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faut en examiner les preuves : & d'autant plus exactement, que ces faits

1. Cor. iv. 15. font plus incroyables & plus importans. Car affurer ufffaux miracle, ce Pet. Dam. vita n'eft rien moins, felon faint Paul, que porter faux témoignage contre S. Domin. Loric. Dieu, comme remarque très-judicieufement faint Pierre Damien. Ainfi

#. 1.

les.

III.

loin que la piété engage à les croire légèrement, elle oblige à en examiner les preuves à la rigueur. Il en eft de même des révélations, des apparitions d'efprits, des opérations du démon, foit par le miniftere des forciers ou autrement : en un mot, de tous les faits furnaturels, quiconque a du boir fens & de la religion, doit être très réfervé à les croire.

C'est par cette raifon que j'ai rapporté très-peu de ce nombre infini de miracles, que racontent les auteurs de ces fiécles moins éclairés. Il m'a paru que chez eux le goût du merveilleux l'emportoit fur celui du vrai ; & je ne voudrois pas répondre qu'en quelques-uns il n'y eût des motifs d'intérêt, foit d'attirer des offrandes par l'opinion des guérisons miraculeuses, foit de conferver les biens des églifes, par la crainte des punitions divines. Car c'est à quoi tendent la plupart des hiftoires rapportées dans les recueils de miracles de faint Martin, de faint Benoît, & des autres Saints les plus fameux. Comme fi ceux qui font Saints pour avoir méprifé les richeffes fur la terre, étoient devenus interreffés dans le ciel & employoient leur crédit auprès de Dieu pour se venger de ceux qui pilloient les trésors de leurs églifes.

Je vois bien le principal motif qui engageoit à relever avec tant de Menaces & pro- foin ces prétendus miracles. On vouloit retenir au moins par la crainte meffes temporel- des peines temporelles, ceux qui étoient peu touchés des éternelles : mais on ne s'appercevoit pas que c'étoit introduire une erreur dangereuse, en raisonnant fur ce faux principe, que Dieu punit ordinairement les méchans en cette vie. C'étoit ramener les chrétiens à l'état de l'ancien teftament, où les promeffes & les menaces étoient temporelles. C'étoit exposer au mépris l'autorité de la religion, dont on prétendoit appuyer ces menaces, puifqu'elles étoient fouvent démenties par l'expérience, & que l'on voyoit tous les jours les ufurpateurs des biens de l'églife demeurer impunis & vivre dans une fanté & une profpérité parfaite.

1. Civit. c. 8..

Auffi n'étoit-ce pas la doctrine de l'antiquité éclairée, & S. Auguftin a prouvé folidement le contraire. Il a plû, dit-il, à la divine Providence de préparer à l'avenir des biens pour les juftes, dont les injuftes ne jouiront point; & pour les impies des maux, dont les bons ne feront point tourmentés. Mais quant à ces biens & ces maux temporels, il a voulu qu'ils fuffent communs aux uns & aux autres, afin que l'on ne défire pas trop ardemment des biens que l'on voit auffi entre les mains des méchans, & que l'on ne faffe rien de honteux, pour éviter des maux que les bons mêmes fouffrent le plus fouvent. Et encore: Si tout péché étoit maintenant puni d'une peine manifefte, on croiroit que rien ne feroit réfervé au dernier jugement; & fi Dieu ne puniffoit maintenant aucun péché évidemment, on croiroit qu'il n'y auroit point de providence. De même pour les biens de cette vie, fi Dieu ne les donnoit à quelquesuns de ceux qui les demandent, il fembleroit que ces biens ne dépen

droient pas de lui: & s'il les donnoit à tous ceux qui les demandent, nous croirions ne le devoir fervir que pour ces récompenfes ; & au lieu d'être pieux, nous ferions avares.

Il montre enfuite que les plus gens de bien ne laiffent pas de commettre des péchés, pour lefquels ils méritent des peines temporelles ; & qu'il y a une autre raison pour les faire fouffrir en cette vie comme Job, afin qu'ils connoiffent le fond de leur cœur, & qu'ils apprennent par expérience, s'ils aiment Dieu par une piété fincere & délinterreffée. Il enfeigne auffi que Dieu récompenfe en cette vie les vertus purement humaines, comme celles des anciens Romains, parce qu'il ne leur réserve point d'autre récompense. Enfin il ajoûte : Nous apprenons maintenant à fouffrir patiemment les maux que fouffrent même les bons, & à ne pas beaucoup eftimer les biens que les méchans mêmes obtiennent; ainfi Dieu nous donne une inftruction falutaire, en nous cachant fa justice. Car nous ne fçavons par quel jugement de Dieu cet homme de bien eft pauvre, & ce méchant riche: pourquoi l'innocent eft condamné, & le criminel abfous. Que fi cette abfurdité, pour ainfi dire, avoit toujours lieu en cette vie, on y pourroit trouver quelque raifon de juftice: mais il arrive fouvent du mal aux méchans & du bien aux bons: ce qui rend les jugemens de Dieu plus impénétrables.

