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était celui de Marie Stuart; d'une transparence si pure qu'on eût pu voir à travers couler le poison du chevalier de Lorraine. Henriette était de ces femmes pénétrantes qui écoutent avec leurs yeux. Tous ses mouvemens, qu'elle s'en aperçût, étaient comptés et renvoyés avec des interprétations à son époux, par sa belle-mère, Anne d'Autriche, qui, à chaque instant, se tournait pour épier l'arrivée de quelqu'un impatiemment attendu par elle. Cette préoccupation de la reine-mère cessa quand elle vit descendre M. de Saint-Aignan conduisant, avec une grâce parfaite, une jeune femme encore peu connue à la cour : c'était une demoiselle d'honneur de madame Henriette.

Les mémoires nous ont conservé la parure qu'avait choisie pour cette soirée Mile de la Vallière. Sa robe était blanche, étoilée et feuillée d'or, à point de Perse; arrêtée par un ceinture bleue tendre, nouée en touffe épanouie au-dessous du sein. Épars en cascade ondoyante, sur son cou et ses épaules, ses cheveux blonds étaient mêlés de fleurs et de perles sans profusion. Deux gros diamans verts rayonnaient à ses oreilles. Ses bras étaient nus; pour en rompre la coupe, trop frêle, ils étaient cernés au-dessous du coude d'un cercle d'or ciselé à jour, les jours étaient des opales. Un peu blanc-jaunes, comme il était riche alors de les porter', ses gants étaient en dentelle de Bruges, mais d'un travail si fin, que sa peau n'en paraissait que plus rose sous la transparence.

Pour s'apercevoir de l'inégalité de sa marche, il aurait fallu pouvoir détacher, et qui en était capable? le regard de son buste, le plus délicat qui ait jamais existé à à la cour, et c'eût été sans profit pour l'envie, car cette imperfection d'un beau cygne blessé cessait de paraître quand Mlle de la Vallière appuyait ses pieds sur un tapis. Elle ne boitait qu'en marchant sur la pierre. Une fois duchesse elle ne boita plus. Louis XIV le voulut ainsi.

Sa figure est trop connue pour essayer de la reproduire; ce fut celle de la Vénus chrétienne de la France. Ses yeux bruns de vierge martyre, aux paupières de soie, s'ouvraient peu au jour, et bien qu'ils n'eussent encore réfléchi que des visages jeunes et beaux comme le sien, qu'ils n'eus

sent vu de bien près qu'un homme, si ce fut un homme, Louis XIV; qu'une femme, si ce fut une femme ou un ange, Mme Henriette d'Angleterre, ils étaient déjà chargés de cette infortune qui lui arracha tant de larmes aux Carmélites. Mlle de la Vallière vint au monde pour pleurer : elle n'attendait que l'occasion d'être reine.

Elle avait le sourire fermé, quoiqu'elle eût la bouche grande; ceux qui l'aimaient,l'aimaient ainsi : mais ses rivales, et Bussy, l'écho de toutes les jalousies, ont attribué à l'irrégularité de ses dents le soin qu'elle eut toute sa vie de ne jamais les montrer. A cette précaution, il faut rapporter sans doute la discrétion de ses paroles et de sa familiarité. Sa taille était petite, mais élégante et flexible. Jamais elle ne fut jeune, car elle resta toujours enfant; gracieuse enfant qui aima trop tôt pour vivre. Singulier reproche! et que ne mérita jamais Mme de Montespan: on lui reprocha d'être complètement privée de formes. Comme si les charmes d'une femme étaient ailleurs que dans l'opinion de celui qui l'aime? Et combien ne faut-il pas être plus difficilement belle, ainsi que le fut Mile de la Vallière pour se faire aimer par d'autres voies secrètes, par des causes qui ne s'altèrent jamais, dût la petite-vérole dans son vol gâter un noble visage! Mile de la Vallière était marquée de petite-vérole.

