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rêts collectifs, les incarnant en quelque sorte, ne précède pas la civilisation et n'apparaît que très faiblement dans l'enfance des sociétés.

Cependant aussitôt que le pouvoir eut acquis quelque fixité et accru son influence avec ses moyens d'action, il ne tarda pas à reconnaître que les guerres privées et ces appels incessants à la force, comme instrument du rétablissement de l'ordre, avaient pour résultat d'entretenir le désordre et entravaient son propre développement à lui-même, en compromettant son avenir.

La loi ne supprima pas d'abord et sans transition, le droit de vengeance individuelle; elle respecta longtemps le principe; elle le limita et se contenta de le subordonner à de nombreuses conditions; elle proclama d'abord l'inviolabilité de la maison de l'offenseur. La vie de l'offenseur lui-même n'était pas inviolable, elle n'était pas abritée contre les représailles des parents de la victime; mais l'offenseur ne pouvait pas être poursuivi dans son foyer, sous peine d'une amende égale à sa valeur personnelle, si la poursuite avait lieu sans préméditation, - sous peine d'une amende neuf fois égale à sa valeur s'il y avait pré

méditation.

La loi, après avoir proclamé l'inviolabilité de la maison de l'offenseur, proclama l'inviolabilité de certains lieux publics déterminés de l'église, d'abord, du mallum, du marché ; et de là le droit d'asile qui a joué un si grand rôle dans le moyen-âge.

Après avoir interdit ou au moins suspendu la

vengeance en de certains lieux, la loi interdit et suspendit la vengeance en de certains temps: les jours de fête et pendant des périodes entières consacrées par la foi religieuse, comme pendant l'Avent.

Enfin, la loi finit par interdire et suspendre le Droit de vengeance individuelle en présence des représentants de l'Etat ou en présence des représentants de l'Eglise (1).

Ce n'était pas assez la loi voulut paralyser le Droit de vengeance individuelle même dans les lieux et dans les temps où il pouvait se déployer librement. Pour faire taire ce sentiment de la vengeance elle s'adressa au sentiment de la cupidité.

Dans les délits en général, la loi ne vit que le côté matériel, le préjudice causé, et elle tarifa,-d'après une échelle calculée sous l'empire d'idées très complexes, les diverses indemnités pécuniaires que l'offensé ou sa famille aurait droit de réclamer en renonçant à la vengeance privée; mais elle n'osa pas imposer l'acceptation de ces indemnités comme prix de l'offense reçue.

N'intervint-elle que comme médiatrice, offrant une transaction fixée à l'avance, mais laissant à l'offensé et à l'offenseur une égale liberté d'opter pour la guerre privée ? C'est là l'opinion que professe M. Guizot dans sa neuvième leçon sur l'Histoire de la civilisation en France.

(1) Lehuërou, Hist. des Instit. mérovingiennes et carlovingiennes, t. II, chap. IV, p. 370.

Ne réserva-t-elle pas seulement cette option entre la guerre privée et l'acceptation d'une indemnité pécuniaire à l'offensé et à sa famille, et ne garantit-elle point dès l'origine son intervention efficace pour contraindre l'offenseur au paiement du wehrgeld, si ce mode de réparation était agréé ?

Si nous ne nous abusons, voici comment se réalisa l'intervention du pouvoir social.

Primitivement, les compositions et leur quotité n'avaient été qu'une affaire de convention. Plus tard, le pouvoir fit effort pour régulariser et imposer ce qui était resté dans le domaine des libertés individuelles. Il institua des juridictions pour juger les crimes privés et conséquemment :

1o Pour prononcer la condamnation au paiement des compositions;

2° Pour assurer, par la force, l'exécution de la condamnation, si elle était possible, et à son défaut, pour faire subir à l'offenseur la mort ou l'esclavage.

Il dépendit d'abord des offensés de ne pas saisir les juridictions, de ne pas se plaindre et de garder pour eux le soin de se faire justice.

Plus tard les offensés ne conservèrent le droit de vengeance personnelle qu'autant qu'ils l'exerçaient incontinent, au moment même de l'offense, c'est-àdire au moment où le délit était flagrant.

Plus tard enfin, ce droit leur fut complètement enlevé et la composition fut aussi bien une loi pour les offensés que pour les offenseurs.

Indépendamment de la composition qui profitait

aux offensés, il y avait une amende, le fredum, qui profitait à la juridiction saisie et qui était en quelque sorte la rémunération de l'intervention du pouvoir. Mais ce fredum, et ceci est très remarquable, devait être payé, non pas directement à la juridiction qui en avait prononcé condamnation, mais à la partie lésée, à la partie poursuivante qui en faisait la remise au pouvoir (1) sans doute parce qu'il était censé avoir fait son affaire et avoir agi pour elle en vertu d'une sorte de mandat.

A quelle époque la composition fixée par la puissance publique devint-elle obligatoire et pour l'offensé et pour l'offenseur? Ne fut-ce qu'au VIII' siècle, comme le soutient M. Guizot? Nous serions porté à croire que ce principe s'est introduit plus tôt, sinon dans les faits, dans la pratique, au moins dans le Droit.

Au milieu des désastres de l'anarchie des VI et VII. siècles, le principe a bien pu rester sans puissance, bien qu'il fût écrit dans la loi.

Quoi qu'il en soit, et quelle que puisse être la date de son avénement comme Droit, ce principe est-il exclusif de l'idée de vengeance personnelle? Comme inspiration de la législation pénale, l'idée de vengeance personnelle n'est-elle pas déjà remplacée par l'idée plus haute d'une vengeance publique au nom et au profit de l'ordre général ?

La pensée qu'un intérêt plus large que l'intérêt in

(1) Mlle de Lezardière, Théorie des Lois politiques, part. III, liv. III, ch. v, t. II, p. 90.

dividuel doit présider à la répression des délits commence peut-être à poindre, mais cette pensée n'était certainement pas encore le fond et la vie du Droit pendant cette période.

L'idée de ce que nous appelons aujourd'hui l'Etat, c'est-à-dire de cette unité nationale qui représente à la fois les gouvernants et les gouvernés, ne pouvait exister parce que la chose n'existait pas et que son image ne fit qu'apparaître dans les tentatives de Charlemagne, dans des oeuvres qui ne trouvèrent pas de continuateurs.

Le pouvoir n'intervenait dans la répression qu'à titre de force supérieure et pour ne pas être compromis, atteint par la lutte désordonnée des forces individuelles.

Voilà la pensée qui dominait la justice exercée au nom du roi. A cette pensée s'en joignait une autre dans les justices privées, dépendances des grands alleux, des bénéfices et des immunités ecclésiastiques; c'est que les justiciables étaient pour le supérieur justicier, une richesse, un bien, un élément en quelque sorte patrimonial, et qu'il fallait garantir la propriété, hommes et choses, de ces luttes anarchiques au sein desquelles elle pouvait dépérir.

Un fait pour nous est la preuve décisive que l'idée de vengeance privée domine la répression sous les deux premières races, bien qu'il s'y mêle déjà peutêtre un autre élément; c'est le genre de preuve qui prévaut dans les jugements.

Sans doute la preuve à l'aide de témoins du fait

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