Il femble qu'on eût oublié cette doctrine, quand les évêques & les papes mêmes employoient fi hardiment les promeffes temporelles pour engager les princes à les proteger; comme entr'autres le pape Etienne II: dans la lettre écrite aux François au nom de faint Pierre. Ces promeffes & ces menaces peuvent impofer quelque temps à des ignorans : mais quand ils voyent qu'elles font fans effet, comme il arrive le plus fouvent, elles ne font propres qu'à les fcandalifer & à ébranler leur foi : les faifant douter de la folidité des promeffes & des menaces qui regardent l'autre vie. Cependant on a continué jufques dans les derniers fiécles à fuivre cette vieille prévention ; & je ne puis affez m'étonner qu'un homme auffi éclairé que le cardinal Baronius, releve avec tant de foin les mauvais fuccès arrivés aux ennemis de l'églife, particulierement du faint fiége, comme autant de punitions divines, & les avantages des princes pieux comme des preuves qu'ils foutenoient la bonne caufe. Toutefois la vérité de l'hiftoire l'oblige fouvent à recourir à la profondeur des jugemens de Dieu, pour fauver les difgraces arrivées aux plus zélés Catholiques; & il ne s'apperçoit pas qu'une preuve qui n'est pas toujours concluante, ne l'eft jamais.

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IV.

Maurs Chrét.

Je reviens aux effets de l'ignorance & de la crédulité mal réglée. Il faut y compter la facilité à recevoir des reliques, dont l'examen demande Reliques. à proportion du jugement & de la précaution, comme celui des miracles. Il eft certain en général que les reliques des Saints méritent d'être honorées ; & vous en avez vû la pratique dès les premiers fiécles de c. 22. l'églife, dans les actes des martyrs les plus authentiques, & dans les écrits des peres. Souvenez-vous entr'autres de ce que dit S. Auguftin des reliques de faint Etienne, & des miracles qui s'y faifoient. Mais il

témoigne que dès fon temps on débitoit de fauffes reliques; & il n'eft pas toujours aifé de les diftinguer des vraies. On ne s'y feroit jamais trompé, fi on avoit toujours gardé la fage précaution de ne point toucher aux fépulchres des Saints, & de laiffer leurs corps entiers bien avant dans la terre, comme font encore à Rome ceux des faints Apôtres : & vous avez vû avec quelle fermeté faint Gregoire refufa à l'impératrice 1. epift. 30. même le chef de faint Paul. On fe contentoit alors d'envoyer pour reliques, ou des linges qui avoient touché les fépulchres des Saints, ou des tapis qui les avoient couverts, ou qui avoient couvert leurs autels.

Ce fut en Orient que l'on commença à transférer & à diviser les reliques, & ce fut l'occafion des impoftures. Car pour affurer des reliques, il eût fallu les fuivre exactement depuis leur origine, & connoître toutes les mains par lesquelles elles avoient paffé : ce qui n'étoit pas fi difficile dans les commencemens. Mais après plufieurs fiécles il fut bien plus aifé d'impofer, non-feulement au peuple, mais aux évêques devenus moins éclairés & moins attentifs ; & depuis que l'on eut établi la régle de ne point confacrer d'églifes ni d'autels fans reliques, la néceflité d'en avoir fut une grande tentation de ne les pas examiner de fi près. L'intérêt d'attirer des offrandes & des pélerinages, qui enrichiffoient les villes, fut encore dans la fuite une tentation plus groffiere.

:

Je ne prétens pas par ces réflexions générales rendre fufpecte aucune relique en particulier je fçai qu'il y en a plufieurs de très-certaines : fçavoir, celles des faints patrons de chaque ville, qui y font morts, & qui y ont toujours été honorés depuis : comme à Paris faint Denis, faint. Marcel, fainte Geneviève. Car encore qu'elles ayent été transférées dú temps des Normands, on ne les a jamais perdues de vûe. Pour les autres, j'en laisse l'examen à la prudence de chaque évêque ; & je dis feulement, que cet examen doit être plus rigoureux à l'égard de celles, qui après avoir été cachées pendant plufieurs fiécles, n'ont paru que dans des temps d'ignorance, ou que l'on prétend avoir été apportées de fort loin, fans que l'on fçache ni comment elles en font venues, ni comment elles avoient été confervées. Je crois toutefois que Dieu, qui connoît le fond des cœurs, ne laiffe pas d'avoir agréable la dévotion des peuples, qui n'ayant intention que de l'honorer en fes Saints, révérent de bonne foi les reliques expofées depuis plufieurs fiécles à la vénération publique.

