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situation des provinces du Midi durant les six derniers mois de l'année 1793. Les divers mouvemens d'action et de réaction qui se succédèrent si rapidement en ces jours orageux, et qu'altéraient de plus en plus, à mesure que l'on s'éloignait du centre, les intérêts ou les préjugés des localités, ces mouvemens si difficiles à démêler de loin, sont ici étudiés et décrits en détail, particulièrement dans la petite ville de la Ciotat, entre Marseille et Toulon. On sent que l'auteur a raconté des spectacles dont il avait été témoin dans son enfance. Le caractère de M. Brého, vieillard patriote et observateur un peu chagrin, mais si sage, est d'une grande vérité, et souvent la justesse du bonhomme va jusqu'à la profondeur. La silhouette du jeune commandant d'artillerie Bonaparte est bien posée et n'absorbe pas trop le reste. Les conversations parfois sont un peu longues, et auraient pu être allégées de certains récits; mais, en somme, LE SIÈGE DE TOULON, nous semble un livre instructif, intéressant, et l'écrivain sensé et le bon citoyen s'y montrent toujours. Delonchamps, rue Hautefeuille, no 3o.

13 JUILLET.

Rien ne s'est encore décidé durant la semaine dernière, quant à la nomination définitive d'un nouveau gouverneur d'Alger. Mais, quoi qu'en aient pu dire quelques journaux, il est bien difficile qu'on en revienne à l'idée d'un gouvernement militaire, après avoir écarté le général Guilleminot, avec lequel on s'était conditionnellement engagé, et le débat n'est guère toujours qu'entre le duc de Bassano et le duc Decazes. C'est d'ailleurs le dernier qui, en dépit de tout le mauvais vouloir du président du conseil, a conservé les meilleures chances. Les ministres doctrinaires l'épaulent au moins de toutes leurs forces. M. le duc Decazes est le général sous les drapeaux duquel ils ont commencé à servir, Il y aurait de leur part de l'ingratitude à ne point le pousser à ce poste, dont les énormes revenus lui seraient si nécessaires pour réparer les ruines de sa fortune, que de malheureuses entreprises industrielles ont récemment engloutie presque tout entière.

Le mouvement qui se prépare aux affaires étrangères, pour être différé, n'en sera que plus complet. Ce n'est plus seulement à quelques légations qu'on se propose de toucher; mais on songe sé

rieusement à remanier le personnel de la plupart des grandes ambassades.

Bien entendu qu'il ne s'agit nullement, comme on l'avait à tort prétendu, de déplacer M. de Talleyrand, qui restera immuable à Londres, du moins tant qu'il lui plaira.

Il est douteux que M. de Rayneval soit maintenu à Madrid après Ja réunion des cortès. Doué comme il est d'une merveilleuse souplesse, et habile surtout à louvoyer par des temps incertains, cet ambassadeur a pu être bon tant qu'il ne s'est agi dans la Péninsule que de naviguer sur la mer encore tenable des révolutions ministérielles; mais il ne serait plus homme à lutter contre les vagues menaçantes des représentations nationales qu'on voit venir.

M. de Saint-Aulaire, ambassadeur tout littéraire, fatigué qu'il est de son séjour à Vienne, qui se fait, ainsi que les autres cours du Nord, peu aimable pour nos représentans, demande instamment qu'on le renvoie à Rome, dont ses inspirations historiques. s'accommodaient beaucoup mieux.

Le général Sébastiani daignera-t-il aller à Naples? Cela dépend. Si le mariage de famille se décidait, son excellencé se déciderait elle-même! Sinon, non. C'est qu'en cas de mariage, l'ambassade serait brillante et magnifique. Elle serait presque digne qu'un homme de l'importance et de la qualité du général Sébastiani se résignât à s'en charger. Outre les croix, les rubans et les dignités. de toute sorte que l'heureux plénipotentiaire y recueillerait à ^pleines mains, il y serait aussi honoré de certains présens diplomatiques qui, pour se réduire, selon l'usage, en quelques dizaines de milliers d'écus, ne seraient point pourtant à mépriser.

