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paillards de Cahors. » Je ne retrouve pas la basse et vilaine expression dans toute la correspondance de Henri IV. En l'employant ainsi, Henri n'eût pas seulement manqué d'égards à Mme de Batz, mais aussi à des adversaires dont il était tenu d'honorer le courage, car devant de tels adversaires il avait fallu songer quelque temps à battre en retraite, comme d'Aubigné l'atteste formellement en ces termes : « Le roi de Navarre, pressé plus que devant de faire retraite, après avoir respondu que la mort lui seroit plus douce avec les siens, en faisant son devoir, qu'après les avoir abandonnés, estre couvert de deshonneur, marcha avec son reste 1. » Un roi-soldat ne pouvait donner le vil nom de paillards à de braves gens qui lui avaient si héroïquement résisté.

5o Et quelle autre invraisemblable phrase que celle-ci : « Vostre mary ne m'y a quitté de la longueur de sa hallebarde! » Le baron de Batz portait-il donc une vulgaire hallebarde? Un gentilhomme, un capitaine tel que lui, n'était-il donc pas armé d'une épée? La substitution de la hallebarde du sergent à l'épée de l'officier est à elle seule la condamnation de toute la lettre. 6o Que dire de cette phrase si étrangement métaphorique : « Et nous conduisoit bien Dieu par la main sur le bel et bon estroit chemin de saulveté. » N'est-ce pas par trop prétentieux pour un ami du naturel tel que le roi Henri IV? Et ne voit-on pas clairement sur ce chemin à la fois si bel, si bon et si étroit courir la plume d'un faussaire malavisé?

7° La formule de salutation finale ne se rencontre jamais au bas des lettres authentiques « Le bien vostre à vous servir. » Pourquoi cette formule inaccoutumée serait-elle uniquement réservée à Mme de Batz?

80 Ce qui montre encore que le document a été forgé aux environs de l'an XII, c'est la différence frappante, caractéristique, qui existe entre le style de la fausse lettre du 31 mai et le style de la vraie lettre qui la suit et qui est datée du 1er juin (p. 309): « Mons" Scorbiac, je croy que vous aurés esté bien esbahi de la prise de ceste ville; elle est aussy miraculeuse, car aprez avoir esté maistre d'une partie, il a fallu acquerir le reste pied à pied, de barricade en barricade. Et puisque Dieu m'a faict la grâce de l'avoir, je desire la conserver... » Quelle distance sépare cette simplicité de ton des images si recherchées de la lettre qui aurait été écrite la veille! Tous les lecteurs qui ont du goût et du flair me reprocheraient d'insister sur l'évidente impossibilité où l'on est d'attribuer au même écrivain la lettre à Mme de Batz et celle qui fut adressée au conseiller du parlement de Toulouse et dont l'original était, en 1849, conservé, à Montauban, dans les archives de son descendant, le baron de Scorbiac 2.

Si je ne craignais d'être accusé de trop incliner vers les jugements téméraires, j'engagerais les lecteurs des Lettres missives à prendre garde à certaines lettres adressées au mari de Mme de Batz. Empruntées à la même source impure que la pièce qui vient d'être incriminée, elles peuvent être regardées comme des perles fausses 3. J'emploie le mot perles avec intention, car ces

1. Histoire universelle, livre IX, chap. vi, édition de M. de Ruble, t. VI, 1892, p. 14. Conférez les récits des autres contemporains, Brantôme, Faurin, Sully (témoin oculaire), le président de Thou, etc.

2. La lettre sur la prise de Cahors a été recueillie dans le choix publié par L. Dussieux (p. 45). J'ai eu l'occasion, dans l'article de la Revue critique plus haut cité, de constater que ce choix a été fait en certaines pages avec peu de discernement. Il est arrivé même une fois que Dussieux s'est montré plus crédule que Berger de Xivrey et a eu la faiblesse d'accorder un passeport à un document dédaigné par son devancier.

