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société polie, comme une révolte du bon sens, parodiant, pour la discréditer, la littérature extravagamment ingénieuse des ruelles. M. Morillot s'est efforcé dans son excellente étude sur Scarron d'établir que « le burlesque est un genre de réaction». Cette théorie me paraît inexacte. On pourrait, je crois, la détruire par la seule étude du burlesque français; et l'on verrait, en considérant tour à tour les écrivains qui font du burlesque et le public qui s'y délecte, que l'héroïque, le précieux, le burlesque sont trois états du même goût, trois styles du même art; que l'héroïque et le burlesque sont encore du précieux, et que, pour nous en tenir à notre sujet, burlesque n'est autre chose que la forme plaisante du précieux. Si le burlesque est souvent la parodie du fin ou du grand, cette parodie n'est que gaie sans malice, et surtout sans intention critique, sans opposition réelle de goût.

Nous arrivons au même résultat en examinant les origines étrangères du burlesque. En Espagne, le burlesque naît avec le cultisme et se développe parallèlement. Il en est si peu la critique qu'on le rencontre chez les mêmes écrivains qui donnent le plus dans le galimatias alambiqué ou sublime. L'auteur même du Polyphème et des Solitudes, le maître de la poésie raffinée, ne croit pas faire la satire de sa propre fantaisie en écrivant nombre de pièces bouffonnes et plaisantes: il choisit tour à tour le précieux et le burlesque, comme des formes également aptes à faire briller l'esprit; il est burlesque, quand il veut rire et faire rire. Quevedo ne fera pas autrement que Gongora: et combien d'autres encore ! Et, si c'était le lieu, il serait aisé de prouver que les procédés littéraires du burlesque, pour l'invention et pour l'expression, sont simplement les procédés du précieux, tournés en autre sens; on fait du comique, par les mêmes moyens qui servent à faire du délicat et du pompeux; la poétique est la même. Espagnols et Français en fournissent perpétuellement la démonstration.

GUSTAVE LANSON.

1. P. 145.

LES ORIGINES DU CHANSONNIER DE MAUREPAS

I

Depuis tantôt trente ans, les volumineux manuscrits de la Bibliothèque Nationale, catalogués sous le nom de Chansonnier de Maurepas et de Chansonnier de Clairambault, ont obtenu deux fois les honneurs de l'impression.

Or, cette double publication ne les reproduit pas intégralement. Le premier éditeur n'a voulu emprunter aux Recueils de la Bibliothèque Nationale, que leurs « pièces libres », une sorte de musée secret qui nous montre les xvno et xvш° siècles sous un assez vilain jour. Le bibliophile émérite, à qui nous devons cette... sélection en six volumes, la fit paraître à Leyde vers 1865 : la précaution était bonne; car, en ce temps-là, la France était peu hospitalière aux productions d'une saveur aussi caractérisée.

La seconde publication, beaucoup plus récente, est due aux soins éclairés de M. Raunié. Moins exclusive que la première, elle est conçue dans un esprit tout différent. Elle ne comprend que des pièces du xvIIIe siècle : encore celles-ci sont-elles triées sur le volet. S'inspirant de scrupules assurément très respectables, l'éditeur n'a choisi des priapées du Chansonnier Maurepas que les moins... décolletées. D'autre part, il a extrait du Recueil Clairambault les pièces présentant une valeur documentaire. Puis il a fondu dans cette collection expurgée une série de recueils de la même époque et donné à son œuvre le titre, fort bien trouvé, de Chansonnier historique du XVIe siècle.

En effet, cet ensemble de vaudevilles, presque tous satiriques, sur les hommes et les choses du temps, synthétise assez exactement l'histoire épigrammatique d'un âge qu'on appelle encore le Siècle de Voltaire. Mais pourquoi M. Raunié a-t-il limité ainsi ses préférences? Et que n'a-t-il généralisé son travail? De nouveaux emprunts au Recueil Clairambault, un choix judicieux dans les poésies des trouvères, dans les Manuscrits de Rasse des Noux, et dans le Journal de Lestoille nous eussent donné une Histoire de France par la chanson, depuis les temps héroïques de la première croisade jusqu'aux âges, non moins enthousiastes, mais beaucoup plus philosophiques de la Révolution.

