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mort, il y a des pauvres et des riches jusque sous la terre. Les cimetières sont comme les théâtres ; il y a des places où l'on est sûr d'être vu, et d'autres où l'on est perdu dans la foule. Au haut bout du cimetière sont les tombes qui vous regardent; dans les coins sont les croix de bois que vous ne regardez pas.

Quand les prières des morts furent dites et la pelletée de terre jetée sur le cercueil, le plus jeune des deux hommes qui s'étaient tenus auprès du corps pendant le convoi, saisit l'autre par le bras, et l'entraînant sur le bord de la fosse: Je n'ai plus qu'une parole à vous dire! s'écria-t-il, mais il faut que je vous la dise. C'est vous, son père, qui êtes cause qu'elle est là.

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-J'aime encore mieux qu'elle soit là qu'elle soit à toi, répondit le père ; car tu n'aurais pas pu la nourrir, ni eeux que tu aurais eus d'elle.

- Dites donc que c'est pour quelques acres de terre que vous l'avez tuée ! reprit le jeune homme en faisant un geste menaçant.

Le père recula, et, dans son mouvement, fit ébouler avec fracas sur le cercueil la terre qui était entassée près de la fosse. Ce bruit mit fin à cette scène violente. On eût dit que le cercueil gémissait, et que la morte allait se soulever pour séparer son père et son amant. Tous deux sortirent du cimetière en silence.

Il y a de cela moins de trois mois. Le père est mort d'apoplexie en apprenant une perte d'argent. Le jeune homme est allé habiter Paris, et s'y est marié. Il n'y a de fleurs sur la tombe de la jeune fille que quelques bluets fanés que j'y ai mis.

NISARD.

DU THÉATRE

ET

DES THEATRES.

PREMIER ARTICLE.

§ Ier. Je doute qu'en aucun temps le théâtre ait été plus fréquenté, et, il faut dire, plus dénigré, plus universellement calomnié. C'est une belle et curieuse chose que d'entendre nos précieuses à la mode, celles qui décident en reines dans le monde des fleurs à porter, des chapeaux à quitter, des robes à prendre, celles qu'on retrouve en grande loge à chacune de nos premières représentations, de les entendre vouer le théâtre aux immondices, et, ce que disant, dérober sous l'éventail leur charmante figure. C'est une belle et curieuse chose que de rencontrer dans la même et sainte fureur de petits élégans qui ont plus de cravate que de raison, et discourent presque aussi impertinemment de littérature que de jockeis et de chevaux. C'est une belle et curieuse chose que de recevoir le matin, lorsque les yeux s'ouvrent à peine, les invincibles argumens dont le théâtre est assailli chaque soir par les Jupiters tonnans de la critique ordinaire. Il n'est pas jusqu'aux Démosthènes de la chambre qu'il ne soit également curieux et beau d'écouter lorsqu'ils lancent les flèches

de leur redoutable éloquence contre le vieux théâtre, qui les regarde et sourit.

Et cependant que veut tout ce monde? Il insulte le théâtre et particulièrement celui d'aujourd'hui. Il appelle le théâtre une sentine, un gouffre de vertus, un mauvais lieu où le cœur n'est pas plus en sûreté que le goût. Il y en a même qui seraient heureux qu'on abolît entièrement ces sortes de spectacles; et si ceux-là sont les plus rigides, je ne leur refuserai point, pour ce qui me concerne, cet éloge précieux de savoir au moins ne pas reculer devant les conséquences de leur idée. Car il n'y a point ici à tergiverser qui rejette le fait, rejette la cause.

Vous tous donc qui êtes les ennemis du théâtre, choisissez. Vous voulez des théâtres, ou vous n'en voulez pas. Si vous en voulez, puisque nous en voulons aussi, il ne reste plus qu'à déterminer comment vous les voulez. C'est un point sur lequel nous reviendrons plus tard. Ou vous n'en voulez pas, et alors vous vous placez à l'un de ces deux points de vue qui embrassent tous les autres : point de vue religieux, point de vue philosophique. Vous vous retranchez derrière Bossuet ou Rousseau.

Ce sont là, je le confesse, et qui voudrait le nier? des autorités brillantes, fortes et habituées à imprimer le respect. Ce respect, je l'éprouve plus que personne. Sur le point de froisser ma faible et obscure logique contre les armures séculaires de ces deux rois de la pensée, je n'imagine même pas que ce soit leur gloire qu'il faille proclamer, mais ma profonde insuffisance et ma faiblesse, qui est mon seul recours contre leur force. La vérité fera le reste.

