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les tapisseries d'Aubusson. de nos châteaux l'invasion a taillé des mouchoirs. C'est une revanche, nos pères avaient fait le même usage des drapeaux bavarois.

III.

Il n'y a pas d'exemple dans l'histoire d'une fortune aussi rapide et aussi courte que celle de Fouquet. A peine apprend-on qu'il existe, qu'il est déjà procureur-général au parlement, une des plus hautes dignités du royaume ; à peine au parlement, on le voit surintendant des finances, le premier dans l'état après Mazarin ; à peine le sait-on surintendant des finances, qu'il est sous les verrous de Pignerol; à peine est-il à Pignerol qu'on n'en parle plus. Entre Mazarin et Colbert qui se souvient de Fouquet?

Consultez les historiens, même les plus complets : ils vous diront que Fouquet fut poursuivi et condamné pour ses dilapidations. Rien n'est plus vague. Cela s'applique à tous les ministres des finances depuis Enguerrand de Marigny. Mazarin avant Fouquet, Colbert après lui, épuisèrent avec bien plus d'avidité le trésor. Le surintendant ne fut mis en jugement, ceci ressort de son procès même, que par le fait des énormes vols de Mazarin ; et Colbert, malgré ses créations commerciales, au lieu de diminuer la dette, l'augmenta de beaucoup. Que lui reprocha-t-on? - Son faste. Oublie-t-on que le cardinal Mazarin, pauvre sous Richelieu, fit passer, au bruit de sonnettes d'argent, sous la porte Saint-Antoine, en 1660, à la suite de l'entrée triomphale de la reine, soixante-deux mulets chargés d'or et de diamans? - Le luxe de sa maison? A quelques charges près qu'il fut obligé de créer pour soutenir l'éclat de sa nouvelle dignité de surintendant, il ne fit que continuer la vie qu'il menait auparavant, extraordinairement riche par sa famille et du côté de sa femme, qui lui apporta douze cent mille livres. Son goût pour les bâtimens? Il convenait peu à Colbert et à ses successeurs, eux qui devaient élever Versailles et Marly, de demander compte à Fouquet des quelques millions, dilapidés ou non, qu'il consacra au château de Vaux. - Ses mœurs? S'il appartenait à quelqu'un d'écarter ce chef d'accusation, c'était d'abord au roi. Sa rébellion ? On en eut de si fai

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bles preuves, et elles devaient être faibles en effet, que le ressentiment de ses juges, presque tous vendus à Colbert, ne parvint qu'à le faire condamner à l'exil, peine commuée par Louis XIV en une détention perpétuelle.

Ainsi l'histoire dit mal Fouquet: elle ne le sait pas. Avant son élévation, elle le voit à peine; pendant, elle en est éblouie, elle est trop lente avec son cortége de causes et de recherches pour expliquer à temps cette haute fortune; après, elle s'impose cinquante ans de silence, car malheur à qui parlera de Fouquet sous Louis XIV. Et de quel homme d'état s'occupe-t-on après cinquante ans? Fouquet n'aura pas même d'histoire, cette fosse commune.

Fouquet revient de droit aux mémoires et à la poésie ; une moitié de sa vie appartient à Gourville, l'autre moitié à La Fontaine. Heureux, il est l'homme des mémoires. Seigneur plein d'éclat à la cour, sybarite recherché à son pavillon de Saint-Mandé, il a toutes les amitiés, et celles de la Fronde, et celles de Saint-Germain; toutes les amours à la ville; rien ne manque à sa périlleuse renommée. Boileau incruste en proverbe ses bonnes fortunes de surintendant; un souterrain conduit de son boudoir au milieu du bois de Vincennes, pour faire évader les femmes quand les maris viennent la nuit les lui redemander. Richelieu pensionne quelques hommes de lettres pour qu'ils admirent ses vers; lui les enrichit tous à la condition qu'il n'écrira pas de vers, l'homme aimable! mais qu'eux viendront chaque mois lui lire ceux qu'ils auront composés. La Fontaine s'engagera quatre épitres par an; il paiera en quatre termes. Richelieu disait : J'ai donné une chemise à Apollon; Fouquet avait droit d'ajouter : Je l'ai mis dans ses meubles. Pélisson, grâce à lui, a six domestiques; Le Vau est servi en vaisselle plate; Lebrun a un équipage; Le Nôtre tutoie Fouquet. Mlle de Scudéry est coulée en bronze, et l'on trouve dans la boîte de vermeil où il parfumait ses pensées secrètes les lettres de Mme de Sévigné. Ainsi il donne à Louis XIV l'exemple de tout ce qui lui vaudra le nom de grand : amour des arts, respect aux lettres, munificence aux écrivains, goût pour les monumens, dévouement aux femmes, qui toutes conservèrent à Fouquet la fidélité du malheur, la seule qu'il leur demanda jamais.

Est-il renversé par le souffle noir sorti de la bouche de Colbert? Aussitôt il devient l'homme de La Fontaine. La Fontaine se jette à son cou comme un fils, lui qui ne se rappelait plus en avoir un, et ne l'abandonne pas. Il n'est plus distrait, La Fontaine, il ne dort plus, lui, le Sommeil fait poète. Jour et nuit il va, il marche, il court, oubliant le lapin son ami et la taupe sa sœur, et la fourmi sa voisine; il va des nymphes de Vaux au premier président du parlement. Au milieu des solitudes de Vaux il crie: Rendez-moi Oronte!

