Images de page
PDF
ePub

est pas moins curieux de constater que le document, quoique, en somme, favorable à Molière, ne conclut pas formellement. Au point de vue strictement religieux, en effet, l'archevêque était dans son droit, et il ne parait pas que la note de Baluze ait été suivie d'effet, au moins, immédiat. Tartuffe ne devait revoir le jour que le 5 février 1669.

4

FÉLIX CHAMBON.

3

On demande si M. de Paris a peu et deu décerner l'excommunication contre ceux qui représenteront, liront, ou entendront réciter, soit en public, soit en particulier, la Comédie de Tartufe, sous quelque nom que ce soit. Il n'est pas nécessaire d'entrer dans la validité des excommunications; tout le monde demeurant d'accord que ces peines ecclésiastiques sont d'une très grande considération, lorsqu'elles sont justes et canoniques. Mais il faut que pour estre réputées canoniques on ait observé toutes les formalités en tel cas requises; les anciens Pères et les Conciles ayant en toutes occasions recommandé aux Pasteurs de ne lascher pas l'excommunication témérairement et inconsidérément. Tous les livres sont pleins de cette doctrine, qui est sans contestation.

8

5

Il reste donc à sçavoir si cette excommunication a esté décernée canoniquement et si l'Église peut se mesler de cette sorte de choses. Il semble d'abord qu'on n'a pas observé toutes les formes, puisque M. de Paris ne décerne pas cette excommunication avec pleine connoissance de cause, mais sur une simple plainte de son Promoteur, qui avait été adverty que cette Comédie avoit esté représentée sous le nouveau nom Imposteur, sur un des théâtres de cette ville. Il semble qu'il falloit déclarer qu'on avoit eu la pièce en main, qu'on l'avoit exactement examinée, et que par l'examen qui en avoit esté fait on avoit reconnu qu'elle estoit grandement préjudiciable au salut des âmes. Encore resteroit-il toujours à sçavoir si l'auctorité ecclésiastique s'estend jusques-là, et si elle peut défendre la Comédie sous quelque prétexte que ce soit, et si elle le doit lorsqu'on voit 10 que vraisemblablement les inférieurs n'auront pas esgard à cette sentence. Pour faire voir que l'auctorité de l'Église s'estend jusques-là, on pourroit alléguer une décrétale du pape Innocent III contre les comédies, qui est dans le Corps du droict. (Cap. Cum decorem. De vita et

1. Mot effacé: sçavoir.

2. Baluze avait d'abord mis: iront entendre, membre de phrase qui fut remplacé par verront représenter, et enfin par cette phrase qui reproduit le texte même de l'ordonnance.

3. Mots effacés mesme sous...

4. Baluze avait écrit d'abord canoniques, etc.

3. Mots effacés encore faut-il.

6. Mots effacés : se doit

7. Mots effacés : la pl[us].

8. Baluze avait d'abord mis: que l'Imposteur avoit esté représenté...

9. Mot effacé la lecture.

10. Mot effacé : juge.

honestate clericos.) Mais on peut respondre deux choses. Premièrement, qu'il ne défend ces jeux qu'aux ecclésiastiques; en second lieu, qu'il ne défend pas généralement toutes sortes de Comédies, mais les comédies sales, infâmes, et scandaleuses, que les prestres et autres gens d'église avoient accoustumé de faire dans les églises, pendant les trois jours qui suivent la feste de Noël. Encore n'ordonne-[t]-il point l'excommunication, se contentant seulement de défendre cette sorte de divertissement.

