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«On li bailla.j. maistre

» Qui estoit biau vallez».

Mais le damoiseau était si felonnez que pour peu què son instituteur le blâmât, il jetait, de dépit, son livre par terre. Un jour il le frappa d'un coup de couteau dans le bas-ventre. Dit Robert:

« Je vous ay mon coutel
>> Fait sentir en apert!
» Le Clerc ne vesqui gaires (1)
» Ainz morut sanz tesert (2),

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;

J» Ainz puis il n'i ot maistre
»Tant fust hardi n'apert
» Qui se vantast d'apandre
» A Clergie Robert »>.

Il haïssait la sainte Église car s'il entrait dans un moutier ce n'était que dans une méchante intention. Lorsque le prêtre ouvrait la bouche pour commencer l'office divin, il le couvrait de cendres et d'immondices. Quand il voyait des gens pieusement agenouillés, il les « boutoit » par derrière, toutes les fois que, débonnairement, il ne les jetait pas la face sur le pavé. · - Le duc, qui était un homme sage et expérimenté, gémissait de ses écarts et souffrait en silence. Un jour, la duchesse lui dit : Ne voulez-vous point, seigneur, adouber votre fils chevalier? Il me sem¿ble qu'il est en âge.... - Je ne sais, répondit-il, ce qu'il en adviendra; mais mon cœur est vivement peiné. Robert, averti que son père désirait lui parler, parut devant lui.

Biaux filz, ce dit le Duc, Chevalyer vous faut estre » Mès muer vous faudra >> Et changier vostre afaire. >> Tout Chevalyer doit estre » Courtoiz et debonnaire >> Aus bons, mès grever doit » Les felons de put aire.

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» Bien l'acors, dist Robert,
Mès, par fy, ne me chaut (3)
»En quel état je soie

>> Chevalyer ou Ribaut;
»Pour tant que mes bons (4) face
» Par Dieu qui sus touz vaut,
»Je ne me deporterai

» Aus armes né bas né haut.

(1) ... Le Clerc ne vesqui guères. « Son maistre le re>> prinst une fois et s'en voust corrigier Robert. Quant Robert eust » été corrigiez com son maistre se dormoit il l'occist d'ung 'cous»tel trenchant. ( Vraies Croniques de Normendie.)

(2) Sans jeter un cri, sans proférer un mot. De tacere, se taire. (3) Peu m'importe.

(4) Ma volonté.

(5)

Il alla à l'église. Ce fut en l'abbaye Saint-Pierre,

De grand matin, la veille d'un jour de Penthecouste (Pentecôte) notre héros fut baigné; il alla ensuite à l'église, écouta la messe d'un air distrait et ne pria point Dieu : il fut fait chevalier. Le lendemain, il reçut la colée et dit en bon français: « Jamais je ne me fierai ni aux clercs ni aux prêtres, mais toujours les molesterai. » Un tournoi fut crié pour célébrer sa réception ; il y parut et renversa sur la poussière tous ceux qui s'étaient présentés pour lutter contre lui. Il rompit les membres à celui-ci, cassa la cuisse à celui-là, fendit le crâne à un troisième. Bref, on fut obligé d'aller chercher le duc pour qu'il suspendît la joûte; mais, sourd à ses ordres comme à ses prières, Robert ne déposa pas les armes qu'il n'eût encore tué plusieurs autres chevaliers. A partir de cette époque, il fut universellement abhorré, et il suffit qu'il parût dans un bahour (espèce de carrousel) pour que personne n'y voulût joûter.

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Peu sensibleau mépris dont il était l'objet, le fils d'Auberts'abandonna sans contrainte à ses mauvais penchans; il se plon

la même qui a été appelée plus tard Saint-Quen, que le fils d'Aubert fut adoubé chevalier. A la Saint-Jean-Baptiste, et non à la Pentecôte, comme dit le poème, au lieu d'aller à l'église, où il était attendu, il pénétra de vive force dans un couvent de femmes situé à une lieue de Rouen, viola une nonne qui lui plut, lui coupa ensuite les mamelles, revint à la ville couvert de sang et de poussière, et se coucha tranquillement. Sa mère lui ayant envoyé un député, il se décida avec peine à se rendre au moutier. Quand il y arriva, la messe était terminée; cependant le duc lui donna l'accolade. Depuis cette époque il se sépara de ses parens et habita le château de Torinde avec trente mauvais sujets.

() Il est évident que le copiste a sauté ici un membre de phrase; je propose de rétablir ce vers ainsi :

<< Priez que Diex poixant
>> Li enwit courte vie ».

gea dans les plus honteuses débauches, s'entoura d'hommes que la société avait depuis long-temps rejetés de son sein, et parcourut avec eux les villes et les campagnes, pillant sur son passage les couvens de moines et les couvens de nonnes, la chaumière du vilain et la maison du bourgeois, l'habitation du riche et le château du noble. Aussi de tous côtés des plaintes multipliées parvenaient à son père.

« L'uns li disoit : Sire chier,
>> Par fy, c'est un lait gieu,
» Robert a violees

» Les Nonnains de tel lieu.

»Je croi c'est un Déable,

» Il ne croit pas en Dieu,
»Ne prise homme né femme
» Une goute de sieu ».

Les barons, à leur tour, vinrent lui conter leurs griefs:

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Un bon vieillard prit la parole en ces termes :

«Se dist: Sire je lo (conseille)
» Que Robert soit mandez,
>> Pardevant touz vos hommes,

» Le malli deffendez

Et s'il vous contralie » En prison le metez ».

