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AN. 1063.

I L

Saint Rodolphe

chantant les fept pfeaumes avec les litanies; ils fe con-
tenterent de les dépoüiller. Mais cette violence ne fit
que rendre Pévêque plus odieux, & groffir beaucoup
le parti des moines. Dès le lendemain quantité de Flo-
rentins de Pun & de Pautre fexe vinrent à faint Salvi
apporter chacun felon fon pouvoir ce qui étoit nécessaire
aux moines. Ils s'eftimoient heureux d'en voir quel-
qu'un, ou de recueillir de leur fang, & le garder pour
rélique. Jean Gualbert qui étoit alors à Vallombreuse,
ayant appris cette nouvelle, revint promptement à faint
Salvi, par
le défir du martire. Il félicita l'abbé & les
moines de ce qu'ils avoient fouffert, & ils allerent har-
diment à Rome accufer Pévêque dans le concile qui s'y
tint en 1063.

En arrivant à Florence, Pierre Damien apprit la d'Eugubio. mort de Rodolphe évêque d'Eugubio, dont il fut fenVita S. Rod. fiblement affligé ; & comme le pape Alexandre lui avoit p.152.& ap. Petr. ordonné de ne lui écrire que des lettres édifiantes &

fac.6. Ben. par.2.

Dam. p. 209.

dignes d'être gardées, il lui écrivit la vie de ce faint prelat qui avoit été fon difciple. Il y a environ sept ans, dit-il, qu'ayant mis fes ferfs en liberté, il me donna du confentement de fa mere & de fes freres, fon château qui étoit imprenable, avec toutes les terres, & vint à notre défert, c'est-à-dire, à Fontavellane, où il prit Phabit monaftique. Pierre fon frere aîné embrassa auffi la vie éremitique, & ils la pratiquerent avec tant de régularité & d'aufterité, qu'ils étoient admirez de ceux qui vivoient avec eux, ou qui en entendoient parler.

Un jour comme nous étions en chapitre faifant une conférence, il échappa une parole inconfiderée à Pierre, qui étoit encore novice. Je lui en fis une févere répri

mande; & lui ordonnai de s'abftenir de vin pendant quarante jours, bien réfolu de modérer cette pénitence que je ne lui avois impofée, que pour le détourner de tels difcours. Mais Payant oublié, je demandai au bout du terme comment il en avoit ufé; & j'appris de nos freres qu'il avoit accompli fa pénitence. J'en eus regret; mais j'admirai fa foûmiffion.

AN. 1063.

Rodolphe étant devenu évêque, continua de mener la vie monaftique, fans rien rélâcher de fes aufteritez. Il portoit les mêmes cilices & les mêmes habits trèspauvres dans le plus grand froid il couchoit nud en chemise sur une planche : il ne mangeoit d'ordinaire que du pain d'orge & en petite quantité. Il difoit tous les jours au moins un pfeautier, en fe donnant la difcipline à deux mains; & fe chargeoit souvent de cent années de pénitence, qu'il accompliffoit en vingt jours. Il regardoit fon évêché d'Eugubio comme un hofpice, où il logeoit en paffant, & fa cellule du désert comme fon habitation. Car il avoit affaire à un peuple indocile & intéreffé, qui n'attendoit de lui que des graces temporelles. Auffi ne défiroit-il que de quitter fon fiége; mais Pierre Damien Pobligeoit à le garder. Il prêchoit assiduëment & donnoit aux pauvres tout ce qu'il pouvoit épargner. Il tenoit tous les ans un finode : mais il ne permettoit pas que l'on éxigeât ce que les clercs avoient accoûtumé d'y donner, ni que fon prit rien des pénitens. Il n'avoit guéres que trente ans quand il mourut, le vingt-fixiéme de Juin, & comme Pon croit Pan 1063. & il eft compté entre les faints.

Pierre Damien ayant écrit la lettre qui contenoit cette vie, attendoit une occafion pour Penvoyer au pape, quand il s'avisa d'y joindre celle de Dominique le cui

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raffé, mort un an auparavant. Je crains, ajoûte-t'il, que fa vie ne paroiffe incroyable à quelques-uns de nos freres; mais Dieu me garde d'écrire un mensonge. 1. Cor. xv. 15. Je n'ignore pas ce que dit Papôtre : Si JESUS-Christ n'eft pas reffufcité, nous portons faux témoignage contre Dieu. Par où il nous apprend, que quiconque attribue un faux miracle à Dieu ou à fes ferviteurs, eft coupable de faux témoignage contre celui qu'il a voulu loüer. On voit par-là que Pierre Damien étoit au moins de bonne foi, quoiqu'il foit difficile de le justifier de crédulité exceffive à Pégard de plufieurs histoires peu vrai-semblables, qu'il écrit fur le rapport d'autrui. Sup. lib. x.n.50. Il raconte enfuite la vie de Dominique telle que je Pai rapportée, & ajoûte: Quelqu'un peut-être feroit plus curieux de fçavoir quels miracles ce faint homme à faits, que fa maniére de vivre. Je lui réponds, qu'on ne lit point que la fainte Vierge ni faint Jean-Baptifte ayent fait de miracles. J'ajoûte, que la vie des faints étant imitable eft plus utile que les miracles, qui ne font qu'un fujet d'admiration. Enfin la vie fi extraordinaire de ce faint homme, n'a-t'elle pas été un miracle continuel ?