Elle aima! Quel plus bel éloge peut-on écrire du cœur d'une femme qui s'attacha, non au fils d'Anne d'Autriche, mais à Louis-Dieudonné; non à Louis XIV, vainqueur du Rhin et de la Meuse, mais au jeune homme, tremblant sous la tutelle de sa mère, n'osant demander mille pistoles à son surintendant, humble devant son confesseur; non au roi, chargé de lauriers et de diamans, faisant agenouiller des ambassadeurs du pape, des doges de la sérénissime république, recevant assis et couvert des représentans du roi de Siam, mais au beau cavalier, à la bouche rouge, aux cheveux presque noirs, grand, infatigable, courageux, chérissant toutes les femmes, mais n'en aimant qu'une, elle !

Louis XIV se peint dans ses maîtresses, et surtout dans les trois qui, plus particulièrement, disputèrent son cœur.

Est-il plein de sève, d'entraînement, de cette galanterie chevaleresque de la fronde, un peu espagnole, très-fière, mettant du point d'honneur dans l'amour, il aime Mlle de la Vallière. La Mancini nefut qu'une révélation soudaine qui apprit à Louis XIV qu'il y avait des femmes. A-t-il'passé cet âge, qui passe aussi pour les rois, est-il entré dans la vie, cette route pavée et sans ombre, qu'il lui faut des amours facilès et commodes, payés avec rien, avec de l'or, que la marée des courtisans dépose tous les matins au pied de son alcôve: il aime Mme de Montespan, une belle femme qui ne boite pas, qui a de gros bras, de fortes épaules, qui perd 500,000 livres au jeu de Marly chaque mois, qui accouche en riant et qui accouche toujours. Épuisé d'esprit et de corps, capable d'apprendre sans émotion que Mile de la Vallière est morte au monde à trente-un ans aux Carmélites, et que Mme de Montespan a passé ses épaules et ses bras à quelques ducs, il tourne enfin versla religion, il se jette dans le sein de Mue de Maintenon, et y meurt. Ainsi Louis XIV pourra dater, en expirant, de son règne le soixante-sixième, et de sa maîtresse la troisième.

Ces deux hommes, qui marchent côte à côte du roi, l'accompagneront ainsi toute sa vie : à sa table pour applaudir pendant plus d'un demi-siècle à toutes ses paroles ; à l'église, pour déposer qu'il est dévot, ou pour qu'il témoigne qu'eux le sont ; à la guerre, assez près de lui pour ne pas craindre d'être blessés, ou assez loin de lui pour laisser croire qu'il court de grands dangers; à son lit, l'un pour en chasser la femme légitime, l'autre pour y introduire la maîtresse en faveur ; et presque à son convoi funèbre, celui-ci pour dire: Le roi est mort! celui-là pour crier : Vive le roi !

Ces deux hommes s'abdiqueront dans Louis XIV; ils vivront de ses joies et de ses douleurs comme lui-même. S'il est gai, ils riront; s'il pleure, ils trouveront des larmes. Lui jeune, ils seront jeunes ; lui vieux, ils se courberont, ils au ront des rides; et si Louis XIV perd ses dents, ils trouveront le secret de n'en plus avoir. L'un n'aura commis qu'une inconvenance, ce sera celle de mourir avant le roi; l'autre n'aura pris qu'une liberté, celle de mourir après.

Voyez! Louis XIV sera destiné à survivre à tous ceux qu'il

aura élevés ou abattus, ministres ou maréchaux, grands peintres ou célèbres poètes; à ceux qui sont nés avant lui, à ceux qui seront nés depuis lui, à tous ses parens, à son frère, à sa belle-sœur, à ses héritiers, hormis un seul, parce qu'il est passé en chose jugée qu'en France celui-là ne meurt pas ; à presque tous ses bâtards, morts jusqu'à trois par mois, avec la rapidité qu'il les fit; à toutes ses maîtresses, aux plus vieilles comme aux plus jeunes, même à ses monumens; à Fontainebleau, désert dans sa vieillesse; à Saint-Germain, s'écroulant sous le poids des dorures; à Versailles, où l'eau aura cessé de descendre; à Marly, où elle aura cessé de monter; à Trianon, porcelaine brisée ; il sera sur le point de survivre à la monarchie. Seulement deux hermaphrodites lui resteront, deux parodies de maréchaux et de ministres, deux grimaces éternellement complaisantes, deux rires implacables, deux porcelaines de Chine remuant et souriant aux deux coins du logis, quoi qu'il arrive ; deux squelettes impérissables, deux courtisans embaumés et vivans; deux flambeaux pour toutes ses amours, deux cyprès pour sa tombe : l'un le duc de Saint-Aignan, l'autre le marquis de Dangeau. Ils sont là tous les deux.

