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Le surintendant eût donné la moitié de sa vie pour ne pas entendre ces hommages de mort.

Le roi pleurait de rage.

Durant cet enthousiasme et l'obscurité profonde qui accompagna cet embrâsement, une femme tomba à genoux et pria tout bas pour l'ame du sieur Fouquet.

Gourville se pencha sur le surintendant, et lui dit : - Encore celle-ci, avant l'autre : Salut, premier ministre !

La seconde girande représenta un berceau de feu porté par des génies. Un bel enfant sortait le bras hors du berceau: le surintendant, le genou sur un nuage, remettait au futur dauphin les titres de propriété du château.

Cet emblème, qui couvrait le ciel, fut salué par les mille divinités liquides des bassins. Après avoir vomi de l'eau, elles lancèrent du feu. Neptune devint Pluton, son trident la fourche infernale, et les tritons les démons du Ténare. Plus loin les deux élémens luttent : l'étincelle et la pluie se confondent, le feu coule, l'eau s'embrase.

A la troisième girande! crie-t-on, elle va partir! Le canon tonne déjà. On l'attend au milieu de la nuit la plus opaque, car tout est silencieux. L'eau a éteint le feu, ou plutôt l'eau s'est éteinte.

C'est le moment suprême. Gourville presse le surintendant sur le cœur, l'embrasse tout baigné de larmes. Exactement costumé comme le roi, et à deux pas du roi, un homme est debout. Arracher l'un, pousser l'autre, et la conspiration est finie.

Un long murmure s'élève du fond des parterres et remonte jusqu'au roi, qui s'en informe; murmure d'abord de surprise, puis de terreur, puis d'épouvante.

Tous les regards sont portés vers un point du ciel ; des doigts le désignent, et ces doigts ne s'abaissent plus.

Parmi les milliers d'étincelles qui ont poudré le ciel, une étincelle n'est pas retombée sur la terre, ne s'est pas éteinte, est restée. Elle luit, et sa lueur, rayon oblique, ruisselle sur les bras des femmes parés de mousseline blanche, sur les bras des hommes, glissans de soie et d'or.

Une comète! une comète ! cri effrayant qui bondit de lèvres en lèvres et glace les cœurs.

Mis à nu par l'obscurité qui a succédé à la seconde gerbe, le ciel a dévoilé ses profondeurs, et dans ses abîmes une comète (1).

Fouquet lit son arrêt de mort dans le ciel.

Et Torelli, le magique artificier, l'Italien superstitieux, craignant d'avoir brisé une étoile, suspend un instant ses audacieuses opérations.

Les femmes s'évanouissent.

Et le grand roi, et Louis XIV, à la cour duquel l'astrologie règne encore, sent battre sa poitrine sous son cordon bleu, et, ne voulant pas rester davantage dans cette immense obscurité pleine d'évanouissemens et de cris, saisit, lance la torche enflammée.

Vaux, mille arpens de terrein, s'illuminent jusqu'aux dernières branches, jusqu'aux plus hautes feuilles. C'est le soleil, à midi, au mois d'août.

- Je ne m'attendais pas à celle-là, dit Gourville.

Seigneur, ayez pitié de moi! murmura Fouquet.

Louis XIV se tourne vers le surintendant et lui tend la main.

Fouquet la baise d'une lèvre morte, et le roi descend solennellement les marches de la terrasse.

Et la fête de Vaux fut finie.

Sœur de la poésie, la tradition rapporte que, dix-neuf ans après cette fête, qui est restée dans la mémoire des peuples comme une bataille, comme un incendie, un homme, secouant un flambeau sur sa tête, parut au château de Vaux et se promena du parc aux parterres, et des parterres aux cascades.

Cet homme laissait pleuvoir des cheveux blancs sur un masque de fer. Il demanda un morceau de pain à la porte du château, et une pierre moisie tomba à ses pieds; cet homme eut soif, et lorsqu'il se baissa pour boire, il ne saisit qu'une

(1) Historique. Cette comète se montra pendant le jugement de Fouquet. Voir les Mémoires du temps.

couleuvre dans les bassins, où il n'y avait plus d'eau. Cet homme pleura toute la nuit comme Job. Au jour, il disparut pour les siècles.

Ce masque de fer était Fouquet.

LÉON GOZLAN.

ÉTUDE PHILOSOPHIQUE (),

SÉRAPHITA.

Les anges sont blancs. [Histoire intellectuelle de Louis Lambert.]

IV.

SÉRAPHITA-SÉraphîtus.

Quoique Wilfrid voulût s'éloigner, il demeura pendant quelques momens debout, occupé à regarder la lumière qui brillait par les fenêtres du château suédois.

- Qu'ai-je donc vu? se demandait-il. Non, ce n'est pas une simple créature, mais toute une création. De ce monde, entrevu à travers des voiles et des nuages, il me reste des retentissemens semblables aux souvenirs d'une douleur dissipée, ou pareils aux éblouissemens causés par ces rêves dans lesquels nous entendons le gémissement des généra

(1) Voir le tome VI.

tions passées, qui se mêle aux voix harmonieuses des sphères élevées où tout est lumière et amour. Veillé-je? Suis-je encore endormi? Ai-je gardé mes yeux de sommeil, ces yeux devant lesquels de lumineux espaces se reculent indéfiniment, et qui suivent les espaces? Malgré le froid de la nuit, ma vie est encore en feu. Allons au presbytère ! Entre le pasteur et sa fille, je pourrai rasseoir mes idées. Mais il ne quitta pas encore la place d'où sa vue pouvait plonger dans le salon de Séraphîta. Cette mystérieuse créature semblait être le centre rayonnant d'un cercle qui formait autour d'elle une atmosphère plus étendue que ne l'est celle des autres êtres, et quiconque y entrait, subissait le pouvoir d'un tourbillon de clartés et de pensées dévorantes. Obligé de se débattre contre cette inexplicable force, Wilfrid n'en triompha pas sans de grands efforts; mais, après avoir franchi l'enceinte de cette maison, il reconquit son libre arbitre, marcha précipitamment vers le presbytère, et se trouva bientôt sous la haute voûte en bois qui servait de péristyle à l'habitation de M. Becker. Il ouvrit la première porte, garnie de næver, contre laquelle le vent poussait la neige, et frappa vivement à la seconde, en disant : - Voulez-vous me permettre de passer la soirée avec vous, monsieur Becker?

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Oui, crièrent deux voix qui confondirent leurs intonations.

En entrant dans le parloir, Wilfrid revint par degrés à la vie réelle. Il salua fort affectueusement Minna, serra la main de M. Becker, et promena ses regards sur un tableau dont les images calmèrent les convulsions de sa nature physique, chez laquelle s'opérait un phénomène comparable à celui qui saisit parfois les hommes habitués à de longues contemplations.

Si quelque pensée vigoureuse enlève sur ses ailes de chimère un savant ou un poète, et l'isole parfaitement des circonstances extérieures qui l'enserrent ici-bas, en lui faisant parcourir les régions sans bornes où les plus immenses col lections de faits deviennent des abstractions, où les plus vastes ouvrages de la nature sont des images; malheur à lui quand un bruit soudain frappe ses sens et rappelle dans

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