Il a vaguement été aussi question du rappel de l'amiral Roussin. Voici pourquoi : Nos ambassadeurs près de la Porte ont généralement la manie de n'en faire qu'à leur tête. Comme la plupart de ses prédécesseurs, l'amiral Roussin s'avise, dit-on, de prendre trop souvent conseil de lui-même, et de répondre avec une certaine irrévérence aux dépêches qu'on lui expédie de Paris-lorsqu'il lui plaît de répondre toutefois. Vous concevez que ces façons d'agir ne sont pas pour satisfaire M. de Rigny, ni le roi. Or, n'ignorant rien de ces mécontentemens, le maréchal Soult, en digne président du conseil, et en bon père qu'il est, devait naturellement veiller à ce que nos intérêts en Orient ne fussent point compromis faute d'ambassadeur. Aussi l'autre jour, dans un de ces beaux

momens qu'on lui connaît, avec un mouvement d'éloquente naïveté pareil à celui qu'il eut à la chambre, lors de la célèbre discussion sur les traitemens des maréchaux, parlant à sa majesté de son dévouement et de celui de sa famille : « Sire! s'écria-t-il, pour vous servir, mon fils, le marquis de Dalmatie, irait, le maréchal allait dire jusqu'au bout du monde! — Il lui sembla que c'était aller un peu loin; il s'arrêta donc, puis continuant: « Le marquis de Dalmatie, reprit-il, sire, pour vous servir, irait jusqu'à Constantinople! >>

C'est qu'en effet le marquis de Dalmatie est bien homme à aller partout où il y aura pour lui une ambassade. Son zèle diplomatique est à toute épreuve. Il irait à Naples si le général Sébastiani le voulait bien. Il irait à Constantinople, quand même l'amiral Roussin ne le voudrait pas !

La fête donnée par M. Pozzo di Borgo, à l'occasion de l'anniversaire de la naissance de son souverain, n'a été qu'un dîner d'hommes fort triste. Tous nos ministres, qui s'y trouvaient, n'y avaient été, on le pense bien, invités que par cette nécessité de bienséance qui les avait fait admettre, il y a quelques semaines, au dîner de M. le duc d'Orléans. Cette fête n'offrait, au surplus ainsi qu'un contraste plus frappant avec celle qui a eu lieu le 2 de ce mois, à Londres, chez le duc de Wellington, et où, parmi treize cents conviés, mille appartenaient à la haute aristocratie.

Toute la famille royale est actuellement en promenade; M. le duc d'Orléans n'était pas même attendu au dernier vendredi dansant de Mme l'ambassadrice d'Angleterre. Nos ministres ne sont plus au complet; l'un d'eux est déjà parti; d'autres vont, dit-on, le suivre. Mais, en vérité, cette désertion devient alarmante. Le faubourg Saint-Germain s'était d'abord retiré en masse. Voici maintenant tout le gouvernement qui nous abandonne. Si cela continue, il n'y aura bientôt plus personne à Paris que le peuple.

La nouveauté que nous a donné le Théâtre-Français n'a paru ni bien neuve ni bien attachante. LES DERNIÈRES Scènes de la FRONDE avaient failli déjà se jouer, il y a deux ans, sous le titre de MADAME PE LONGUEVILLE; mais l'attentat du Pont-Royal, auquel on avait prétendu qu'elles étaient une allusion, en avait fait ajourner la représentation, au grand déplaisir de l'auteur, qui avait prétendu, de son côté, que l'attentat du Pont-Royal n'était qu'une allusion au sujet de sa pièce.

Quoi qu'il en soit, Mme de Longueville, pour attendre si longtemps, et changer de titre, n'a gagné ni en intérêt ni en fortune.

Nous sommes passablement las des scènes historiques au théâ tre; est-ce pourtant au moins un feuillet habilement découpé de notre histoire que l'ouvrage de M. Maillan? Nullement. Mais de trop justes critiques lui ont déjà prouvé qu'il n'avait rien compris de la Fronde pour que nous prenions la même peine. Qu'est-ce donc que cette pièce? Est-ce un drame? Pas davantage. Il n'y a pas là ombre de drame. La seule figure qui saillisse un peu de ce tableau maussade et décoloré, c'est Raguenet, grâce au jeu énergique et accentué de Beauvallet. D'ailleurs ce Raguenet est le même personnage que depuis quatre ans le bétail des imitateurs nous met à tout drame. C'est un de ces hommes pâles qui ne nous excèdent pas moins que la femme aux pas de la quelle ils s'attachent impitoyablement. C'est le SOLITAIRE, qui voit tout, entend tout, sait tout et entre par toutes les portes; c'est le DIDIER de M. Victor Hugo, moins son ame et sa poésie ; c'est l'ANTONY de M. Alexandre Dumas, moins sa vigueur et son acharnement. Bref, c'est tont, et ce n'est rien.