Vous nymphes, vous naïades, vous sylvains! Oronte est captif, Oronte est innocent puisqu'il est malheureux ; suivez-moi, embrassons les genoux de Louis, et redemandons-lui Oronte ! Et La Fontaine se présente au parlement avec tous ses sylvains pour qu'on délivre Oronte; il intercède auprès de Mile de la Vallière au nom des hamadriades éplorées. Partout rebuté, il s'enferme avec Mlle de Scudéry et Mme de Sévigné, et ces trois femmes pleurent.

Ne cherchez pas ailleurs la mémoire de Fouquet : elle est toute dans le cœur des femmes : j'ai dit le cœur des poètes. Mazarin, c'est vrai, eut une grande chose dans sa vie : c'est le traité de paix de Westphalie.

Mais Fouquet eut aussi une ravissante chose dans sa vie : c'est la fête de Vaux.

Qu'est-il resté du traité de Westphalie? Rien. Voyez où est remontée la maison d'Autriche.

Qu'est-il resté de la fête de Vaux?

Les Fâcheux de Molière, une élégie de La Fontaine, douze lettres de Mme de Sévigné. Ceci durera plus que la maison d'Autriche.

IV.

Tandis que le roi et sa mère reçoivent dans les salons de Fouquet les hommages dont ils sont ordinairement entourés à Fontainebleau, l'étiquette n'ayant jamais abandonné Louis XIV, même en voyage, le surintendant, dont l'absence est justifiée par la nécessité où il est, dans un tel jour, de se trouver partout, a réuni les deux amis sur la fidélité desquels il peut compter, et s'entretient avec eux dans les allées du parc.

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-Le moment venu, j'hésite, balbutia Fouquet le premier. Et Pélisson, saisissant le bras de Fouquet : Serait-il bien vrai? Et pour quel motif, sur quel soupçon nous alarmez-vous ainsi? Vous êtes pâle, en effet, monseigneur.

Franchement ces mousquetaires à cheval m'ont donné à réfléchir. A vouez que leur présence a droit d'étonner.

- Ma foi, non, reprit Gourville. Cette suite bruyante est dans les goûts d'un jeune roi. C'est du faste. D'ailleurs, pour peu que nos soupçons devinssent plus graves, je me chargerais de d'Artagnan et de ses mousquetaires. Les caves du château sont profondes, et ils ne boiront pas tout.

Vous ne savez donc pas, Gourville, que le roi leur a défendu de quitter l'étrier?

C'est possible, monseigneur; mais il ne leur a pas défendu de boire, office dont on s'acquitte aussi très-bien à cheval. Seulement on tombe de plus haut. Sont-ce là toutes vos craintes, monseigneur?

Les douze portes du parc sont-elles bien gardées, Gourville?

Par les meilleurs complices qu'on puisse choisir.

- Par qui donc, Gourville?

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Par personne.

Comment cela?

Où est la nécessité de veiller à douze portes si l'on ne doit sortir que par une?

Mais cette porte?

- A celle-là j'ai posté quelqu'un qui ne m'a jamais trahi en ces sortes d'équipées invisible et muet.

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-Vous me désespérez, Gourville; j'ai peur que vous n'ayez pas votre tête, tout votre sang-froid.

Pardon, monseigneur, bien que je sois venu avec le maréchal de Clairembault. Par cette porte si fidèlement gardée nous passerons, vous, monseigneur, la personne que vous savez, M. de Pélisson et moi. Elle est assez large.

Fouquet serra affectueusement la main à ses deux amis. Merci, Gourville; mais pourquoi cette légèreté dans vos dispositions?

-

N'allons-nous pas imiter les Romains, crier jusque sur les toits que nous conspirons, et montrer Brute dans la rue un poignard à la main?

- Mais encore...

- Je le tiens de M. de Retz: Dans un coup décisif il est important d'être sûr de tout le monde et de n'employer que quelques-uns. Ayez beaucoup d'hommes : ils comptent les uns sur les autres; peu : ils agissent. Monsieur le coadjuteur s'y connaissait.

Et perdant par degré la teinte de tristesse répandue sur son visage, le surintendant se tourna vers son poète-secréVous, monsieur Pélisson?

taire :

Monsieur le vicomte, je partage les assurances de M. Gourville.

- Vous ne saisissez pas ma demande : ce n'est pas làdessus que je souhaite vous entendre. Avez-vous déposé sur la cheminée de chaque chambre de gentilhomme mille pistoles pour faire face aux dettes du jeu? Avez-vous ordonné qu'on traitât les gens de lettres dans cette journée avec les nombreux égards dont j'aime à les voir entourés? Ils dîneront dans la salle des Muses: je crois avoir exprimé ce désir.

- Vos ordres ont été suivis. Ils seront confondus avec les gens de qualité. Des guirlandes de fleurs se balanceront sur leur front au bruit de harpes cachées : Lambert jouera du théorbe. Comme les anciens poètes, ils boiront dans des coupes de vermeil.

Et comme les anciens poètes, monsieur de Pélisson, vous les prierez en mon nom d'emporter leur coupe. Nous vous devons la gloire qui suit notre vie. Vous et La Fontaine me ferez immortel.

-Auparavant, interrompit Gourville, il faut que vos ennemis soient dans la poussière, que le roi notre maître vous reconnaisse pour le premier gentilhomme de l'état après lui. - Quel moment heureux ou fatal! Qu'en pensera l'Europe, Gourville, Pélisson? Et ce coup qui retentira longtemps, au milieu d'une fête !... Des poignards cachés sous des fleurs. N'est-ce pas que mon château ne fut jamais plus splendide? On dirait qu'il sait qu'un roi de France l'habite. Pélisson, avez-vous prié M. le chevalier Lully de presser sa

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