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paroles mystérieuses, s'approche davantage au lieu de fuir. Bientôt le prince des ténèbres lui parle des bonheurs infinis qu'il y a dans l'union de deux ames, il l'appelle sa sœur, elle le consolera de tous ses maux; et l'imprudente descend toujours vers cette voix mélodieuse qui demandait pitié. Enfin elle ose répondre :

Puisque vous êtes beau, vous êtes bon sans doute !

Pensée de vierge où rayonnait sa pureté divine. Et en même temps elle s'abattait plus près de l'ennemi, tout enveloppée de ses ailes étincelantes, pour mieux l'entendre. Un instant le maudit, en voyant cette ange si jeune et si bonne qui venait pleurer avec lui, se souvint des cieux, mais l'esprit de l'enfer reprit sa puissance, la touchante victime ne devait pas lui échapper. Comment aurait-elle pu résister à l'idée de consoler un malheureux? Elle s'approcha donc tout près de lui; aussitôt le démon porta la main sur l'enfant de Dieu, et l'entraîna dans l'espace.

e?-Viens toujours.

-Où me conduisez-vous, bel ange
-Que votre voix est triste! et quel sombre discours!
Nomme-moi donc encore ou ta sœur, ou ton dieu.
-J'enlève mon esclave, et je tiens ma victime.
-Tu paraissais si bon ! Ah! qu'ai-je fait ?-Un crime.
-Seras-tu plus heureux ? du moins es-tu content?
-Plus triste que jamais.—Qui donc es-tu ?-Satan.

Lorsque M. de Vigny, il y a peu d'années encore, était dans cet âge où l'ame du poète, toute jeune, toute blanche, toute imprégnée de l'essence divine, peut s'élever longtemps dans les airs, il pénétra jusqu'aux jardins de l'Éden, et en rapporta cette légende qu'il avait entendu raconter le soir par les anges assemblés sous leurs délicieux ombrages. Telle est l'œuvre ravissante que M. Ziegler a choisie pour l'orner de ses illustrations; mais nous verrons qu'il n'a pas tardé à secouer le joug de la pensée d'autrui. S'inspirant du chantre céleste sans le copier; le crayon à la main, il a fait aussi son Eloa; et le cahier de gravures dont nous rendons

compte est un poème dans un poème, comme le Faust de Delacroix est une révélation nouvelle jointe au Faust de l'écrivain allemand.

Si nous ne nous trompons pas, c'est le sculpteur John Flaxmann qui le premier eut l'idée de rendre dans une suite de simples traits les sujets les plus frappans d'un poème. fl fit ainsi l'Homère, l'Hésiode, avec son chef-d'œuvre, Le Dante; et le génie plein de grandeur et de simplicité qu'il déploya dans ses compositions l'a mis au rang des plus nobles artistes du monde. Peu de personnes possèdent en France les traits originaux de Flaxmann; mais les mauvaises copies que nos éditeurs en ont données suffisent pour nous remplir d'admiration. Ses gravures sont une véritable incarnation des siècles passés. Après lui vinrent les Allemands, qui, se livrant à leur nature particulière, rêveuse et croyante, ont traduit, dans des dessins pleins de charme et surtout de fantaisie, les ballades de leurs poètes. Reith et Neureuther ont fait des choses fort estimées en ce genre. Enfin voilà que nous nous présentons aussi à notre tour, et M. Ziegler ne nous met point au-dessous de nos rivaux. Je l'ai déjà dit, les illustrations d'Eloa sont un poème. C'est surtout quand l'ange tentateur entre dans l'action qu'elles méritent mieux ce titre. Si on les examine attentivement, on remarque en effet que le démon, endormi d'abord, ne fait que lever la tête pour voir l'ange qui plane dans les cieux; puis, sans remuer à peine, il joint les mains; peu après il pose un genou en terre, et il est encore à la même place lorsqu'il tend les bras pour recevoir l'innocente vierge qui s'approche de lui, les regards voilés d'amour et de tristesse. La parole a tout fait, et cette immobilité du personnage principal prouve évidemment que le peintre, dans l'œuvre de séduction dont il avait à retracer l'histoire, a voulu rendre tout ce que l'éloquence peut avoir d'empire sur ceux à qui elle s'adresse. Belle puissance de dessin que celle qui explique par un trait de burin le développement successif d'une pensée vigoureuse, laissant à notre intelligence le soin facile de composer les détails intermédiaires! C'est encore une idée d'une haute poésie appartenant en propre à M. Ziegler, d'avoir abattu les ailes de la jeune archange quand elle tombe aux bras de

