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dre... Enfinje hasardai de ces mots qui servent moins à calmer la douleur de l'affligé qu'ils n'aident le consolateur à sortir d'embarras. Cependant ma voix était si émue, ma compassion si respectueuse, que la jeune inconnue tournà enfin vers moi un douloureux regard; puis elle cacha bientôt dans ses deux mains son visage tout baigné de larmes. Si la douleur est la plus admirable expression de la beauté d'une femme, je puis dire que Rosalie n'aurait rien eu à envier, sous ce rapport, à la Madeleine de Canova. Oh! comme il y avait dans ses beaux yeux noirs, qui se cachaient sous leurs longues paupières, un mélange de pudeur et d'amour! comme on était ému en regardant son front pâle, ses lèvres tremblantes..... Sa douleur me déchirait le cœur. Durant tout le jour elle ne fit que sanglotter, et, à travers ses gémissemens, elle ne laissait échapper que des phrases entrecoupées, des exclamations sans suite. Puis elle semblait agitée d'un noir pressentiment..... Elle craignait que ses frères ne la rejoignissent partout..... Cette appréhension n'était pas de nature à me rassurer moi-même; car si l'on avait fait une visite domiciliaire dans la ferme, j'aurais bien pu passer pour le ravisseur. Cependant j'étais résolu à ne pas trahir la confiance de l'amitié et celle du malheur, età protéger, à mes risques et périls, la pauvre jeune femme, qui n'avait d'autre défenseur que moi. Ce malencontreux événement venait déranger toute la fête que nous avions projetée pour le lendemain. Déjà, sous prétexte d'une indisposition subite, j'avais contremandé la cérémonie nuptiale, et tout ce que je pus faire fut de la mettre à deux jours de distance. Mais un plus long ajournement eût été de ma part un manque d'égards d'autant moins excusable aux yeux des villageois, qu'il n'y avait pas moyen de le justifier. Enfin le troisième jour arriva, et, dès le matin, les cloches de la chapelle annoncèrent la cérémonie religieuse qui devait unir Novello et la belle Julia. Bientôt arrivèrent de tous les environs des essaims de paysannes dans leurs vêtemens de fête. Rien de plus pittoresque et de plus animé que cette foule où reluisait partout ce piquant vernis de coquetterie campagnarde. J'admirais la joie si franche et si expansive de ces groupes où tous les âges se donnaient la main pour

venir chercher dans la cérémonie la plus sainte et la plus chère, les uns le souvenir du passé, les autres le rêve de l'avenir. Lorsque tout le monde fut entré dans la chapelle, le silence et le recueillement régnèrent bientôt dans l'assemblée. C'est ainsi que dans la majesté du temple l'homme prélude aux grands actes de sa vie. Il y avait dans un recoin bien sombre, formé par la porte de la chapelle, une personne voilée, qui mêlait au recueillement général des soupirs et des larmes : c'était l'amante d'Ortolani. Sur mon invitation, elle était venue pour assister à la bénédiction nuptiale, ou plutôt pour prier... car le temps de la prière est à déduire sur celui du malheur. Oh! quand la pauvre jeune fille vit arriver les deux fiancés, quand elle les enten dit prononcer ce mot que deux ames s'envoient et que deux bouches se révèlent, quand elle vit le prêtre bénir de sa main paternelle ceux qui venaient d'être unis en face de Dieu et des hommes, comme elle dut appeler de tous ses vœux cette consécration qui semble la couronne légitime du bonheur dont elle éternise l'éclat et la durée.

Quel contraste il y avait entre l'amante délaissée, dont la pâleur et les larmes accusaient les souffrances, et cette vierge bénie et saluée entre toutes les femmes, cette heureuse fiancée, dont le front était rose de pudeur et de plaisir ! Déjà l'échange de l'anneau s'était fait entre les deux époux qui s'étaient juré une foi éternelle. La foule attendrie avait mêlé tout haut ses bénédictions à celles du prêtre, et, la cérémonie étant achevée, chacun se pressait à la porte de la chapelle pour offrir à la mariée les complimens et l'accolade d'usage, De toutes parts c'étaient des exclamations de plaisir, des chants joyeux; chacun se préparait à la fête, les flageolets des pâtres préludaient, quand tout-à-coup, à la suite d'un grand bruit, le son de la conque retentit trois fois sous les voûtes de la chapelle. Chacun se levait déjà avec anxiété pour se diriger vers le côté d'où venait ce signal d'alarme, lorsqu'au dehors on entendit une voix plaintive appeler Rosalie! Au même instant un murmure d'effroi circula dans l'assemblée, et l'on vit avancer à pas lents deux hommes qui portaient un brancard, sur lequel était étendu un jeune cavalier, tout pâle et tout ensanglanté. L'altération de ses traits,

