s'associe pas à l'exécution, ne pourrait être juridiquement puni, à titre d'auteur principal, qu'autant que la société, en principe, voudrait frapper la volonté arrêtée lorsqu'elle aurait des moyens de constater son existence. Or tel n'est pas le principe de notre Droit pénal.

La loi, en général, ne punit pas la résolution, l'acte préparatoire; pourquoi les punit-elle chez l'agent qui, dans notre terminologie, n'est qu'un agent secondaire?

La loi punit la résolution et l'acte préparatoire chez l'agent principal, quand ces éléments ne restent pas isolés, quand ils sont suivis d'une infraction ou même d'une tentative qui n'a manqué son effet que par une circonstance indépendante de la volonté de son auteur; elle doit également les punir chez l'agent secondaire, sous les mêmes conditions, quand l'infraction a été commise ou tentée. L'agent secondaire, en effet, a contribué à la violation du commandement

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Hélie, t. Ier, p. 402, 3 édition. - Code pénal de Bavière, art. 45 et 46.

social; son concours, pour être moins direct, n'est guère moins dangereux.

De ce que le complice supporte la responsabilité d'un fait qui, légalement, n'est pas le sien, qu'il est seulement réputé avoir voulu s'approprier, il suit qu'il profite du désistement de l'agent d'exécution, d'une bonne pensée, d'une pensée de repentir ou d'une pensée même de crainte à laquelle il ne s'est pas associé (1). Que l'inexécution soit ou ne soit pas pour lui un mécompte, une déception, elle lui profite et le dérobe à la pénalité. Mais par contre ne doit-il pas courir toutes les chances attachées à l'exécution?

Oh! sans doute, s'il n'a voulu qu'un vol, il ne sera pas responsable d'un meurtre; s'il n'a commandé qu'un enlèvement, il ne sera pas responsable d'un viol (2); mais ne sera-t-il pas responsable des moyens employés à l'accomplissement du but final, par exemple, de l'escalade, de l'effraction qui auront été commises pour la perpétration du vol?

Oui, il les a prévus ou a dû les prévoir, par cela seul qu'ils sont en rapport avec le but. La loi doit présumer qu'il a donné une sorte de blanc seing à l'agent

(1) L'ordonnateur du crime, s'il était considéré comme un coauteur, ne devrait être affranchi de pénalité qu'à la condition que le désistement lui serait personnel.-La conséquence serait qu'une résolution, dont l'accomplissement n'aurait pas même été tenté, tomberait sous la répression sociale. C'est dans ce dernier sens que la question est tranchée par les art. 58 et 81 du Code de Bavière.

(2) Sic, Faustin-Hélie et Chauveau, t. I, p. 391 et 392.

ou aux agents d'exécution: le complice ne pourrait écarter la responsabilité de la circonstance aggravante qu'autant qu'il prouverait que le moyen mis en œuvre a été expressément exclu par lui. A défaut de cette preuve, il reste sous le coup d'une présomption que l'intérêt social commande, et qui, d'ailleurs, n'a rien de contraire aux idées de justice. L'agent qui reste en dehors de l'exécution serait vraiment de trop bonne condition s'il devait recueillir le profit de tout ce que les circonstances et les exigences de la position pourraient imposer à l'homme d'action, s'il n'encourait que les chances heureuses et restait étranger à toutes les chances mauvaises: ce serait un fâcheux encouragement aux criminels qui se cachent, et qui sont souvent les criminels les plus dangereux, que de placer la société dans l'obligation de leur prouver que leur volonté a été adéquate aux actes d'exécution (1).

Je n'irai cependant pas jusqu'à dire que si l'agent chargé de l'exécution du vol avait, accessoirement au vol, commis un meurtre, le complice contre lequel la société n'établirait que l'existence d'une participation accessoire au vol, devrait être responsable du meurtre. Ici il s'agit, non plus d'une circonstance aggravante de l'infraction qui a été le but, mais d'une infraction plus grave; et, bien que cette infraction n'ait été qu'un moyen, il convient de présumer

(1) Contra, M. Rossi, t. III, p. 41. MM. Chauveau et Hélie ne sont pas très explicites sur ce point; ils semblent cependant partager l'opinion de M. Rossi.

favorablement que ce moyen que ce moyen eût été exclu par le complice, s'il eût pu le prévoir. Ce ne serait qu'autant que le meurtre, dès le principe, aurait dù apparaître comme une nécessité du vol que le complice devrait en subir la responsabilité; mais la présomption, loin d'être contre lui, serait pour lui (1).

Le complice, ai-je dit, bénéficie et doit bénéficier du repentir de l'agent d'exécution: que décider si l'exécution s'opère à une époque où le complice avait cessé de vouloir l'infraction, et où il eût voulu mettre tout en œuvre pour en prévenir la réalisation?

On fait une distinction; on dit: si le désistement du complice a été révélé à l'agent d'exécution, c'est un désaven anticipé qui décharge de la responsabilité de l'acte, puisque la complicité n'existait plus au moment où cet acte s'est accompli; que si l'exécuteur n'a pas connu le changement de volonté, tant pis pour le complice, il ne s'est pas repenti à temps, puisqu'il n'a pas pu parvenir à faire partager son repentir comme il avait fait partager sa résolution (2).

(1) L'art. 80 du Code pénal de Bavière est plus sévère que notre doctrine; il ne paraît pas faire notre distinction :

« Si le prévenu de complicité prétend n'avoir voulu donner << assistance qu'à un crime moins grave que celui commis par « l'auteur principal, ce moyen de défense sera rejeté, à moins << que le complice ne prouve avoir exclusivement promis son <«< concours à l'auteur principal pour un crime d'une gravité <«< inférieur à celle du crime commis. Dans ce cas seulement, <«< la peine devra être appliquée au complice en raison du «< crime auquel il avait l'intention de prêter assistance. »> (2) M. Rossi, t. III, p. 36 et 37.

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