3

2

En l'affaire présente il n'y a rien de semblable. Car la Comédie est un divertissement public, permis par les princes dans tous les Estats de la Chrestienté, et qui se donne dans des lieux destinés pour cela, et esloignés des églises et des lieux sacrez, et dans des temps qui ne sont pas ordinairement destinés pour la célébration des devoirs chrestiens. Ainsy l'Église ne peut pas se mesler d'empescher cette sorte de divertissemens, encore moins le peut elle par l'employ des peines canoniques et des excommunications. Et quand il se rencontreroit des cas où les comédies iroient à de tels excez qu'on ne pourroit pas s'en taire, les Evesques ne doivent rien faire témérairement, mais s'adresser aux Princes pour faire cesser les scandales par leur auctorité; et si elle ne peut pas suffire, l'Eglise peut prescher contre ces désordres, exhorter les fidèles de n'assister point à ces actions, leur en représenter l'horreur; et si les temps sont assez bien disposez pour qu'on puisse user des derniers remèdes sans scandale et qu'on prévoye que la peine d'excommunication ne sera pas suivie du mespris des chrestiens, on peut en user dans les occasions où les choses saintes seroient ouvertement et impudemment tournées en ridicules. Mais si on juge que la défense que l'Eglise faira (sic), ne sera pas exécutée, les canonistes (Vide Franc. Nicotinum in c. Quoniam contra de probat., § 547) sont d'accord qu'en ces occasions les prélats ne doivent point lascher la sentence d'excommunication. Prælati debent diligenter advertere ne ferant sententiam excommunicationis ubi prævident eam futuram inutilem et in vilipendium. Et un autre adjoute que si un juge délégué par le Pape voit que ceux qui troublent sa jurisdiction sont tellement obstinez dans leur malice qu'il y a apparence qu'au lieu d'estre corrigez par l'excommunication, ils en deviendroient plus meschans, il doit suspendre son auctorité jusqu'à ce que les temps changent, et que Dieu y ait mis remède. Il reste néantmoins toujours à sçavoir si l'excommunication qui aura esté imprudemment laschée, doit tenir en une occasion comme celle-cy, et si le supérieur ne doit pas la lever, quand bien elle seroit juste.

(Bibl. nat. Baluze, 179, fol. 385-6.)

1. Phrase effacée : il est vray qu'il y peut avoir des occasi[ons]...

2. Mots effacés défendre aux fidèles d'assister...

3. Baluze avait d'abord mis les esprits.

:

4. Ces mots sont en surcharge.

UN PASSAGE DE LA « LÉGENDE DES SIÈCLES ».

Tous les lettres ont lu et admiré dans la Légende des siècles le beau poème intitulé Aymerillot. Charlemagne veut s'emparer de Narbonne, mais c'est en vain qu'il s'adresse successivement à chacun de ses barons, en vain qu'il promet à celui qui prendra la ville:

Tout le pays d'ici jusques à Montpellier.

Tous fatigués, harassés, refusent l'un après l'autre le présent, tant ils ont hâte, comme répond l'un d'eux à l'empereur, de se sauver au nid. C'est alors que Charlemagne s'écrie avec colère :

Si l'on vous dit, songeant à tous vos grands faits d'armes
Qui remplirent longtemps la terre de terreur :

« Mais où donc avez-vous quitté votre empereur? »
Vous répondrez, baissant les yeux vers la muraille
<< Nous nous sommes enfuis le jour d'une bataille,
Si vite et si tremblants et d'un pas si pressé,

Que nous ne savons plus où nous l'avons laissé. »

Victor Hugo ne fait ici qu'amplifier magnifiquement ce passage d'Aymeri de Narbonne, poème qu'il connut, comme l'a démontré M. Demaison à travers une nouvelle imitée de nos vieux trouvères que Jubinal fit paraître en 1843 dans le Musée des Familles :

Je reviendrai ici en Nerbonois,

Si garderai Narbone et le defois!

Foi
que doi vos, ainz i serai. xx. mois
Que je n'en aie le palès maginois.
Quant vos vendroiz el païs d'Orlenois,
En douce France, tot droit en Loonois.
S'an vos demande où est Charles li rois,
Si responez, por Deu, Seignor François,
Que le lesastes au siège à Nerbonois!

(Aymeri de Narbonne, 613-621, A. T.)

Le trait final est superbe d'ironie et de dédain, mais s'il fallait en croire Appien, il appartiendrait à Sylla qui, au moment d'en venir aux mains avec Archélaüs, «< voyant que ses soldats ne se remuaient point, descendit à pied et print l'enseigne de l'aigle, et avec ses piétons qui portaient escuz et targues, se vint ruer au milieu du camp, disant à haulte voix telles paroles : Si quelcun vous demande, ô Romains, en quel lieu vous avez abandonné vostre empereur, vous lui répondrez que l'avez laissé combattant en Orchomène. » (Claude Seyssel, Appian, Guerres civiles, 184, édit. 1544.)

