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C'est cette révolution dans le Droit de poursuite qui fit grandir pendant cette période l'institution du ministère public, cette institution qui s'est conservée jusqu'à nos jours.

Quelle fut l'origine précise de cette institution? Dut-elle sa naissance aux intérêts purement privés des seigneurs justiciers qui devaient se faire représenter par des procureurs pour leurs causes privées ? Dut-elle sa naissance à un intérêt fiscal que le seigneur justicier, ne voulant ou ne pouvant représenter lui-même, fit représenter par un officier public, son mandataire? Dut-elle sa naissance à un intérêt public, à l'intérêt de la sécurité générale ? C'est une question très débattue entre les historiens du Droit. Ce qui est certain, c'est que le mandataire d'intérêt privé ou d'intérêt publie fut bientôt constitué le représentant de l'ordre général près de la juridiction à laquelle il était attaché; qu'il fut le dépositaire de l'action publique; qu'il eut le droit et le devoir de mettre en mouvement cette action, indépendamment de toute initiative des intérêts privés.

Il y eut des procureurs du roi dans toutes les juridictions royales, dans les Parlements, dans les bailliages et les sénéchaussées (1). Il y eut des procureurs

(1) Ordonnance du 25 mars 1302, art. 15.-Ordonnance de juillet 1319, art. 7. Ordon. des 28 décembre 1355, mars 1360, 20 juillet 1367, 22 novembre 1371. Ortolan et Ledau, le ministère public, INTRODUCTION, p. 21 et suiv. Faustin-Hélie, Instruction criminelle, t. Ier, p. 459.-Montes-. quieu, Esprit des Lois, liv. XXVIII, chap. xxxv.

seigneuriaux dans les justices seigneuriales et des promoteurs dans les cours d'église.

Mais, de ce que l'intérêt individuel n'a plus le premier rôle dans la répression, est-il permis de conclure que c'est l'intérêt général qui prédomine? peut-être la prédominance appartient-elle à l'intérêt seigneurial. Quatre faits nous semblent témoigner de la prédominance d'un intérêt supérieur à l'intérêt seigneurial :

1o La royauté transforme la cour féodale, qu'elle avait comme suzeraine, en tribunal suprême et régulateur, planant au-dessus de toutes les juridictions des seigneurs et même au-dessus des cours d'église. Elle attribue à ses juridictions un droit souverain de réformation sur toutes les décisions rendues en matière criminelle, de quelque source qu'elles émanent. C'est le principe actif et énergique appelé le principe du ressort. La royauté se constitue ainsi juge d'appel d'une manière générale et absolue de toutes les questions pénales. Elle reprend ainsi possession d'un élément de souveraineté dont la procédure par gage de bataille avait singulièrement favorisé l'usurpation de la part des justices terriennes, puisque le jugement de Dieu excluait tout recours.

2o La royauté, par ses légistes, invente les cas royaux, dont elle réserve la connaissance à ses officiers, à ses baillis, à ses sénéchaux, ou même directement à son Parlement.

Tous les cas royaux, dans l'enclave de quelque seigneurie qu'ils se commettent, sont de la compétence exclusive des juges royaux.

Qu'étaient les cas royaux ?

Les jurisconsultes de la royauté se gardèrent bien d'en donner une définition limitative.

Les cas royaux, c'étaient les crimes qui pouvaient être considérés comme une atteinte aux droits du roi, ou une offense contre son autorité. Voilà une définition élastique et partant commode.

La liste de ces crimes fut d'abord peu nombreuse, puis elle alla s'élargissant ; elle subit toutes les vicissitudes de la lutte de la royauté contre la féodalité. Quand la royauté était forte et victorieuse, il n'y avait guère de crime qu'on ne pût faire rentrer dans les cas royaux. C'était, a-t--on dit, faire acte d'usurpation sur les justices seigneuriales; non, c'était ressaisir un des éléments les plus importants de la souveraineté qui s'était fractionnée dans les périodes précédentes.

3o Les jurisconsultes et les officiers judiciaires de la royauté inventèrent et accréditèrent un autre principe également très fécond: le principe de la prévention.

Qu'est-ce que le principe de la prévention ?

C'était un principe en vertu duquel les juridictions royales pouvaient, sous prétexte de retard dans la poursuite par les justices seigneuriales, se saisir, par l'effet de la priorité de leurs diligences, de la répression de crimes dont elles n'étaient pas naturellement juges, et dont la connaissance ne leur était réservée à aucun titre.

La royauté était censée rendre une justice refusée

par mauvaise intention, ou au moins par négligence. La justice c'était une dette royale que les rois s'empressaient d'acquitter. C'était l'ancienne défaute de Droit, l'évocation, pour déni ou impossibilité de justice, agrandie et métamorphosée; le Droit d'évocation n'était plus subordonné qu'à l'initiative des juridictions royales (1).

4° Les jurisconsultes de la royauté invoquèrent souvent et finirent par faire triompher le principe de la compétence teritoriale. Ce principe fut une grande conquête, mais cette conquête coûta bien des efforts.

Ce principe était trop hostile à l'organisation féodale pour parvenir à s'imposer sans de rudes combats. Il fut conquis par la royauté, puis perdu par elle, puis reconquis.

Considérez, en effet, l'importance, de ce principe: si la répression du crime appartenait à la juridiction des lieux où il avait été commis, et non à la juridiction du domicile de l'agent, c'est que le lien qui attachait le justiciable au seigneur était rompu, au moins sous le rapport de la répression.

C'est que le seigneur ne pouvait plus revendiquer la justice sur ses hommes comme conséquence de son droit de propriété ou de sa supériorité féodale.

(1) M. Faustin-Hélie, de l'Instruction criminelle, t. Ir, p. 319; et M. Pardessus, Essai historique sur l'Organisation judiciaire, p. 190 et suiv.; M. Laferrière, Histoire du Droit français, t. IV, p. 98. Conf., Montesquieu, Esprit des lois, livre XXVII, chap. XXVIII.

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Que disait-on en faveur du principe de la territorialité ?

On disait que la compétence territoriale offrait plus de facilités pour la preuve, pour l'instruction, pour la recherche des éléments de conviction, et qu'elle offrait, d'ailleurs, plus de garanties de sévérité, parce qu'il serait plus difficile de soustraire le coupable à la répression sur le théâtre du crime, au milieu des intérêts qu'il avait lésés que là où il avait laissé ses influences de famille ou de patronage. Mais si ces excellentes raisons prévalurent, c'était donc qu'on se préoccupait plus de l'intérêt de la vengeance sociale que de l'intérêt de la vengeance seigneuriale, puisqu'on foulait aux pieds les règles et les traditions de l'organisation féodale pour faire prévaloir les nécessités d'ordre public.

Cette idée ressort non seulement des faits, mais elle s'écrit elle-même et s'affirme expressément dans les monuments scientifiques ou législatifs contemporains.

On lit dans la rubrique du chapitre 30 des Coutumes de Beauvoisis: De pluriex meffès et quele venjance doit estre prise de chascun meffet, etc., etc.

Dans le corps de ce chapitre, au n° 61, on lit

encore:

<< Bonne coze est que on queure au devant des <«< malfeteurs et qu'ils soient si radement pusni et << justicié selonc lor meffet, que por le doute de le justice li autre en prengnent exemple, si que il se << gardent de meffère. Et entre les autres meffès

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