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reproché à l'offenseur qui le conteste, n'est pas proscrite; elle est admise, elle est même d'abord préférée aux autres genres de preuves; mais elle est bientôt dédaignée et repoussée comme indigne de confiance, à cause des nombreux exemples de parjure.

La preuve par des cautions, par des conjuratores qui attestent l'innocence de l'accusé ou la véracité de l'accusateur; la preuve demandée à Dieu, sous l'influence ecclésiastique, au moyen des épreuves de la croix, du fer chaud, de l'eau bouillante, sont négligées; le duel judiciaire est chargé presque exclusivement de résoudre toutes les questions.

Le pouvoir ne prévient pas les combats individuels, il les régularise.

En admettant avec Montesquieu (1), avec M. Laferrière (2), que la loi salique ne reconnût pas le duel judiciaire, il est certain que ce genre d'épreuves ne tarda pas à prendre de l'extension, qu'il s'incorpora à la coutume générale des Francs, et qu'au moins sous la deuxième race, il occupa la principale place, pour ne pas dire une place presque exclusive, dans la procédure (3).

On

peut faire deux objections pourtant :

(1) Esprit des Lois, liv. XXVIII, chap. XIV.

(2) Histoire du Droit civil de Rome et du Droit français. tome III, p. 230.

(3) Esprit des Lois, liv. XXVIII, chap. xvIII.—M11 de Lezardière. Théorie des lois politiques de la monarchie française, partie III, livre III, chap. XVI, tome II, p. 102, et aux Preuves des chap. xv et xvi du même tome, p. 506-513.

1o Le duel judiciaire était le moyen de preuve le plus accrédité, non seulement en matière criminelle, mais en matière civile, et dès lors on ne saurait, de son adoption, légitimement conclure qu'une seule chose, à savoir: que du V° au XI° siècle, les intéressés étaient les principaux artisans de la justice qu'ils demandaient, et que la force jouait un grand rôle dans cette justice.

2. A partir du règne de Charlemagne au moins, comme l'établissent et un capitulaire de 789 et un capitulaire de Louis-le-Pieux de 819, la répression, même pour les délits qui, à cette époque, n'étaient considérés que comme privés, pouvait avoir lieu d'office, non pas sans doute à la requête d'un magistrat créé ad hoc, mais à la requête du dépositaire du Droit de justice, du chef de la juridiction; ce qui semble indiquer qu'un intérêt en dehors de l'intérêt de la partie lésée servait de base à l'accusation (1).

-Réponse :

De quoi s'agit-il ? — De déterminer entre ces deux idées à savoir, la vengeance individuelle qui assurait incontestablement la répression avant que le principe des compositions fût admis comme obligatoire, et la vengeance publique qui a dominé plus tard, laquelle a prévalu du Ve au XI• siècle.

(1) On peut voir en sens contraire une dissertation très curieuse dans le Droit public de la France, éclaircie par les monuments de l'antiquité, de Bouquet, avocat au Parlement, t. Ier, p. 130-165.

L'idée de vengeance était, avant, pendant et après l'époque que nous étudions, le fondement de la pénalité. Eh bien, établir que du Ve au XIe siècle, une place large, prépondérante était faite à l'élément personnel et à la force individuelle, n'est-ce pas établir que l'intérêt de l'offensé avait le pas sur tout autre intérêt et que la vengeance individuelle était limitée, régularisée, affranchie de ses excès plutôt que supprimée ?

D'ailleurs, - et Montesquieu en a fait la remarque (1), le duel judiciaire est une preuve qui appartenait originairement et exclusivement à la procédure pénale. — La procédure civile l'a empruntée et a fini par se la rendre commune.

J'ajoute que lorsque plus tard le duel judiciaire succombera, sous les efforts persévérants de l'Eglise, il se renfermera dans les matières criminelles, ne servira plus que pour l'application de quelques graves pénalités (2).

Or si le duel judiciaire a été avant tout et pardessus tou!, un instrument répressif, comment ne fournirait-il pas quelque révélation sur la pensée qui présidait à la répression?

Quant à la seconde objection, je ne conteste pas que du Ve au XIe siècle, à l'idée de vengeance individuelle, ne soient venus se joindre des éléments étrangers et notamment le désir de profiter des amendes,

(1) Esp. des Lois, liv. XXVIII, ch. XVIII.

(2) Ordonnance de 1306.

des freda, et peut-être aussi dans une certaine mesure, le besoin de réprimer le désordre.

Toutefois, la poursuite, quant aux crimes qui n'étaient pas considérés comme des crimes publics, n'était pas une obligation, mais une simple faculté pour le dépositaire du droit de justice, et, chose à noter! ce n'était guère que dans ces poursuites qui n'étaient pas l'expression d'un intérêt purement privé qu'en l'absence de témoins, la preuve par le serment des conjurateurs était appliquée et que le duel judiciaire n'était pas mis en pratique : tant il est vrai que le jugement demandé au courage et à la force, se liait à l'idée de vengeance individuelle (1)!

Ensuite la poursuite d'office n'était pas la poursuite ordinaire et normale, mais une poursuite exceptionnelle, subsidiaire, pour le cas où l'offensé ou sa famille ne prendraient pas l'initiative.

Je recommande à ceux d'entre vous qui ne dédaignent pas les curiosités scientifiques et les antiquités du Droit, quatre articles de M. Koenigswarter sur la vengeance, les compositions, le serment, les ordalies et le duel judiciaire (2).

L'exception qui ne permettait pas de s'affranchir, par des compositions, des peines attachées à certains

(1) Mlle de Lezardière, Théorie des Lois politiq. de la monarchie française, partie 3, liv. III, ch. x et xvi, t. II, p. 96 et 103. (2) Revue de législ. — 1849. Tome II, p. 117. 357; tome III, p. 344.1850, tome Ier, p. 5. On peut consulter aussi les Origines du Droit français, de M. Michelet, p. 51-56 et p. 339-353.

crimes, était déjà, je le reconnais, une sorte d'acheminement à l'idée de vengeance sociale.

Ce que je crois, c'est que les éléments étrangers à l'idée de vengeance individuelle, n'étaient pas véritablement l'explication générale et fondamentale de la poursuite, et qu'ils n'avaient qu'une influence secondaire et accidentelle.

Ce que je crois, c'est que les matières pénales étaient dominées par cette pensée, que Cicéron a si énergiquement traduite : « Natura partes habet duas, tuitionem sui et ulciscendi jus (1).

(1) Cicéron, Top. cxxшш.

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