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En commençant par Bossuet, j'observe que tout son Traité sur la comédie se résume en ceci, que la vie chrétienne étant une vie de mortifications, et le théâtre un divertissement perpétuel du corps et de l'ame, il n'est point possible qu'on accommode sa conscience à deux principes si contraires, et qu'on donne le matin à Dieu, donnant le soir au monde. Cette arme dans ses mains est terrible, il en brise de page en page le front de son adversaire. Furieux de la querelle qu'on suscite à l'Église, et plus jaloux de défendre ses droits que d'épargner celui contre lequel il se

déchaîne, du titre de prêtre et de théologien qui devait sauver le malheureux des amertumes de la discussion, l'impitoyable évêque forme au contraire son argument le plus long et le plus acéré; il s'indigne qu'on ait osé faire descendre dans une arène de cette nature les grands noms de saint Thomas et des autres saints, qu'on n'ait pas redouté d'éluder l'autorité des pères de l'Église, de compromettre les censures des Rituels, et d'attester, en faveur d'un passe-temps aussi damnable, les augustes secrets d'un sacrement tel que la confession. Puis sa colère, qui était allée jusqu'au mépris, se calme, s'apaise, sans doute parce qu'en fermant la lice, il la fermait sur les débris de son ennemi broyé et dissipé. On sait quel était Bossuet, un aigle plein d'yeux en dedans, comme dit saint Jean, mais acharné aux combats, et un plus digne ministre du Dieu des armées que du Dieu de charité et de clémence. Comme tous les grands esprits envahis par une grande idée, dur, inflexible, n'admettant quoi que ce soit qui ne fût la preuve ou la glorification de sa pensée unique; d'un zèle extrême et toujours inquiet, amoureux de la dispute, non par de mondaines et vaniteuses espérances, mais par le désir d'exterminer l'hérésie, et par la certitude d'y imposer son Dieu. Tel il fut contre Luther, contre Calvin, contre Jurieu, contre Fénelon; tel il se montra en cette affaire, si bien qu'on peut lui rendre cette louange, que tout ce vaste échafaudage élevé pour le théâtre disparut dans les flammes de son génie.

A saint Thomas et aux autres saints son ouvrage oppose saint Rasile, saint Chrysostome et plusieurs encore; des pères de l'Église falsifiés ou mal interprétés, à son sens, il en appelle aux pères de l'Église mieux informés, et posant les bases immuables de la doctrine chétienne; les preuves s'entassent sur les preuves; arrivent bientôt les papes et les saerés conciles et, fermant cette marche auguste, arrive enfin Bossuet lui-même, de tant de majestés non certes la moins vénérable. Ce qu'il ajoute au poids de ces décisions Peut se diviser et se classer en trois argumens. Point de théâtres; premièrement à cause de l'infamie du théâtre de son temps critique particulière et partiale, comme on doit

s'y attendre, marquée çà et là par une censure sanglante des pièces de Molière, ce poète-comédien, ainsi qu'il le désigne avec dédain. Secondement à cause de l'infamie de ceux qui montent sur la scène, dont par malheur on ne saurait se passer dès qu'on admet l'usage des salles de spectacle. Troisièmement enfin à cause de l'impossibilité de réformer le théâtre et d'en faire l'instrument et l'oracle d'idées quelconques justes et morales.

Ceux qui ne connaissent pas ce traité, et qui admirent la fameuse lettre de J.-J. Rousseau sur les spectacles, ne tomberont pas dans un médiocre étonnement; car, à dire vrai, qui lit le philosophe de Genève a lu l'évêque de Meaux. Il n'y a de différence entre ces deux magnifiques dissertations que celle des principes au nom desquels chacun de ces deux génies s'est produit dans le monde et a fait mal ou bien. Aussi, lorsque nous aurons dégagé l'écrit de Jean-Jacques de tout ce qui intéresse Genève et ne regarde point la présente dis cussion, nous ne trouverons rien autre chose que ces trois mêmes objections contre le théâtre, à savoir, que la comédie, de son temps, est digne de blâme et de châtiment, que les comédiens, partie inséparable des pièces de théâtre, sont d'infâmes corrupteurs; et que le théâtre, funeste, dangereux, ne saurait devenir utile, ni se réformer et réformer quoi que ce soit.

On l'a vu, Bossuet n'avait pas raisonné autrement. Il ne manque même pas dans la lettre de Rousseau l'anathème qui avait été fulminé contre le poète-comédien. Seulement, à ce sujet je ferai observer une chose qui caractérise, peutêtre dans de petites proportions, mais bien véritablement, l'esprit des deux sociétés dans lesquelles ont brillé le philosophe et le théologien, et qui les caractérise aussi et assez singulièrement; c'est que Bossuet, persuadé de la bonté de sa cause, invariablement adossé contre la raison divine, d'ailleurs venu dans un siècle de construction et de vérité, dédaigne de se répandre en preuves et de se hérisser de mille petits syllogismes; il terrasse Molière en deux coups, l'offre à la réprobation universelle, et, sa valeur une fois précisée, il passe sans s'enfoncer dans l'examen de ses ouvrages. J.-J. Rousseau amoncelle au contraire pages sur pa

et

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