Un coup de canon fut tiré de l'esplanade du château. A ce signal, les eaux devaient partir. Elles partent.

Jamais merveille de ce genre n'avait frappé la cour. Pour concevoir cet étonnement, oublions les chefs-d'œuvre de bronze et de fonte des frères Keller des jardins de Versailles et de Saint-Cloud. Saint-Cloud et Versailles n'existaient pas; l'hydraulique était inconnue en France.

Les eaux parlent; ces bassins, tranquilles il n'y a qu'un instant, remuent, montent, bouillonnent. Cent trente-trois jets d'eau jaillissent à perte de vue; ils retombent en brouillard humide nuancé de toutes les couleurs du prisme. Autant de figurations mythologiques en fonte déroulent en pages liquides les métamorphoses d'Ovide. Voilà Pan: voilà Syrinx: ici les satyres aux genoux de la nymphe qui les dédaigne, et fuit poursuivie par le dieu Pan. Plus loin le fleuve Ladon reçoit Syrinx éplorée, et la transforme en roseaux. Du milieu des roseaux des grenouilles de fer soufflent l'eau en menues gerbes. Le poème aquatique finit là. Les trois unités

sont respectées sous l'eau comme sur la terre. Neptune reconnaît Aristote; Benserade n'a pas le plus petit mot à dire.

D'autres bassins, d'autres merveilles. Admirez Prométhée en perruque limoneuse qui, avec de l'eau et de la terre, fait un homme. La terre, c'est un morceau de cuivre; l'homme, c'est Louis XIV portant le sceptre. Du sceptre part un vigoureux jet d'eau. Louis XIV a la bonté de se reconnaître et de sourire. Après la fable, l'allégorie. Jupiter, emblème de la puissance, enlève Europe dans Ovide; à Vaux, il enlève la Hollande. C'est une grosse femme au pied de laquelle on a gravé Batavia. Jupiter, c'est encore Louis XIV.

Laissons dire encore Mlle Scudéry : « On voit un abîme » d'eau au milieu duquel, par les conseils de Méléandre » (Lebrun) on a mis une figure de Galathée avec un cyclope » qui joue de la cornemuse, et divers tritons tout alentour. >> Toutes ces figures jettent de l'eau et font un très-bel objet. » Mais ce qu'il y a de très-agréable, c'est que toute cette » grande étendue d'eau est couverte de petites barques pein»tes et dorées, et que de là on entre dans le canal. »>

Au tour de l'apologue maintenant. Un monstrueux lion de fer qui rugit de l'eau caresse de l'une de ses pates un petit écureuil, tandis que de l'autre il presse et retient une couleuvre. L'écureuil, c'est Fouquet, son symbole héraldique; la couleuvre, c'est Colbert; le lion qui rugit, c'est toujours Louis XIV.

Et quand ces eaux, dieux ici, divinités plus loin, païennes et monarchiques, ont fatigué l'air de leurs élancemens, elles coulent dans un canal d'une demi-lieue, auquel la fantaisie a donné, de distance en distance, des formes et des dénominations singulières. La tête du canal s'appelle la Poêle. La queue de la Poêle, c'est le prolongement du canal, qui, cinquante pas au-dessous, s'équarrit en miroir et en prend le nom. Au-dessus du miroir est la Grotte de Neptune, qui fait face aux cascades de l'autre côté du canal. Sept arcades où s'incrustent sept rochers, et que terminent deux cavernes où se cachent, sous un rideau de pierre dentelée, deux statues de fleuves, forment cette Grotte. Tantôt appelée la grotte de Vaux, et tantôt de Neptune, elle déploie soixante-dix marches de chaque côté, conduisant à une spa

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