Ce n'est pas que le Recueil Clairambault, terminé en 1759, ne

contienne des pièces antérieures au XVIIe siècle et prises aux sources que nous venons d'indiquer; mais le nombre en est trop restreint. Toutes cependant sont dues, ainsi que les couplets, épigrammes et autres poésies du xvII° siècle, aux recherches de Clairambault, le savant généalogiste de l'ordre du Saint-Esprit.

Ce patient et infatigable érudit enrichit ses trésors de notes et de commentaires qu'il puisa dans des mémoires originaux, ou qu'il emprunta aux témoignages de ses contemporains, car il joignait au culte du passé ce goût du présent que notre langue moderne appelle le sentiment de l'actualité. Clairambault poussa donc ses investigations jusqu'au xvi° siècle; et lorsqu'il mourut en 1740, son neveu, Paschal, continua son œuvre.

Il ne faut pas croire toutefois, comme la tradition s'en est généralement accréditée, que ce double travail soit l'unique source du Recueil Maurepas. Nous accordons que le Ministre de la maison du Roi ait fait copier sur le manuscrit de Clairambault les pièces qui datent des XVI et XVIIe siècles, et mème des premières années du xvin; mais celles qui sont postérieures à cette époque sont parvenues à Maurepas par une autre voie. Nous en avons retrouvé l'origine, que nous prouverons, d'après des documents indiscutables. Mais, comme l'histoire de cette découverte est intimement liée à celle, non moins inconnue, des premières gazettes manuscrites du XVIe siècle, il importe de faire connaître tout d'abord sous quel régime vivaient ou plutôt végétaient ces feuilles éphémères, désignées encore sous le nom de Nouvelles à la main.

II

L'esprit parisien, qui s'était donné libre carrière dans les pamphlets de la Ligue et dans les Mazarinades, s'était réveillé, depuis la mort de Louis XIV, pour prendre une attitude, sinon agressive, du moins inquiétante. Il avait alors pour interprètes deux classes d'individus qui concouraient au même but par des moyens différents, les nouvellistes et les compositeurs de gazettes à la main.

Les uns, rassemblés dans les promenades publiques ou réunis. dans les cafés, y débitaient très bruyamment les nouvelles du jour, politiques et militaires, littéraires et mondaines, nouvelles souvent douteuses, presque toujours démenties, mais parfois enveloppées d'une épigramme à l'adresse du gouvernement. Ces personnages jouaient à l'homme d'importance: c'était en réalité le seul bénéfice qu'ils attendaient de leurs prétentions à paraître dans le secret des dieux.

Les compositeurs de gazettes à la main étaient autrement discrets;

ils récoltaient avec soin les racontars des nouvellistes, compilaient les journaux de Hollande, d'Angleterre et d'Allemagne, subventionnaient des reporters qui leur apportaient les faits divers de la ville, payaient des commis de la poste qui leur livraient le secret des lettres, et, somme toute, composaient, avec ces diverses informations, un journal manuscrit, qu'ils adressaient deux ou trois fois par semaine à leurs abonnés : car, eux, se souciaient fort peu de la gloire ils faisaient commerce de gazettes et en

tiraient de bons revenus.

On comprendra sans peine que ces industriels donnaient beaucoup plus de souci au gouvernement que les nouvellistes en plein air, pérorant, discutant, s'échauffant et faisant la roue devant la galerie. Les gazetiers se cachaient et restaient souventinsaisissables.

La police du grand Roi leur fut impitoyable; celle de son successeur les poursuivit avec moins d'âpreté : l'indulgence n'était-elle pas une forme particulière de la nonchalance du Régent? Les gazetiers en profitèrent pour se montrer à l'occasion très « mordicants » les mémoires des contemporains en témoignent à maintes reprises.