3. J'excepte la lettre des premiers jours de l'année 1577 (t. I, p. 121), parce que l'original autographe de celle-là faisait partie de la collection de Feuillet de Conches. J'en excepte aussi diverses autres courtes et vives lettres dont les originaux sont conservés dans les archives de famille du baron de Batz. Je regretterais trop d'avoir à biffer des lignes comme celles-ci (t. I, p. 202): « C'est merveille que la

lettres sont heureusement tournées, et c'est incontestablement un homme d'esprit qui a prêté à Henri IV cette lettre (sans date) dont le début est si ingénieux: « Pour ce que je ne puis songer à ma ville d'Euse1 qu'il ne me souvienne de vous, ni penser à vous qu'il ne me souvienne d'elle, je me suis deliberé vous establir mon gouverneur en icelle et pays d'Eusan» (t. I, p.118), et qui lui a prêté aussi ce billet (sans date) où tant de gens ont cru reconnaitre le pittoresque pétillement de la verve gasconne: « Ils m'ont entouré comme la beste, et croyant qu'on me prend aux filets. Moy, je leur veulx passer à travers, ou dessus le ventre. J'ay eleu mes bons; et mon faulcheur en est. Grand damné, je te veulx bien garder le secret de ton cotillon d'Auch à ma cosine; mais que mon faulcheur ne me faille en si bonne partie, et ne s'aille amuser à la paille, quand je l'attends sur le pré » (t. II, p. 197).

J'exprime le vœu qu'un zélé travailleur, à l'esprit fin et au goût délicat, nous donne une thèse pour le doctorat, suite et complément de celle d'Eugène Jung, et qui serait intitulée: Essai sur les retranchements à opérer dans le recueil des lettres missives du roi Henri IV.

PH. TAMIZEY DE LARROQUE.

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diligence de vostre homme et la vostre. Tant pis que n'ayez praticqué personne du dedans à Florence [sic pour Fleurance, Gers]; la meilleure place m'est trop chère du sang d'un de mes amis. Ceste mesme nuict je vous joindray et y seront les bons de mes braves. Je regretterais trop encore d'envelopper dans une inexorable proscription cet autre mémorable billet: Mon faucheur, mets des aisles à ta meilleure beste; j'ay dit à Montespan de crever la sienne. Pourquoy? tu le sçauras de moy à Nerac; hastes, cours, viens, vole; c'est l'ordre de ton maistre, et la prière de ton amy» (t. II, p. 199). Berger de Xivrey (Ibid., note I) accuse Musset-Pathay d'avoir un peu paraphrasé ce billet, si remarquable de concision et de mouvement ». Je voudrais qu'un bon paléographe examinât les originaux de ces deux billets, qui étaient encore sous le règne de Louis-Philippe dans les archives du baron de Batz. Je réclamerais la même vérification pour bon nombre de lettres conservées en province qui n'ont été publiées que d'après d'imparfaites copies.

1. Sic pour Eauze; Euse est une forme inacceptable qui a été imaginée par le fournisseur du recueil de l'an XII. Ce même fournisseur a redonné la lecon Euse dans une lettre du 2 novembre 1587 (t. II, p. 312), qui se trouve ainsi frappée de suspicion, ce qui est dommage, car les premières lignes contiennent un mot charMonsieur de Batz, je suis bien marry que vous ne soyez encore restably de vostre blessure de Coutras, laquelle me fait veritablement playe au cœur. » lung a mis ce mot au-dessus de celui qu'écrivit Mme de Sévigné au sujet de la poitrine de Mme de Grignan, mais, du moins, le mot de Mme de Sévigné se trouve dans une lettre parfaitement authentique.

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UN DOCUMENT SUR TALMA

Nous croyons inédit le document que nous publions sur Talma. Au mois d'août 1793, le Comité de salut public décida de réchauffer l'esprit public, de fermer les théâtres qui joueraient des pièces favorables à la royauté, de faire représenter sur les principales scènes de Paris des tragédies comme Brutus, Guillaume Tell, Caius Gracchus, et les drames qui retraceraient les grands événements de la Révolution et les vertus des défenseurs de la liberté. Ce fut alors que Talma reçut mission de parcourir les départements pour animer le civisme. A. C.

Service public.

CONSEIL EXÉCUTIF PROVISOIRE
Commission.

Au nom de la République Française.

LIBERTÉ, ÉGALITÉ.