Pour suivre ce conseil, le duc envoya des messagers à son

(1) Fatigué des plaintes qui lui parvenaient de tous côtés sur son fils, Aubert dit publiquement qu'il pardonnerait de tout son cœur à celui qui le tuerait. Aussitôt que le vicomte de Coutance eut connaissance de ces paroles, il poursuivit sans relâche Robert, sous les coups duquel était tombé l'unique rejeton de sa race. Robert néanmoins lui échappa après un combat opiniâtre, et se réfugia chez un ermite. Comme il se sentait dangereusement blessé, il résolut de se convertir s'il guérissait. Lorsqu'il fut rétabli, il fit vœu en effet de ne manger que ce qu'il pourrait ravir aux chiens, et alla se confesser an pape, qui lui imposa pour pénitence de garder pendant sept années consécutives un silence absolu. L'auteur du Dit de Robert, en dénaturant quelque péu ces faits, les a présentés, i qu'il le devait, sous un jour plus poétique.

fils, qui, pour première marque d'obéissance, leur fit arra

cher les yeux.

« Chascun des Messagés

» Vous en dormirez miex

>> Que le duc y tramist (lui en-» Demain en vostre lit

» Fist traire les deuz yex » Et puis il leur a dist:

[voya)» Mès dites à mon pere
» Que c'est en son despit».

Il ne fut plus occupé désormais que du soin de renforcer sa bande de tous les malfaiteurs qu'il rencontrait. En peu de temps il devint la terreur de ses compatriotes, et je ne doute point que si Cartouche ou Mandrin eussent vécu de son siècle, ils ne lui eussent envié sa gloire. Un matin,

་་

Il issi tout seul

>> Hors de son herbergage

» Qu'il ne doutoit homme
» Né privé né sauvage »

Il trouva sur sa route un ermitage habité par trois vieux anachorètes qu'il massacra sans pitié. Exténué de fatigue après cet exploit, il laissa à son coursier le soin de le conduire, et au bout de quelques heures, il fut en vue du château d'Arques. Ayant appris d'un berger que sa mère devait y dîner seule en ce jour, il résolut d'avoir un entretien avec elle. Il entra donc dans la cour et s'approcha de plusieurs individus qui y étaient rassemblés ; mais ceux-ci ne l'eurent pas plus tôt reconnu qu'ils s'enfuirent en poussant des cris aigus. Pour la première fois Robert se sentit attristé de ce que sa présence causait un si grand effroi; pour la première fois aussi la haine des hommes, qui jusqu'alors lui avait été indifférente, l'affecta profondément; ses yeux se mouillèrent de larmes, sa tête se pencha sur sa poitrine, et durant quelques minutes il demeura absorbé dans l'amertume de ses réflexions. « Quelle triste destinée est la mienne! pensa-t-il; moi, le fils d'un duc, je n'ai pas un ami; moi, né pour commander à des milliers d'hommes, je ne puis même obtenir d'un varlet qu'il me tienne l'étrier. Dès que je parais, tout le monde s'éloigne et me fuit ; à ma vue, chacun se cache et se signe..... La peste est moins abhorrée que Robert: >>

་་

Voir, je puis bien véir

» Que le pueple me het».

A ce qu'il croyait être une faiblesse succéda un des violens emportemens auxquels il se livrait souvent; tirant (son épée, il monta à pas précipités les degrés de l'escalier qui conduisait à la grand'salle. Sa mère s'y trouvait ; mais à peine l'eut-elle aperçu, qu'elle se sauva tout éperdue. Robert, se plaçant au-devant d'elle, lui barra le passage, et l'arrêta. Elle se jeta alors à ses pieds en s'écriant:

» Filz la teste me trenchiez »>!

• Pourquoi vous tuerais-je, madame? répliqua-t-il froidement; croyez-vous que les occasions de pécher me manquent? Non, non, si vous l'avez cru, vous vous êtes étrangement abusée, car si jusqu'à présent j'ai fait mal, je ferai pis désormais ». La duchesse, qui désirait, depuis plusieurs mois, lui parler sans témoin, saisit ce moment pour lui conter l'histoire de sa vie, savoir comment elle avait prié le ciel avec ardeur de lui accorder un enfant; comment, s'irritant de n'être point exaucée promptement au gré de ses souhaits, elle avait voué au diable le fruit de ses entrailles, et comment Dieu, pour la punir, ne lui avait rien laissé à demander. A l'ouïe de cette terrible révélation, Robert se pâma. Quand il revint à lui, il était oppressé, haletant, il ne voyait ni n'entendait plus, ses lèvres s'agitaient et n'articulaient aucun son, un nuage était sur ses yeux, un voile sur sa bouche. Enfin, il recouvra l'usage de ses sens et dit avec difficulté :

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« Dyables ont envie
» D'avoir l'ame de moi,
» Mès ils ne l'auront mie;
» Prendre me faut conseil
» Coment el soit gație.
» Lors a dist à sa mere:
» Madame, je vous prie,
>> Que vous me saluez
» Mon pere le preudomme;
Passer outre les mons,
>> Me faut à la grant Romme,
>> Confesser mes pechiez

»Devant que g'i serai

»Ne dormirai bon somme.
)) ... Robert, tout en plourant,

» Sus son cheval monta
» Vers la forest retourne
» Qu les larrons laissa;
» La Duchoise sa mere
» Moult grant duel démena (se
[désespéra}
»Pour l'amour de Robert
» Qui ainssi s'en ala,
» A haute voiz crioit :

> Dont j'ai fait trop grant somme;» Lasse! quelle aventure,

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