le désordre de ses vêtemens, ne m'auraient pas permis de le reconnaître, si Rosalie ne se fût aussitôt jetée à son cou en poussant des cris lamentables, parmi lesquels elle laissait échapper le nom d'Ortolani. C'était en effet mon malheureux camarade de collége que je voyais dans un état aussi digne de compassion! Quand il fut témoin du désespoir de son amante, le peu de forces qu'il avait conservées pour venir jusqu'à elle, semblèrent l'abandonner; mais après un court évanouissement qui nous inspira les plus vives alarmes, il ouvrit ses yeux presque éteints, et, se tournant avec un effort pénible vers Rosalie: « Tu vois, lui dit-il, que je suis fidèle au rendez-vous! Si le poignard de tes frères m'ôte la vie, il ne m'aura pas empêché du moins de te nommer mon épouse devant Dieu et devant les hommes... Un prêtre! un prêtre !... pour unir deux fiancés... pour purifier l'ame d'un pécheur... Oh! mon amie! ne pleure pas... Dis-moi que tu m'aimes, et ta parole sera bénie dans les cieux et sur la terre et elle me fera triompher de la mort... Pardonne à ceux qui m'ont frappé... Ils voulaient venger l'outrage fait à leur nom et à leur sœur... Ta main! ta main !... Un prêtre!... » Et le prêtre était là pour réunir sur la même tête le sacrement qui couronne le milieu de la vie et celui qui consacre la mort : il hésitait entre la prière du mariage et celle de l'agonie; mais après avoir consulté tour à tour son cœur et son ame, l'homme l'emporta sur le prêtre, et les deux fiancés reçurent la bénédiction nuptiale. Oh! quel tableau ! C'était comme la mort et la douleur qui s'unissaient. Rien d'aussi déchirant, d'aussi affreux que ce débat de deux ames qui semblaient vouloir s'arracher mutuellement à l'existence et au trépas. Au moins, dans une cérémonie funèbre, tout est silencieux et inanimé. Le deuil enveloppe dans ses ombres vivans et morts; un froid de sépulcre passe dans votre ame, mais un spectacle horrible ne la brise pas. Il y a même dans le calme et la solennité de cette tristesse quelque chose qui reproche le désespoir et relève la prière. Mais voir la passion la plus sacrée, la plus chère à l'homme, lutter vainement contre le souffle impitoyable qui l'éteint; mais voir deux créatures se consumer l'une dans la douleur et les larmes, l'autre dans une agonie sanglante, et cela devant le prêtre, aux pieds

de l'autel, sous l'œil de Dieu, c'était une scène de néant où le sceptique n'aurait pas manqué de reconnaître le triomphe de la fatalité sur la Providence. Les témoins de ce lugubre mariage n'étaient pas encore au bout de leurs émotions. Quand l'instant fut venu, pour les deux époux, de prononcer le serment conjugal, Rosalie sembla laisser dans ce mot toute son ame et toute sa raison; Ortolani y laisser son dernier souffle. Lorsque le prêtre et moi nous le séparâmes des bras de son amante, ce n'était plus qu'un cadavre. Rosalie, sans voix et sans mouvement, froide comme la pierre sur laquelle elle gisait, fut emportée à la ferme.

Le lendemain la jeune femme se retira dans un couvent, près de Baucina. Quand je quittai la Sicile, elle vivait encore; mais sa tête était égarée. La seule personne pour laquelle elle fût accessible était Julia. Encore la repoussait-elle quelquefois dans un accès de démence, en lui disant: « Comment! votre mari vit encore, et le mien est mort le jour de votre noce!... >>

MARQUIS DE SALVO.

VAUX.

I.

Nicolas Fouquet, dernier surintendant des finances, voulut donner dans son château de Vaux une fête à Louis XIV.

Le projet eut l'agrément du roi.

La fête fut fixée au 17 août 1661.

Six mille invitations furent envoyées. Il y en eut pour l'Italie, pour l'Espagne et pour l'Angleterre. On vit à Vaux des représentans de ces trois contrées, et les ambassadeurs de tous les peuples. Un roi et une reine s'y trouvèrent.

Au nombre des invités étaient Gourville et le maréchal de Clairembault. La route de Paris à Vaux était longue, chaude par le mois d'août où l'on était ; ils s'arrangèrent pour la faire de compagnie. Ils partirent de grand matin dans une calèche massive, qui rachetait ce défaut d'élégance par une solidité dont le premier avantage était d'asseoir le corps dans un repos parfait. Gourville n'était pas pressé d'arriver; le maréchal, qui était un peu gros, n'avait garde de se plaindre de la lenteur de l'équipage. En ce temps-là, cette activité de feu qui nous fait aujourd'hui dévorer l'espace et le temps était inconnue. A quoi eût-elle servi? On ne devenait pas noble en courant. D'ailleurs, bien empêché eût été celui qui aurait prétendu aller vite et sans accident sur les grands chemins même sans exception de ceux qui ont encore conservé le nom de routes royales.

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