A tous les corps administratifs, officiers civils et militaires, gardes nationales et à tous autres qu'il appartiendra, chargés du maintien de l'ordre public, accordez passage, accueil et assistance au citoyen François-Joseph Talma, chargé de la mission expresse de parcourir les divers départements de la République pour y jouer et faire jouer sur les théâtres des pièces patriotiques et propres à réchauffer l'esprit public et propager les principes de la liberté et du républicanisme. Signalement du citoyen J. Talma: taille de 5 pieds 3 pouces 1/2, visage long, brun et maigre, yeux gris et enfoncés, cheveux châtains foncés, sourcils noirs, nez aquilin et rond, bouche petite, menton pointu. A Paris, le dix-huit août mil sept cent quatre-vingt-treize, l'an second de la République française.

Par le Conseil exécutif provisoire,

LE MINISTRE DE L'INTÉRIEUR.

HENRI HEINE ET EUGÈNE RENDUEL

Les documents instructifs que M. Ad. Jullien vient de publier dans la Revue des Deux Mondes sur l'histoire des rapports qui ont existé entre Eugène Renduel - ce sympathique « Cotta » français et les Romantiques, m'engagent à compléter cette étude en y ajoutant quelques notes sur les relations non moins intéressantes de Renduel avec le poète de l'Intermezzo 1. M. Jullien au reste a déjà donné lui-même quelques renseignements sur Heine et son premier éditeur français. Il nous apprend dans un article du Livre (1889) que «< ce fut Renduel qui, avec un rare esprit d'initiative, demanda au critique, alors connu seulement par quelques articles de la Revue des Deux Mondes, de réunir en volumes ses études sur notre pays de là le premier livre de Heine imprimé en 1833 et intitulé De la France. Le succès n'avait pas trompé l'attente de l'éditeur, qui traita ensuite avec Heine pour publier ses œuvres complètes et qui les fit paraitre effectivement dans le cours des deux années suivantes, en cinq volumes, dont un sur la France, deux sur l'Allemagne et deux de Reisebilder. Et ce qui prouve qu'il y avait alors un certain mérite à apprécier Henri Heine, un certain courage à l'éditer, c'est qu'après la retraite de Renduel le critique eut beaucoup de peine à trouver un autre acquéreur. Hachette n'avait pris qu'en dépôt le restant de l'édition; alors Heine, redevenu maître de placer ses ouvrages où il voudrait, les proposa vainement à Charpentier, et fut tout aise, à la fin, de les céder à Michel Lévy, qui ne fit pas ce jour-là une mauvaise opération.

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Jullien et d'autres se sont souvenus que Renduel fut le premier éditeur français de Heine, mais ils ont ignoré qu'il fut aussi son premier critique et biographe. Car ce que Loève-Veimars, ce chevalier d'industrie littéraire, a bien voulu dire de l'auteur des Reisebilder dans la Revue des Deux Mondes du 15 juin 1832 est très peu de chose. Dans « un avertissement » de la première édition du livre De la France, paru en 1833, volume extrêmement rare et très recherché des bibliophiles, Renduel débute en parlant de l'humeur du public, qu'il « appelle enfant mal élevé », oubliant sans doute que cette mauvaise éducation est due un peu à messieurs les éditeurs, qui ne sont pas tous, il s'en faut de beaucoup, des Renduel. Enfin n'importe à qui la faute, Renduel prétend qu'éditeurs et auteurs sont à la merci du caprice de tout le monde, c'est-à-dire de la mode, et il ajoute ce « truisme » (je crois que c'est Émile Montégut qui a importé ce mot): « Ils sont rares les écrivains qui font le bonheur de leur éditeur. » Heine pourtant selon lui n'est point de ceux qu'on adore aujourd'hui et qu'on oublie demain. Renduel démontre ensuite qu'il arrive pour toutes les célébrités ce qu'il appelle une époque biographique, un moment où l'attention publique, sollicitée par « les œuvres, par les faits, par l'influence d'un homme, d'une femme... s'en préoccupe d'une façon presque exclusive... » Nous sommes en 1833. L'année précédente les Tableaux de voyage avaient paru dans la Revue des Deux Mondes, « Chacun se demande depuis quelque temps quel est cet Allemand d'un esprit si fin, si délicat, si riche d'imagination et si dépouillé de préjugés, docteur d'érudition toute germanique, se raillant, comme un bel esprit parisien, des lourds docteurs de la

1. Que mes collèges au delà du Jura, grands et petits, les derniers surtout, veuillent bien excuser les garcheries linguistiques d'un étranger. Mon francais serait parfait, si, avec to it le reste, j'avais à mon service les teinturiers » de Heine, qui n'étaient pas, comme vous le savez, les premiers venus.

