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leure grâce. Enfin, il retourne sur ses pas et ses compagnons s'en retournent au plus vite, et chacun d'eux, malgré la faim qui le dévore, fait bonne mine à son voisin.

Les kathas au plumage cendré ne parviennent à boire que mes restes après qu'ils ont volé toute une nuit d'un vol lourd et bruyant, pour se désaltérer au matin. Nous partons ensemble excités par le même désir. C'est à qui arrivera le premier à la citerne. Les kathas avec leurs ailes pendantes et leur vol pénible ressemblent à des gens dont la course est entravée par leurs robes flottantes; moi, au contraire, de qui la blouse est relevée dans ma ceinture, je les devance sans effort et deviens le chef de leur troupe. Ma soif étanchée, je m'en vas; c'est alors qu'ils arrivent et s'abattent sur le bord de la citerne, à l'endroit même où l'eau dégouttait de ma main; là ils enfoncent jusqu'au jabot leurs cous dans la vase. Le tapage qu'ils font autour de ce réservoir est comme celui d'une tribu voyageuse au moment où elle s'arrête pour camper. Ils affluent de tous côtés à ce rendezvous commun qui les reçoit et les rassemble ainsi qu'un abreuvoir rassemble autour de lui les chameaux du camp voisin. Après avoir bu en toute hâte, ils partent aux premiers rayons de l'aurore, tels qu'une bande de la tribu d'Ohazha déguerpit le matin aux approches du danger.

Tout maigre que je suis, j'aime à faire mon lit de la terre, et c'est avec plaisir que j'étends sur sa face un dos que tiennent à distance des vertèbres arides. J'ai pour oreiller un bras décharné dont les jointures saillantes semblent des dés lancés par un joueur.

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Si la Guerre et les Alarmes se plaignent de l'absence de Schanfara, je leur répondrai: N'avez-vous pas joui assez long-temps de Schanfara? Poursuivi par des vengeances qui se promettaient de partager sa chair en lots, et d'avance les tiraient au sort, il se demandait sans cesse : De laquelle tomberai-je victime? Laquelle m'atteindra la première? Si quelquefois il dormait d'un vrai sommeil, ses ennemis dormaient les yeux ouverts, toujours aux aguets, toujours prêts à fondre sur lui. Obsédé par des soucis qui venaient me visiter régulièrement, tels et plus accablans que les accès d'une fièvre quarte, je les chassais chaque fois, mais ils

n'allaient pas loin, et revenaient bientôt et d'en haut et d'en bas. Si donc vous me voyez, ô soucis dévorans, exposé comme le reptile des sables, à un soleil brûlant, le corps à peine couvert et les pieds nus, sachez que je suis le lieutenant de la patience, que je revêts son manteau sans dépouiller mon cœur d'hyène, et qué la fermeté me tient lieu de sandales.

Je suis tantôt pauvre, tantôt riche. Celui-là seul est toujours riche qui se prostitue à l'étranger. Pauvre, je ne donne aucun signe d'impatience, et ne laisse pas voir ma pauvreté; riche, je ne deviens pas insolent. Les injures grossières n'ébranlent point ma longanimité; on ne me voit pas à la piste des propos irritans m'informer de ce qu'un tel a dit pour le redire à tel autre.

Combien de fois, par une de ces nuits froides durant-lesquelles le chasseur brûle, pour se réchauffer, son arc et ses flèches, ne me suis-je pas mis en course à travers les ténèbres et la pluie, ayant pour compagnie la faim, le froid et la terreur! - Eh bien ! j'avais rendu des femmes veuves et des enfans orphelins, et j'étais déjà de retour,

que la

nuit était encore toute noire. Au matin qui suivit l'une de ces expéditions, deux bandes raisonnaient ensemble sur mon exploit à Ghomaysa dans le Nadjd. Quelqu'un disait : « Nos chiens ont murmuré la nuit passée; je me suis dit : » Serait-ce un loup qui rôde, ou bien une jeune hyène? Mais » ils n'ont donné de la voix qu'un instant et se sont rendormis; alors j'ai dit en moi-même Suis-je donc comme le » katha ou l'épervier que le moindre bruit réveille? A » présent que nous savons la cause terrible de ce bruit léger, » que devons-nous penser du meurtrier? Si c'est un Djinn » qui nous a visités dans la nuit, sa visite nous a été bien » funeste; si c'est un homme... Mais un homme ne fait

» pas de ces coups-là. »

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Combien de fois, par un de ces jours que marque le lever héliaque de Sirius, de ces jours où l'air, devenu liquide, forme des ondes visibles à la surface du sol; où les vipères s'agitent sur le sable comme sur des cendres brûlantes, combien de fois alors n'ai-je pas exposé ma tête au soleil, sans autre voile qu'un manteau déchiré et une épaisse chevelure,

d'où s'élevaient, quand le vent soufflait, des mèches compactes et feutrées, qui depuis long-temps n'avait été ni parfumée ni purgée de vermine, enduite d'une crasse solide sur laquelle une année entière avait passé depuis le dernier lavage!

