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ECCLESIASTIQUE,

Par M. FLEURY, Prêtre, Prieur d'Argenteüil,
& Confeffeur du Roy.

TOME TREIZIEME.

Depuis l'An 1053. jusqu'à l'An 1099.
Revû, & corrigé par l'Auteur.

59 A PARIS.

P. G. LE MERCIER, rue S. Jacques, au Livre d'Or.
DESAINT & SAILLANT, rue S. Jean de Beauvais.

Chez JEAN-THOMAS HERISSANT, rue S. Jacques, à S. Paul, & à S. Hilaire.
DURAND, rue S. Jacques, au Griffon.

LE PRIEUR, ruë S. Jacques, à la Croix d'Or.

M. DCC. LI.

Avec Approbations & Privilege du Roy.

29

DISCOURS

SUR

L'HISTOIRE

ECCLESIASTIQUE.

L

Depuis l'an 600. jufqu'à l'an 1100.

ES beaux jours de l'églife font paffés: mais Dieu n'a pas rejetté fon peuple, ni oublié fes promeffes. Regardons avec crainte les tentations dont il a permis que fon église fût attaquée pendant les cinq fiécles qui ont fuivi les fix premiers; & confidérons avec actions de graces les moyens qu'il a employés pour la foûtenir. Ce font des objets dignes de notre attention.

c. 56.

I.

Rome idolâtre, fouillée de tant de crimes & enyvrée du fang de tant de martyrs, devoit être punie, & la vengeance divine devoit éclater fur. Inondation des elle, à la face de toutes les nations. Saint Jean l'ayant appris de JESUS- DaMauts des Chi barbares. CHRIST Inême, avoit dépeint dans fon Apocalypfe, par des images affreufes, la chûte de cette nouvelle Babylone. L'exécution fuivit en fon temps: Rome ceffa d'être la capitale de l'empire, depuis que Conftantin Apocal. xv11. en cut transferé le fiége à Bizance : & depuis que l'empire fut partagé, xvii, les empereurs d'Occident réfiderent à Ravenne, à Milan, & par-tout ailleurs qu'à Rome. Ainfi elle perdit peu à peu fon éclat, fes richesses,

n. 40.

Hift. liv. xxv. fon peuple. Nous avons vu la trifte peinture qu'en faifoit faint Gregoire. Cependant elle fut prife & pillée plufieurs fois par les barbares, qui Hom. 18. in ravagerent & mirent en piéces tout l'empire d'Occident. Or je compte cette inondation des barbares pour la premiere tentation extérieure de l'églife, depuis les perfécutions des empereurs payens.

Ezech.

Hift. liv. xxx. 8. 9. 10. &c.

57.

Car ces barbares dans les commencemens de leurs courses remplif foient tout de fang & de carnage; brûloient les villes entieres, maffacroient les habitans, ou les emmenoient efclaves, jettoient par-tout la terreur & la défolation. Les perfécutions les plus cruelles fous l'empire Romain, n'étoient ni continuelles, ni univerfelles, & il reftoit un peuple de payens, de même langue & de même nation que les Chrétiens. Ils les écoutoient fouvent, & fe convertiffoient de jour en jour. Mais où il ne reste plus d'hommes, il n'y a plus d'églifes. Et comment convertir des brutaux toujours armés, toujours courans au pillage, & dont on n'entend pas la langue?

De plus, ces barbares qui ruinerent l'empire Romain, étoient ou payens ou hérétiques : en forte que même après les premieres fureurs, quand ils furent affez apprivoilés avec les Romains pour s'entendre l'un l'autre & fe parler de fang froid; les Romains leur étoient toujours odieux, par la diverfité de religion. Vous avez vû la cruelle perfécution des Vandales en Afrique.

Ces barbares, il eft vrai, fe convertirent, les uns plutôt, les autres plus tard; & dans leur converfion, Dieu ne fit pas moins éclater fa miféMaurs Chrét. c. ricorde, que dans la punition des Romains il avoit fignalé fa juftice. Mais les barbares, en devenant Chrétiens, ne quitterent pas entièrement leurs anciennes mœurs : ils demeurerent la plûpart legers, changeans, emportés, agiffant plus par paffion que par raifon. Vous avez vû quels Chrétiens c'étoit que Clovis & fes enfans. Ces peuples continuoient dans leur mépris pour les lettres & pour les arts, ne s'occupant que de la chaffe & de la guerre. De-là vint l'ignorance, même chez les Romains leurs fujets. Car les mœurs de la nation dominante prévalent toujours, & les études languiffent, fi l'honneur & l'intérêt ne les foutiennent.

II.