REV. D'HIST. LITTÉR. DE LA FRANCE (3 Ann.). III.

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Germanie, esprit moqueur et dédaigneux, et défenseur enthousiaste et sincère des droits de l'humanité. On veut savoir surtout quel est cet allié de la France, venu sans être sollicité, fort de sa conviction, aussi peu soucieux des amitiés que des haines, pour jeter dans le bassin de notre force tout le poids de son influence. Cet allié est en effet, par le temps qui court, une puissance de premier ordre, puissance qui n'a à sa disposition ni canons ni trésors, et qui épargne peut-être au peuple vers lequel l'attire sa sympathie, des défenses et des canons. En effet ce n'est probablement pas trop dire que d'assurer que le retentissement d'une telle parole par toute l'Allemagne (Heine avait publié, dans la Gazette d'Augsbourg, une série d'articles sur la politique, la littérature et l'art en France, traduits et réunis dans ce volume même) dû rendre les gouvernements circonspects, et les a fait réfléchir plus d'une fois avant de se décider à lancer contre la France tout un peuple ému par cette prédication cosmopolite. Renduel trace en quelques pages très vivantes une biographie rapide du poète, un peu aux dépens du pays qui l'avait plus ou moins contraint à s'expatrier. Cette esquisse, inspirée évidemment peu ou prou par Heine lui-même, ne nous apprend du reste rien de nouveau ni de bien saillant, son seul mérite est d'avoir présenté le poète au public français. Passons donc les traductions, les citations et les aperçus, tous très adroitement choisis, pour ne citer que le mot de la fin du portrait flatteur :

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<< La France est pour lui la montagne sainte d'où part, au milieu des éclairs, l'annonce d'une nouvelle loi, d'une nouvelle ère. D'ailleurs, entièrement dégagé d'espérance personnelle, il ne pouvait se faire illusion, car il savait que les réformateurs, comme les prophètes, n'entrent presque jamais dans la terre promise, et que leur peuple chéri se révolte souvent contre eux, et maudit leur nom au moment même où ils sacrifient leur vie, bien plus, leur génie a son bonheur. >>

Heine de son côté n'a jamais oublié les bontés et les services de son éditeur, sachant apprécier la bienveillance d'un si puissant libraire. Plusieurs fois il parle de lui dans ses œuvres et toujours avec beaucoup de considération. Pas une plaisanterie, pas un sarcasme à son adresse de la part de cet Aristophane moderne » qui n'épargnait même pas ses amis. Il désigne parfois le Romantisme tout simplement par « Eugène Renduel'sche Schule »> (l'école d'Eugène Renduel).

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On se souvient de cette page bouffonne mais terriblement spirituelle de Lutèce, où Heine disserte sur le « génie bossu » de Victor Hugo. C'était Renduel qui avait fourni le thème au satirique toujours prêt à pousser une botte à Hugo qu'il détestait sincèrement. La boutade est d'un comique achevé et elle ajoute une anecdote piquante à l'histoire des relations intimes de Renduel avec le dieu des Romantiques, une anecdote dont je n'oserais cependant pas garantir l'authenticité. Quant au goût, je crois qu'il ne faut pas y regarder de trop près. On sait que Heine ne pouvait pas quitter une idée drôle, et qu'il l'exploitait souvent à outrance. C'est un peu le cas de la page suiLorsque je vins en France, et j'avouai un jour à mon libraire Eugène Renduel, qui était aussi l'éditeur de Victor Hugo, que d'après l'idée que je m'étais faite de ce dernier, j'avais été fort étonné de ne pas trouver en M. Hugo un homme gratifié d'une bosse. « Oui, on ne lui voit pas sa difformité »>, dit M. Renduel par distraction. Comment, m'écriai-je, il n'en est donc pas tout à fait exempt? « Non, pas tout à fait », répondit Renduel avec embarras, et sur mes vives instances il finit par m'avouer qu'il avait, un beau matin, surpris M. Hugo au moment où il changeait de chemise, et qu'alors il avait remarqué un vice de conformation dans une de ses hanches, la droite, si je ne me trompe, qui avançait un peu trop, comme chez les personnes dont le peuple a l'habitude de dire qu'elles ont une bosse, sans qu'on sache où. Le peuple, dans sa naïveté sagace, nomme ces gens aussi des

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