Vitan. 14.

III.

mens de S. Jean

Vita fac. 6. Be

a

L'abbé Jean fondateur de Vallombreuse étoit FloCommence-rentin. Son pere Gualbert, dont le nom lui demeura, Gualbert. étoit noble & homme de guerre : il eut deux fils, Huned. par. 2. p. 268. gues & Jean dont nous parlons. Un de leurs proches ayant été tué, le meurtrier évitoit la rencontre de toute la famille, qui, fuivant les loix barbares, avoit droit de venger cette mort. Jean allant un jour à Florence avec fes écuyers, rencontra ce meurtrier dans un chemin fi étroit, qu'il étoit impoffible de fe détourner Pun de Pautre. Le coupable le voyant venir de loin,

défefpera de fa vie, & defcendant auffi-tôt de cheval, il fe jetta par terre fur le vifage, les mains étenduës en croix, & attendoit ainfi la mort. Jean en fut touché, & par respect pour la croix qu'il repréfentoit par sa pofture, il réfolut de lui pardonner. Il lui dit donc de fe lever sans rien craindre, & Paffura que déformais il pouvoit aller librement où il voudroit. Jean vint enfuite å Péglise de saint Miniat, & y étant entré pour prier, il vit le haut de la croix s'incliner vers lui, comme pour le remercier de ce qu'à sa considération il avoit pardonné à son ennemi. On garda cette croix dans le monaftere de faint Miniat, & on la montre encore à Flo

a

rence.

Jean touché de ce miracle, commença à penser sérieufement à quitter le monde, & fe donner tout à Dieu; & quand il fut arrivé près de Florence, il y envoya fes gens préparer le logis, & retourna fur fes pas à faint Miniat, où étant defcendu de cheval, il demanda Pabbé, & le pria de l'aider dans fon deffein, lui déclarant le miracle de la croix. L'abbé lui confeilla de quitter le monde; mais pour l'éprouver, il lui représenta les rigueurs de la vie monaftique, & combien il étoit difficile d'en fouffrir la pauvreté dans la fleur & la force de la jeuneffe. Cependant un de fes gens voyant qu'il ne venoit point à Florence, retourna à la maison, & dit au pere ce qui s'étoit paffé. Celui-ci fort allarmé, vint à Florence, cherchant par tout fon fils: il alla auffi à faint Miniat, & fçachant qu'il y étoit & qu'il vouloit prendre Phabit monaftique, il pria Pabbé de lui amener. Jean ne vouloit point paroître devant fon pere, sçachant bien qu'il ne le demandoit que pour le tirer du monastere ; & tandis que Gualbert crioit & menaçoit fi on ne

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lui rendoit fon fils, le jeune homme dit en lui-même : AN. 1063. De qui puis-je plus dignement recevoir le faint habit que de fautel, où on offre le fang de JESUS-CHRIST? Alors trouvant à Pécart la cuculle d'un des moines, il la porta promptement à l'église, la mit fur Pautel avec refpect, & après s'être coupé les cheveux, il s'en revêtit avec joye. Tous les moines admirerent fa foi, & labbé étant entré & le voyant affis avec les autres, fit auffi entrer fon pere. D'abord qu'il vit fon fils en cet état, il cria, déchira fes habits, fe frappa la poitrine, s'égratigna le vifage, & paroiffoit hors de fon bon fens. Enfin Pabbé, les moines & fon fils même, lui parlerent fi efficacement, qu'il revint à lui, donna sa bénédiction à fon fils, & Pexhorta à s'avancer dans la vertu.

IV.

Vallombreufe.

Il fit un tel progrès, que quelque tems après l'abbé étant mort, tous les moines unanimement Pélurent pour lui fuccéder, mais il le réfufa; & enfuite Pamour de la folitude & le défir d'une plus grande perfection, le fit fortir de S. Miniat avec un autre moine. Ayant passé en divers lieux, ils vinrent à Camaldoli & y demeurerent affez long-temps. Le prieur voulut engager Jean Gualbert à prendre les ordres & promettre la ftabilité en ce lieu-là; mais il le refufa, parce que fon attrait étoit pour la vie cenobitique, felon la régle de faint Benoît, & les Camaldules menent la vie érémitique.

De-là il revint avec fon compagnon à Vallombreuse, Fordation de lieu ainfi nommé, parce que c'eft une vallée ombragée Mabill. Iter. par les forêts de fapins qui couvrent les montagnes voiItal. n. 16. p. 183. fines. Ce lieu fitué dans PApennin, à demi-journée de Florence, plut à Jean Gualbert, il s'y arrêta, & fa réputation s'étendant peu à peu, il lui vint de divers endroits plufieurs difciples tant laïques que clercs; même

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