Nous voyons la décadence des études dans les Gaules dès la fin du Chûte des étu fixiéme fiécle, c'est-à-dire, environ cent ans après l'établissement des des. Francs. Nous en avons un exemple fenfible dans Gregoire de Tours. Il reconnoît lui-même qu'il avoit peu étudié la grammaire & les lettres humaines; & quand il ne l'avoueroit pas, on le verroit affez. Mais le moindre défaut de ses écrits eft le stile; on n'y trouve ni choix de matieres, ni arrangement. C'eft confufément l'hiftoire eccléfiaftique & la temporelle: ce font la plupart de petits faits de nulle importance, & il en releve fouvent des circonftances baffes & indignes d'une hiftoire férieufe. Il paroît crédule jufqu'à l'excès fur les miracles.

J'attribue ces défauts à la mauvaise éducation, plutôt qu'au naturel; autrement il faudroir dire que pendant plufieurs fiécles il ne feroit prefque pas né d'homme qui eût un fens droit & un jugement exact. Mais les meilleurs efprits fuivent aifément les préjugés de l'enfance & les opi

Tom. 6. conc.

nions vulgaires, quand ils ne font pas exercés à raifonner, & ne fe propofent pas de bons modéles. Les études ne tomberent donc pas entierement avec l'empire Romain, la religion les conferva; mais il n'y eut plus que les eccléfiaftiques qui étudierent, & leurs études furent groffieres & imparfaites. Je parle des fciences humaines; car pour les do- Hift. liv. xx.x gmes de la religion, ils fuivoient l'autorité certaine de l'écriture & de la 7. tradition des peres. Le pape Agathon le témoigne dans la lettre dont il chargea fes légats pour le fixiéme concile. Nous ne les envoyons pas, dit-il, par la confiance que nous avons en leur fçavoir. Car comment pourroit-on trouver la fcience parfaite des écritures, chez des gens qui vivent au milieu des nations barbares, & gagnent à grande peine leur fubfistance chaque jour par leur travail corporel? Seulement nous gardons avec fimplicité de cœur la foi que nos peres nous ont laiffée.

p. 681.

n. 8.

Dans les fiécles fuivans, les hommes les plus éclairés comme Bede, Alcuin, Hincmar, Gerbert, fe fentoient du malheur des temps: voulant embraffer toutes les fciences, ils n'en approfondiffoient aucune, & ne fçavoient rien exactement. Ce qui leur manquoit le plus étoit la critique pour diftinguer les piéces fauffes des véritables. Car il y avoit dès-lors Hift. liv. xxx. quantité d'écrits fabriqués fous des noms illuftres, non-feulement par des hérétiques, mais par des catholiques, & même à bonne intention. J'ai marqué que Vigile de Thafpe avoue lui-même avoir emprunté le nom de faint Athanafe, pour se faire écouter des Vandales Ariens. Ainfi quand on n'avoit pas les actes d'un martyr pour lire au jour de fa fête, on en compofoit les plus vraisemblables ou les plus merveilleux que l'on pouvoit, & par-là l'on croyoit entretenir la piété des peuples. Ces fauffes légendes furent principalement fabriquées à l'occafion des tranflations de reliques, fi fréquentes dans le neuviéme fiécle.

On faifoit auffi des titres, foit à la place des véritables que l'on avoit perdus, foit abfolument fuppofés: comme la fameufe donation de Conf

tantin, dont on ne doutoit pas en France au neuviéme fiécle. Mais de Hift. liv. LI. n. toutes ces piéces fauffes les plus pernicicufes furent les décrétales attri- 14. buées aux papes des quatre premiers fiécles, qui ont fait une playe irréparable à la discipline de l'églife, par les maximes nouvelles qu'elles ont introduites touchant les jugemens des évêques & l'autorité du pape. Hincmar tout grand canonifte qu'il étoit, ne put jamais démêler cette fauffeté: il fçavoit bien que ces décrétales étoient inconnues aux fiécles pré- n. 22. cédens, & c'est lui qui nous apprend quand elles commencerent à paroître; mais il ne fçavoit pas affez de critique pour y voir les preuves de fuppofition, toutes fenfibles qu'elles font, & lui-même allégue ces décrétales quand elles lui font favorables.

Un autre effet de l'ignorance eft de rendre les hommes crédules & fuperftitieux, faute d'avoir des principes certains de créance & une connoiffance exacte des devoirs de la religion. Dieu est tout-puiffant, & les Saints ont un grand crédit auprès de lui, ce font des vérités qu'aucun catholique ne contefte: donc je dois croire tous les miracles qui ont été atribués à l'interceffion des Saints; la conféquence n'eft pas bonne. Il

Hift. liv. XLIV.

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