Combien n'ai-je pas traversé sur mes deux jambes de ces plaines désertes, nues comme le dos d'un bouclier, où les caravanes ne passent point! Dans la rapidité de ma course, j'en faisais joindre les deux bouts, et terminais ma carrière en grimpant sur un pic élevé, tantôt debout, tantôt accroupi, Les biches au poil fauve allaient et venaient autour de moi comme de jeunes filles vêtues de la moulâat à longue queue, aussi douces, aussi familières; et, s'arrêtant près de moi dans la soirée, elles semblaient me prendre pour un bouquetin aux pates blanches et aux cornes rabattues qui gagnait le penchant de la montagne, inaccessible dans sa retraite.

ELOA, LA SOEUR DES ANGES,

PAR M. ZIEGLER.

COMPOSITIONS AU TRAIT SUR LE POÈME DE M.A. DE VIGNY.

Quand Jésus vit mourir Lazarë, qu'il aimait, il versa unë larme, larme sainte et divine que les anges recueillirent dans une urne de diamant, et qu'ils portèrent aux pieds de l'Éternel. Dieu voulut qu'une larme de son fils fût un bienfait

pour le ciel.

Alors on vit du sein de l'urne éblouissante
S'élever une forme et blanche et grandissante,
Une voix s'entendit qui disait : Eloa!

Et l'ange apparaissant répondit: Me voilà.

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Eloa vivait jeune fille remplie de blancheur et de beauté, vierge bienheureuse parmi les bienheureuses, admise dès sa naissance aux joies ineffables de contempler la face du Seigneur. Les ames passionnées qui ont dépensé des heures entières, heures de délices, à regarder silencieusement le visage de l'objet de leur amour, savent que les Écritures ont bien fait de promettre aux élus, pour récompense de leurs vertus, le bonheur de voir le Dieu qu'ils vénèrent et qu'ils adorent. Les habitans du ciel aimèrent Eloa sitôt qu'elle ap

parut; ils accoururent pour verser des fleurs sur la tête de cet enfant privilégié de Dieu, et ils chantèrent les harmonies de leurs violes d'amour pour lui plaire et l'instruire.

Eloa, disaient-ils, oh! veillez bien sur vous,

Un ange peut tomber : le plus beau de nous tous
N'est plus ici.

On crut qu'Eloa frémirait à ces mots, mais non; le malheur de l'ange tombé remplit sa pensée de tristesse, et son cœur candide ne ressentit que le besoin de le secourir. Depuis lors, souvent pensive, elle abandonnait ses compagnes, et, déployant ses blanches ailes, elle descendait jusqu'au dernier ciel, loin du tabernacle, loin des cantiques sacrés, loin de l'éclatante lumière du séjour des gloires pour rêver en liberté.

Et toujours dans la nuit un rêve lui montrait

Un ange malheureux qui de loin l'implorait.

Unjour, du haut des nuages qui la portaient dans l'éther, elle aperçut au fond de l'abîme un jeune homme couché mélancoliquement sur un lit de vapeur. Sa robe de pourpre l'enveloppait avec magnificence, ses bras et ses pieds étaient chargés d'anneaux d'or tout éblouissans de pierreries, et son beau front inquiet était baissé vers la terre ; mais il leva les yeux, et découvrant Eloa qui brillait au ciel comme une étoile,

il dit :

D'où viens-tu, belle archange? Où vas-tu? Quelle voie
Suit ton aile d'argent qui dans l'air se déploie?

Et ses accens doux et sonores s'élevaient lentement jusqu'à la fille de Dieu. Il la flatte, il la charme, il l'enivre de mots pleins d'amour et de tristesse; il lui dit qu'il est malheureux, qu'il souffre; Eloa, timide et tremblante, se suspend dans les airs pour mieux l'écouter.

Je suis celui qu'on aime et qu'on ne connaît pas,

répète l'ennemi perfide. La pauvre ange, que frappent ces

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