L'auteur probable du poème d'Aymeri de Narbonne est Bertrand, de Bar-surAube. En sa qualité de « gentil clerc », titre qu'il se donne au début de Girart de Vienne, il n'est pas impossible qu'il ait connu ce passage d'Appien par une traduction latine. Ce n'est là, bien entendu, qu'une hypothèse, mais elle n'est pas invraisemblable.

A. DELBOULLE.

COMPTES RENDUS

JOSEPH TEXTE. Jean-Jacques Rousseau et les origines du cosmopolitisme littéraire. Hachette, 1895. In-8, de xxiv. 466 p.

Le livre de M. Texte est une thèse de doctorat, et c'est comme tel que je l'examinerai c'est une simple question d'équité, car quiconque a passé par cette désagréable épreuve sait de reste qu'il est bon de tenir compte à un nouveau docteur des entraves qui l'ont gêné dans son travail, des indications qu'il a dû suivre. De plus on ne doit pas se montrer aussi sévère pour une œuvre de début que pour un travail mûri à loisir, surtout en ce qui regarde l'épluchage des détails. On a toujours un certain nombre de petites erreurs à relever même dans les monographies les plus précises, à plus forte raison dans une étude d'ensemble qui, comme celle-ci, embrasse un siècle et trois littératures. Je laisse de côté quelques hypothèses de détail un peu hasardées (notamment p. 132), sur lesquelles il n'y a guère profit à discuter, l'hypothèse n'étant intéressante que comme théorie générale, et non comme idée particulière. Je me contenterai d'indiquer les quelques assertions qui m'ont paru particulièrement défectueuses, et qui sont en très petit nombre.

Peut-être M. Texte se serait-il montré moins dur pour Garat (p. 128, n. 1) s'il avait mieux connu la question des jardins « anglais », et leur création en France dès le xviie siècle, en dehors de toute imitation des Anglais.

M. Texte connait bien l'Angleterre et sa littérature. Son information est moins étendue pour la France. C'est ainsi qu'on trouve cités les Mémoires de Mme de Genlis plus souvent qu'ils ne le méritent. D'autres citations sont prises dans des livres de seconde main. Je sais bien qu'il était impossible, pour un premier travail, de lire intégralement toutes les œuvres de tous les écrivains cités. Il n'en est pas moins vrai que les généralisations ne peuvent être utiles que si elles reposent sur des matériaux très scrupuleusement choisis. Ainsi, raisonnant sur les ancêtres de Rousseau, M. Texte accepte de confiance les idées présentées là-dessus par M. Amiel dans le recueil intitulé Rousseau jugé par les Genevois d'aujourd'hui. En général il faut se défier de cet ouvrage, qui ne vaut pas son similaire français, J.-J. Rousseau jugé par les Français d'aujourd'hui; on y trouve peu de faits nouveaux, très peu d'idées intéressantes: la seule chose qui m'ait paru curieuse là dedans, c'est cette phrase mémorable sur la tendance de Rousseau à déclamer: « Ce défaut, nous l'avons tous plus ou moins, nous autres Genevois; nous sommes tous quelque peu orateurs à la manière de Rousseau. » En particulier, pour la partie précise qui nous occupe, il aurait mieux valu lire l'étude autrement fouillée de M. Dufour, les Ascendants de J.-J. Rousseau. M. Texte y aurait vu que ce n'est pas un seul Français que Rousseau compte dans ses ancêtres; que, de ses quinze trisaïeux connus, sept viennent de France, et que les huit autres appartiennent à la Savoie, au pays de Gex.

Il y a telle de ces petites fautes qui doit tenir surtout à la rapidité de la rédaction. Si M. Texte avait eu plus de temps, ce qui fait beaucoup à l'affaire, il n'aurait pas contesté à «< la molle France » du centre, toute aptitude à comprendre la nature, car il se serait rappelé que Balzac est né en Touraine, et que, sans être spécialement paysagiste, le grand romancier a exposé de place en place dans son œuvre des paysages de toute beauté.

