bafe & le fondement de la doctrine évangélique FEVRIER 4. Auffi le grand ferviteur de Dieu, dont nous venons de donner la Vie, en fit-il la regle de fa conduite. De là cette ardeur à mortifier fes fens, à conferver fon ame dans le recueillement, à déraciner le vice de fon coeur, & à épurer de plus en plus toutes les affections. C'eft faute de mettre la même maxime en pratique, qu'on voit fi peu de vrais Saints dans le monde, & même dans le Cloître. Combien perdent le fruit de leurs travaux, parce qu'ils négligent la fcience qui apprend à mourir à foi-même ? Cette négligence favorise l'amour propre, qui n'étant point réprimé, infecte leurs bonnes oeuvres, & fouille leurs vertus de mille imperfections; & voilà pourquoi il n'eft pas rare de trouver des Religieux mêmes, qui, après avoir paffé plufieurs années dans l'étroite obfervance de leur Regle, font encore arrêtés par la plus légere contradiction & le plus petit obftacle. Ils ne fortiront jamais de cet état d'imperfection, à moins qu'ils n'attaquent le mal dans fa fource c'eft-à-dire, à moins qu'ils ne travaillent à acquérir ce renoncement parfait qui immole à Dieu tout l'homme terreftre. Les combats qu'il faudra livrer n'auront rien qui les effraie s'ils penfent à cette précieuse liberté des enfants de Dieu, qui fera la récompenfe de leurs victoires. C'étoit l'efpérance de fe procurer cet ineftimable tréfor qui foutenoit les anciens Solitaires. Soumis à leurs Supérieurs qu'ils regardoient comme leur tenant la place de Dieu, ils ne se laisfoient point décourager par les épreuves auxquelles on mettoit leur fidélité; ils s'armoient de patience, & prenoient avec joie les remedes qu'on leur prefcrivoit pour la guérifon de leurs ames, fans s'arrêter à l'amertume qui rebutoit la délicateffe de la nature,

SAINT PHILÉAS,
ÉVÊQUE DE THMUIS,
& SAINT PHILOROME,
Martyrs en Égypte.

Voyez Eufebe, Hift. 1. 8. c. 9. S. Jérôme, Cat.
in Philea; & les Actes de nos faints Martyrs,
publiés par le P. Combefis, le P. Henfchénius
& D. Ruinart.

Entre les Années 306 & 312.

PHILÉAS naquit à Thmuis en Égypte (a), d'une famille qui allioit la nobleffe à de grands biens. Il reçut une excellente éducation, & fe rendit enfuite fort recommandable par fon favoir & par fon éloquence. S'étant converti à la Religion chrétienne, il fut élu Evêque de Thmuis même. On l'arrêta pour le conduire dans les prifons d'Alexandrie, fous les fucceffeurs de l'Empereur Dioclétien. Cé bon Pasteur, tout occupé du foin de fon troupeau, lui adreffa de fa prifon une lettre pour le confoler & l'exhorter à la perfévérance (b). Il y décrivoit les tourments qu'on avoit fait fouffrir aux Confeffeurs qui étoient avec

(a) Thmuis étoit capitale du 'te. Ce n'est plus aujourd'hui Nome ou District de Mendès. qu'un petit village, qu'on appelle Strabon lui donne le nom de Men Themoi, ou plutôt Themowia. dès, qui, en Égyptien, fignifie Voyez le P. le Quien,'Or. Chr. un Bouc, parce que Pan y étoit T. 2. p. 538. adoré fous la figure de cet ani- (b) On trouve une partie de mal. Nous apprenons d'Ammien la lettre de S. Philéas, dans Marcellin, l. 22. que cette ville l'Hiftoire Eccléfiaftique d'Euétoit autrefois une des plus ri- febe, 1, 8. c. 10. p. 302. ches & des plus grandes d'Egyp-1

Tome II.

E

i

FÉVRIER 4.

lui. « Chacun, difoit-il, pouvoit les infulter &
22 les maltraiter impunément. C'étoit à qui les
» frapperoit avec des verges, des cordes, des
>> courroies , ou même avec de gros bâtons
» noueux..... Tantôt on en voyoit un lié à un
» poteau, ayant aux pieds & aux mains des cor-
» des
qui étant tirées avec violence par le
» moyen de quatre roues qu'on tournoit avec ra-
» pidité, l'écarteloient miférablement. Tantôt on
» déchiroit à un autre le ventre, les côtés, les
» bras, les jambes & les joues, avec des peignes
» de fer. On pendoit celui-ci par un bras.... On
>> attachoit ceux-là à un pilier, en forte néanmoins
» que leurs pieds ne touchoient point à terre
» afin que les cordes ferrées par la pefanteur du
» corps, entraffent bien avant dans la chair. Ces
» tourments duroient quelquefois tout un jour. On
» en mettoit plufieurs dans des ceps, les pieds
» écartés jufqu'au quatrieme trou; mais la plu-
» part étant ramenés en prifon, y demeuroient
» couchés fur le dos, parce qu'ils étoient inca-
»pables de toute autre fituation, à caufe de la
» multitude de leurs contufions & de leurs plaies.
» Il y en avoit qui expiroient entre les mains
» des bourreaux, &c. ».