Satan. Nous voyons enfin qu'il a généralement exécuté son entreprise en grand penseur; mais nous devons regretter que le pinceau ait été rebelle à la volonté qui le dirigeait dans l'exécution de la figure du démon. Le sien n'est presque toujours qu'un homme ordinaire dépourvu de grandeur et de passion. Lucifer était le plus beau des habitans du ciel ce fut l'orgueil qui le perdit. Nous aurions voulu voir sur son visage les éclairs de rage de l'ange déchu, ou l'expression de tristesse d'une ame énergique qui réussit à cacher les tourmens qui déchirent son cœur. On conçoit du reste que le peintre faillisse devant l'immense difficulté de caractériser de pareilles nuances au moyen de simples traits: pour atteindre là, il lui faut certainement encore plus de force de génie qu'à l'écrivain. Au reste, les anges de M. Ziegler feront sans peine oublier la faiblesse de sa création du diable. Ceux-ci sont de véritables anges, pleins de l'esprit de Dieu, beaux, nobles, calmes. Ils portent bien le type de la grâce austère que notre imagination prête à ces créatures divines. Eloa surtout est d'une blancheur, d'une virginité ravissante, et rien de tout cela ne ressemble aux femmes maniérées que les copistes du moyen âge nous donnent trop volontiers pour des séraphins. Seulement à M. Ziegler, qui s'est toujours distingué par une grande sévérité de lignes, comme on dit à l'école, on reprochera avec justice de s'être laissé aller à un peu d'afféterie dans quelques-unes de ses draperies, et de n'avoir pas toujours eu un dessin aussi ferme qu'il le fallait. Aucune négligence ne passe inaperçue dans ces contours dont nul effet de couleur, nul jeu de lumière ne viennent dissimuler la pureté. Aussi est-ce une chose désespérante, par exemple, d'avoir gâté le délicieux sentiment qu'il y a dans la figure d'Eloa (planche X), en lui brisant le cou comme à une ombre chinoise. Malgré cette critique, on ne sera pas moins très-heureux de posséder le cahier de la Sœur des Anges, car il y a dans tous les ouvrages de M. Ziegler quelque chose de sérieux et de grave qui donne à penser. On dirait que, profondément pénétré de la sublime portée de son art, il regarde la peinture comme une religion dont il se fait pontife, pour chanter avec solennité ses vivifians bienfaits et ses gloires magnifiques. Depuis le Giotto qu'il

avait exposé il y a trois ans, jusqu'au saint Matthieu du dernier salon, tout ce qui sort de sa main a le sentiment d'une beauté réfléchie, le caractère d'une solidité que je serais tenté d'appeler monumentale. Les artistes ont particulièrement apprécié d'aussi éminentes qualités; et c'est un encourageant exemple à offrir aux jeunes gens qu'un jeune homme à peine auteur de quatre ou cinq tableaux, et arrivé déjà, comme M. Ziegler, à une haute réputation. Le hasard suspend quelquefois cette loi terrible de l'humanité qui ordonne au mérite de pâtir long-temps avant d'éclater aux yeux de tous. Que les ames généreuses qui souffrent dans l'obscurité pe perdent pas courage!

V. SCHOELCHER.

PARIS.

SATIRÉ.

Parisiens ingrats! oublieux des grands hommes,
Un homme pur vivait dans le siècle où nous sommes,
En son cœur habitait l'antique loyauté,

Et son cœur ne battait que pour la liberté.
Quand la cupidité tourne toutes vos têtes,
Lui n'était tourmenté que de pensers honnêtes;
Ce juste est mort, hélas! et comme un lourd fardeau,
On s'est vite empressé de le mettre au tombeau!
Et le soir dans vos murs on ne parlait qu'à peine
Du mort que doit pleurer la terre américaine,
Qui, ne pouvant avoir comme vous son cercueil,
Plus loin que vous du moins saura pousser son deuil.
Comme Jérusalem autrefois des prophètes,
Vous riez aujourd'hui des saints et des poètes.
Paris, que veux-tu donc qu'il advienne de toi,
Quand tu n'as plus un grain de respect ni de foi;
Quand, respirant encor l'odeur du cimetière
Qui recèle à jamais LA FAYETTE en poussière,
Le front voilé de crêpe et l'œil humide encor,
Tu reviens sans pudeur adorer le veau d'or?...

Donc bien qu'en ces beaux jours la féconde industrie Couvre de ses trésors le sol de la patrie,

Que chaque citoyen, tout gonflé de ses droits,

A leur juste valeur estime enfin les rois ;

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