Il faut donc diftinguer ce qui eft de la foi catholique, fçavoir l'utilité de l'interceffion des Saints, & de la vénération de leurs reliques d'avec les abus que l'ignorance & les paffions humaines y ont joint, nonfeulement en fe trompant dans le fait, & honorant comme reliques, ce qui ne l'étoit pas, mais s'appuyant trop fur les vraies reliques; & les. regardant comme des moyens infaillibles d'attirer fur les particuliers, & fur les villes entieres toutes fortes de bénédictions temporelles & fpirituelles. Quand nous aurions les Saints mêmes vivans & converfans avec nous, leur préfence ne nous feroit pas plus avantageufe que celle Luc. XIII. 26. de JESUS-CHRIST. Or il dit expreffément dans l'évangile: Vous direz

all

au pere de famille : Nous avons bû & mangé avec vous, & vous avez enfeigné dans nos, places. Et il vous dira: Je ne fçais qui vous êtes. L'utilité des reliques eft donc de nous faire fouvenir des Saints, & nous exciter à l'imitation de leurs vertus : autrement la présence des reliques, ni des lieux faints ne nous fauvera pas, non plus que les Juifs, à qui le prophéte reprochoit qu'ils fe confioient en des paroles de menfonges, en difant: Le temple du Seigneur, le temple du Seigneur, fans corriger Jerem. vII. 4. leurs mœurs.

ས.

Pélerinages.
Maurs Chrét.

n. 44.

35.

Bonif. ep. 105.

Les pélerinages furent une fuite de la vénération des lieux faints & des reliques, principalement avant l'ufage de les transférer. Ils étoient plus faciles fous l'empire Romain par le commerce continuel des provinces; mais ils ne laifferent pas d'être très-fréquens sous la domination des barbares, depuis que les nouveaux royaumes eurent pris leur confiftance. Je crois même que les mœurs de ces peuples y contribuerent : car ne s'occupant que de la chaffe & de la guerre ils étoient dans un continuel mouvement; ainfi les pélerinages devinrent une dévotion univerfelle des peuples & des rois, du clergé, des évêques, & des moines. J'ofe dire que c'étoit préférer un petit acceffoire à l'effentiel de la religion, quand un évêque quittoit fon diocèfe pendant des années entieres, pour aller de l'extrémité de la France ou de l'Angleterre à Rome, ou même à Jerufalem: quand des abbés ou des moines fortoient de leurs hift. liv. XLII. n. retraites, quand des femmes, ou même des religieufes s'expofoient à tous les périls de ces grands voyages. Vous avez vû par les plaintes de faint Conc. Cabil. Boniface, les accidens déplorables qui en arrivoient. Il y avoit fans doute 813. c. 40. plus à perdre qu'à gagner, & je regarde ces pélerinages indifcrets, comHift. liv. XLVI. n. 5. me une des fources de relâchement de la difcipline; auffi s'en plaignoitV. Morin. pœon dès le commencement du neuviéme fiécle. Mais ce fut principale- nit. v. c. 15. ment la pénitence qui en fouffrit. Auparavant on enfermoit les pénitens Hift. liv. xxx. dans les diaconies, ou d'autres lieux près de l'églife, pour y vivre recucil- n. 42. lis & éloignés des occafions de rechûte. Vous l'avez vû dans le facra- Greg. ep. 2. ad mentaire attribué à faint Gelafe, & dans une lettre du pape Gregoire III. Hift. liv. XLII. mais depuis le huitiéme fiécle on introduifit tout le contraire pour péni- n. 9. Morin. lib. tence, en ordonnant aux plus grands pécheurs de fe bannir de leur pays vII. c. 15. & paffer quelque temps à mener une vie errante à l'exemple de Cain. On vit bien-tôt l'abus de cette pénitence vagabonde; & dès le temps de Charlemagne, on défendit de fouffrir davantage ces hommes affreux, qui fous ce prétexte couroient par le monde nuds & chargés de fers: mais l'ufage continua d'impofer pour pénitence quelque pélerinage fameux : & ce fut le fondement des croifades.