Le Gouverneur Culcien (c), dans un long interrogatoire qu'il fit fubir à notre Saint, lui demanda entre autres chofes fi Jefus Christ étoit Dieu. Philéas répondit affirmativement, & prouva la divinité de Jefus-Chrift par les miracles qu'il avoit opérés. Culcien lui ayant témoigné beaucoup d'eftime, tant pour fon mérite, que pour fa qualité, ajouta : « Si vous étiez réduit à la

(c) De Gouverneur de la le tyran Maximin. Licinius le Thébaïde, il étoit devenu Gou- condamna à perdre la tête ea verneur de toute l'Égypte, fous 313.

▸ derniere misere, & que pour en être délivré, » vous me demandaffiez à mourir, je ne balan- FÉVRIER 4o > cerois pas à vous l'accorder; mais vous êtes » riche, vous avez des revenus fuffifants pour » votre fubfiftance, pour celle de votre famille; » vous pourriez même faire fubfifter prefque toute » une province. J'ai donc pitié de vous, & je »mets tout en ufage pour vous fauver ». Ceux qui étoient avec le Gouverneur, voulant abfolu ment conferver la vie à Philéas, dirent : « Il a déjà » immolé dans le Phrontiftere (d). Le Saint ré»pondit: non je n'ai point immolé; mais dites >> fimplement que j'ai facrifié, & vous direz vrai ». Il donnoit à entendre par-là qu'il n'avoit point immolé de victimes & d'animaux, mais qu'il avoit offert à Dieu un facrifice plus fpirituel, comme celui de la priere, ou même celui de l'Euchariftie (1).

Ses proches étoient préfents, ainfi que plu fieurs autres perfonnes de diftinction. Le Gou verneur espérant qu'il fe laifferoit attendrir par les fentiments de la nature, lui dit : « Voyez le dé» plorable état où votre femme fe trouve réduite. » Le Martyr répondit: Jefus-Chrift, le Sauveur » des ames, qui m'appelle à l'héritage de fa

gloire, y peut auffi appeller ma femme, s'il le » veut ». Les Avocats, touchés de compaffion, dirent à Culcien : « Philéas demande un délai. » Le Gouverneur, en s'adreffant au Saint: je » vous l'accorde, afin que vous penfiez un peu » à ce que vous avez à faire. J'y ai penfé, ré>>pliqua Philéas & je perfifte toujours dans » la ferme réfolution de mourir pour Jefus

(1) Voyez Tillemont & Ceil

» Chrift ». Alors les Juges, le Lieutenant de l'Em FÉVRIER 4. pereur, qui étoit le premier Magiftrat de la ville, & tous les autres Officiers de la Juftice, s'étant joints aux proches de Philéas, fe jetterent tous à fes pieds, & le conjurerent d'avoir pitié d'une famille défolée, & de ne pas abandonner fes enfants dans un âge où fa vie leur étoit fi néceffaire; mais le Saint, femblable à un rocher que la fureur des vagues ne peut ébranler, éleva fon cœur à Dieu, & protefta qu'il ne reconnoiffoit pour fes parents que les Apôtres & les Martyrs. Il fe trouva parmi les affiftants un Tribun qui étoit en même temps Tréforier Général de l'Empereur à Alexandrie. Il avoit dans la ville un Tribunal particulier, où il jugeoit les procès avec plufieurs perfonnes de grande confidération. On le nommoit Philorome. Pénétré d'admiration pour les réponfes de Philéas, & indigné de l'acharnement de fes ennemis à le perdre, il s'écria : « Pourquoi » vous opiniâtrer ainfi à vouloir vaincre la ré» fiftance de ce brave homme? Pourquoi cher» cher à le rendre infidele à fon Dieu par une

lâche complaifance? Ne voyez-vous pas qu'il » n'envifage que la gloire du Ciel, & qu'il n'a » que du mépris pour toutes les chofes de la » terre ». Ces reproches irriterent l'affemblée qui demanda la mort de Philéas & de Philorome. Ils furent donc condamnés tous deux à perdre la tête.

Comme on les conduifoit au fupplice, le frere de Philéas, qui étoit du nombre des Juges, dit:: « Philéas défire qu'on lui accorde fa grace ». Culcien l'ayant fait rappeller, lui demanda fi cela étoit vrai. «Moi, répondit le Saint, à Dieu ne » plaise. Bien loin de fouhaiter la révocation de la fentence qui me condamne à mort, je n'ai