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Les notes de police, les gazetins, com me on les appelait alors, durent signaler également cette réapparition de l'ennemi. Malheureusement, ces rapports, dont l'idée première, nous dit SaintSimon, appartient à Louis XIV, ont disparu des Archives de la Bastille, où les centralisait la lieutenance de police.

Par contre, ces documents abondent, dès que le duc de Bourbon prend les rênes du gouvernement, et se continuent pendant près de vingt-cinq ans, avec des interruptions qu'explique de reste le pillage des Archives de la Bastille, le 14 juillet 1789. Les gazetins, adressés au lieutenant de police d'Ombreval, l'âme damnée du prince et le parent de la maîtresse favorite, ne laissent pas que d'être instructifs. Le duc de Bourbon, bien qu'il soit resté fort peu de temps au pouvoir, se fit exécrer de toute la France et d'Ombreval eut sa bonne part de ce concert de malédictions. La rumeur publique accusait ces deux hommes d'affamer le pays par leurs spéculations sur les grains; et les gazettes à la main, d'accord avec les nouvellistes, traduisaient fidèlement et fortement cette expression de l'indignation générale. Aussi les gazetins s'empressent-ils de dénoncer un courant d'opinion qui ne fut pas étranger à la disgrâce de deux accapareurs.

Cette institution policière survécut à la chute de d'Ombreval. Elle était devenue nécessaire aux successeurs de ce fonctionnaire néfaste et se fortifiait de leur expérience. Elle prétendait éclairer

leur religion; et cette consultation incessante de l'opinion publique, tenant le magistrat en haleine, le mettait souvent sur la piste des détracteurs du gouvernement.

Or, s'en trouvaient-ils de pires que ces maudits « compositeurs de nouvelles à la main », dont le nombre s'était accru avec l'audace, malgré que le Parlement multipliàt ses arrêts pour supprimer leur détestable industrie?

III

Ce fut alors qu'un lieutenant de police eut une idée géniale, qui rappelle, toutes proportions gardées, les origines du journalisme en France, un siècle auparavant.

Si Richelieu, dans sa prescience de l'avenir, avait favorisé la naissance de la Gazette et soutenu par des subsides la feuille de Renaudot, il en avait fait du même coup l'organe officieux de son gouvernement; sentant bien qu'en dépit de toute son autorité, il lui serait impossible d'enrayer l'essor de l'esprit humain, il préféra le diriger.

Devant le développement inaccoutumé des gazettes manuscrites, notre lieutenant de police se tint le même raisonnement. Il autorisa les nouvelles à la main, mais à la condition que la minute originale de chacune d'elles serait revêtue de son visa. Celles qui voudraient se soustraire à cette formalité seraient interdites et leurs auteurs impitoyablement poursuivis.

Deux ou trois «< directeurs » se résignèrent, mais certains passèrent outre leur clientèle de province ne trouvait jamais les nouvelles assez piquantes que serait-ce donc le jour où leurs feuilles recevraient l'estampille administrative!

Faut-il que le journalisme ait en soi un principe contagieux, pour que les gens, les moins préparés à en subir l'influence, contractent aussi rapidement le goût de ce genre littéraire !

Après le lieutenant de police qui approuve ou refuse telle ou telle gazette manuscrite, voici le lieutenant de police qui l'examine, l'épluche, la commente, la modifie, l'ampute ou l'allonge, précurseur inconscient de ces rédacteurs en chef, trop soucieux du bon renom de leur journal pour ne pas soumettre à leur critique et à leurs ciseaux la copie de leurs collaborateurs.

S'il ne nous a pas été possible de découvrir le nom du premier magistrat 'qui mit en vigueur le système des «< gazettes autorisées », nous connaissons du moins celui qui fit œuvre de journaliste, en préparant manu propria la « bonne feuille ». Nous en avons même

1. Très vraisemblablement Hérault.

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