P

Leon.

Capit. Aquifg. an. 789. c. 77. Sup. liv. XLIV.

n. 46.

V I.

Superftitions.
Hift. liv. xxx.

L'abus dans la vénération des reliques dégénéra en fuperftition, mais l'ignorance du moyen âge en attira de plus manifeftes: comme cette divination nommée le fort des Saints, dont Gregoire de Tours rapporte tant d'exemples, & avec unférieux à perfuader qu'il y croyoit. Commen. 1. Greg. v. bift. ces épreuves nommées le jugement de Dieu, foit par l'eau, foit c. 14. hift. liv. le par XXXIV. n. 31. hift. feu, foit par le combat fingulier qu'Agobard condamnoit fi fortement, liv. XLVI. n. 43. mais qu'Hincmar foutenoit, & qui furent en ufage fi long-temps. Comme liv. 1. n. 22.

Tome XIII.

VII.

l'aftrologie à laquelle on voit qu'ils croyoient, principalement aux effets des éclipfes & des cometes. Ces fuperftitions dans le fond étoient des reftes du paganisme, comme d'autres plus manifeftement criminelles condamnées dans les conciles du même temps. En général le plus mauvais effet des mauvaises études eft de croire fçavoir ce que l'on ne fçait point. C'eft pis que la pure ignorance, puifque c'eft y ajoûter l'erreur, & fouvent la présomption.

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Je n'ai parlé jufques ici que de l'Occident: mais l'église orientale eut Etat de l'Orient. auffi fes tentations. L'empire Grec ne fut pas entierement détruit, mais il fut réduit à des bornes bien étroites; d'un côté par les conquêtes des Arabes Mufulmans, de l'autre par celles de divers Scythes, entr'autres des Bulgares & des Ruffes. Ces deux derniers peuples fe firent chrétiens, & leur domination produifit à peu près les mêmes effets que celle des autres barbares feptentrionaux : mais les Mufulmans prétendoient convertir les autres, & prenoient pour prétexte de leurs conquêtes le zéle d'établir leur religion par toute la terre. Ils fouffroient à la vérité les chrétiens mais ils employoient pour les pervertir tous les moyens poffibles, excepté la perfecution ouverte, en cela même plus dangereux que les payens. D'ailleurs leur religion a quelque chofe de fpécieux. Ils ne prêchent que l'unité de Dieu, & l'horreur de l'idolâtrie; & ils ont imité plufieurs pratiques du Chriftianifine, la priere à certaines heures réglées, le jeûne d'un mois, les pélerinages. Enfin leur indulgence pour la pluralité des femmes & des concubines, attire les hommes fenfuels. Ils employerent entr'autres un artifice extrêmement pernicieux au Chriftianisme. La Syrie étoit pleine de Neftoriens, l'Egypte d'Eutyquiens, les uns & les autres ennemis des patriarches de Conftantinople & des empereurs qu'ils regardoient comme leurs perfécuteurs. Les Mufulmans profiterent de cette divifion, protégeant les hérétiques, & abaiffant les catholiques qui leur étoient fufpects, par leur attachement à l'empereur de Conftantinople, d'où leur vint le nom de Melquites, c'eft-à-dire, en Arabe, royaux ou impériaux, C'est par-là que ces héréfies fi anciennes fubfiftent encore; & que les Chrétiens d'Orient ont des évêques & des patriarches de ces différentes fectes, Melquites, Neftoriens, Jacobites, qui font les Eutyquiens. Par ces divers moyens les Mufulmans, fans exterminer abfolument le Chriftianifme, diminuerent extrêmement le nombre des vrais Chrétiens & les réduifirent à une grande ignorance, par la fervitude qui leur ôtoit le courage & les commodités d'étudier. Le changement de langue y contribuoit. L'Arabe étant la langue des maîtres, devint celle de tout l'Orient, comme elle eft encore: le Grec ne fut confervé que par la religion, & chez les Melquites feulement; car les Neftoriens faifoient leur fervice en Syriaque, & les Jacobites en Cophte ou ancien Egyptien ; ainfi comme tous les livres ecclefiaftiques ou profanes étoient en Grec, il fallut les traduire, ou apprendre cette langue, ce qui rendit les études bien plus difficiles. De-là vient qu'incontinent après la conquête des Mufulmans, nous perdons de vûe ces anciennes églises d'Egypte, de Paleftine, de Syrie, autrefois fi floriffantes ; & que faute d'écrivains, je

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