LES DERNIÈRES SCÈNES DE LA FRONDE, convenablement assaisonnées de couplets, eussent eu cependant leur chance de succès au Vaudeville, où les hommes pâles jouissent encore d'une certaine faveur. Aussi pourquoi M. Maillan, qui eût été là sur son terrain, n'a-t-il point fait de son drame un vaudeville historique?

L'Opéra-Comique, dont l'activité ne se relâche point, vient d'ajouter à son répertoire L'ANGELUS, petite pièce qui réunit en un seul acte tous les mérites poétiques du PRÉ AUX CLERCS. Vous y avez un châtelain et une châtelaine, un troubadour et une belle cousine, plus un chapelain, le personnel complet d'un fabliau. Le châtelain aime passionnément courir le cerf; mais, non moins jaloux que grand chasseur, avant de se mettre en campagne, il charge prudemment le chapelain de surveiller la châtelaine et de sonner l'Angelus à coups redoublés au cas où il y aurait péril en la demeure. Or, à peine le châtelain a-t-il tourné les talons qu'arrive, pour chasser aussi sur ses terres, un certain comte déguisé en troubadour, qui ne veut rien moins que s'emparer à la fois des deux cœurs de la châtelaine et de la belle cousine; mais le chapelain, qui fait bonne garde, sonne l'Angelus à point. Le baron, laissant là le cerf, accourt lui-même, furieux et prenant le tron¬

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badour en flagrant amour le marie par force avec la belle cousine. Je ne doute point que l'auteur de L'ANGELUS, M. Ader, homme d'esprit qu'il est, n'ait voulu parodier, dans cet opéra-comique, tous les opéras-comiques à châtelaines et à troubadours de ses devanciers. On ne saurait au moins demander à son poème plus de candeur et de naïveté. Les niaiseries de M. Planard lui-même ont à peine autant de grâce et de fraîcheur.

D'ailleurs la musique de ce nouvel opéra est fine, gracieuse et savante; elle fait honneur à M. Casimir Gide et ne dément aucune des espérances qu'avaient données ses airs de danse et son galop de LA TENTATION. Montée comme elle est, avec soin et avec goût, encadrée dans une jolie décoration gothique, et soutenue surtout par sa partition, cette pièce, venant en aide à LESTOCQ, permettra d'attendre sans trop d'impatience la traduction du BARBIER DE SÉVILLE de Rossini.

MARIE TUDOR et LUCRÈCE BORGIA, les deux derniers drames de M. Victor Hugo, ont été repris pendant la semaine à la Porte-SaintMartin; mais trop de représentations encore récentes en avaient épuisé le succès, pour que, par ce temps d'excessive chaleur, il leur fût possible d'attirer la même affluence que dans leur nouveauté. Beaucoup de leurs admirateurs ont voulu cependant revoir ces deux ouvrages, autour desquels se sont livrés tant de combats, et c'est dire assez qu'ils ne se sont nullement joués dans le désert.

On se demande, vraiment avec effroi ce qu'il faudra à nos poètes à venir de bonheur ou de malheurs inouïs, de chances extraordinaires, pour intéresser à leurs débuts l'attention publique, quand déjà de nos jours la littérature, qui s'encombre encore à chaque instant davantage, ne jette plus au milieu des bruits du siècle de nom nouveau dont le retentissement se prolonge au-delà d'une matinée.

Ainsi quel livre en ce moment pouvait se promettre d'exciter au moins la curiosité, si ce n'est celui de M. Hippolyte Raynal, ce pauvre jeune poète, que sa fauté et sa condamnation firent presque célèbre, il y a quatre ans, durant son procès. Dans ce livre, qu'il intitule MALHEUR ET POÉSIE il se confesse à nous sans réticence; il ne vous cache rien de son erreur, mais il en recherche ingénùment les circonstances atténuantes ; il plaide avec franchise sa défense; il va plus loin, il accuse la société à son tour! Il l'interroge! Il veut savoir si elle aussi n'a pas été coupable envers lui.

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