:

Enfin il aurait été bon de faire disparaître quelques petites taches de pure forme; par exemple, p. 285, nous trouvons reproduit un mot curieux de Garat sur l'anglomanie, à l'apparition de la Nouvelle Héloïse « Si un télescope comme ceux de Herschell, et un cornet acoustique de la même portée avaient existé à cette époque, ils auraient été dirigés sur l'Angleterre plus souvent encore que sur la lune et les autres corps célestes. » La citation produirait plus d'effet s'il n'était pas déjà question de ce même télescope à la page x de l'Introduction.

་་

J'insiste sur ces détails pour montrer que le livre de M. Texte n'est pas de ces œuvres qu'on peut lire superficiellement, car on ne peut faire de pareilles remarques que sur les études captivantes qui ont commandé toute l'attention du lecteur. En effet M. Texte a des idées qu'il aime, des préférences qu'il affiche nettement, ajoutons même des partis pris. Le nouveau docteur appartient à l'école des penseurs qui ont peu de sympathie pour le xvшe siècle, et c'est fort permis: mais encore faut-il donner des raisons solides et personnelles de son antipathie. Répéter celles des autres est insuffisant. Ainsi, est-il légitime de reprocher à ce pauvre siècle « l'abaissement singulier de l'idée de patrie »? (p. 31). Ne serait-on pas en droit de rappeler à l'auteur que, dans l'ancienne France, le patriotisme se confond avec le royalisme, ou, si l'on aime mieux, que le royalisme est la forme officielle de l'amour de la patrie. Dire «< vive le Roi! » alors, c'est comme aujourd'hui dire « vive la France! » Si le XVIIe siècle crie rarement « vive le Roi!» si son royalisme a beaucoup diminué, est-ce la faute du siècle, ou celle du roi? Ne pourrait-on pas soutenir que ce qui est véritablement sensible alors, c'est l'abaissement singulier de l'idée de royauté, ainsi que de ses représentants? Car vouloir contester à tout le XVIII° siècle l'amour de la patrie, c'est oublier que la fin de cette époque s'appelle la Révolution.

Il est vrai que M. Texte n'aime pas cette Révolution, peut-être parce qu'il ne la connait pas assez d'après les documents et les études sérieuses. Il n'est pas prudent de consulter sur sa politique l'Histoire des Girondins de Lamartine, et sur sa littérature le livre de M. Jeanroy Félix. - « Ces hommes »>, comme dit M. Texte, qui auraient eu «< plein la bouche » de l'antiquité, sans la connaître, s'appelaient Mirabeau, Vergniaud, et l'on connait peu de plus grands orateurs; ils s'appelaient aussi Robespierre, l'abbé Maury, Camille Desmoulins, et c'étaient de très brillants élèves de l'ancien régime. Lorsque l'on voit porter sur la production littéraire de la Révolution un verdict comme celui-ci : « ces médiocres œuvres dont l'ensemble indigeste forme la littérature révolutionnaire », on est en droit de se demander si M. Texte connait les œuvres qu'il juge ainsi. On est plus surpris encore de voir toutes les préférences de l'auteur se porter vers les émigrés. Pour soutenir que l'esprit français avait, lui aussi, passé le Rhin, que ces transfuges appartenaient «< aux classes les plus éclairées de la nation », il faut n'avoir pas lu les études les plus modérées, les plus impartiales sur cette question, par exemple l'Europe et la Révolution de M. Sorel. Sans doute il y a Chateaubriand; mais Chateaubriand n'est pas toute l'émigration, et sa seule œuvre vraiment faible est justement celle qu'il a écrite en Angleterre, c'est son Essai sur les Révolutions. En littérature, les émigrés ont peut-être oublié, mais je ne vois pas ce qu'ils ont appris.

Si de ces idées particulières nous nous élevons à une vue d'ensemble, le livre de M. Texte nous semblera bien ordonné, bien proportionné, et c'est peut-être la qualité la plus rare dans une thèse. Je ne vois guère que le cha

Rev. d'Hist. Littér. de la FranCE (3o Ann.). — III,

9

« PrécédentContinuer »