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même fin, qui est la pratique de la vertu qu'elles se sont spécialement proposée. Ainsi chacune se fait aux yeux de Dieu une robe semblable à celle que David donna à la sainte épouse, et qui était d'un drap d'or relevé d'une riche broderie, admirablement bien diversifiée.

Lorsque nous nous sentons combattus par quelque vice, il faut faire tous nos efforts pour nous appliquer à la vertu qui y est contraire, et rapporter, la pratique des autres vertus à cette même fin: c'est nous assurer de la victoire de notre ennemi, acquérir une vertu que nous n'avions pas, et perfectionner beaucoup les autres. Si donc l'orgueil ou la colère m'attaque, il faut que je donne à mon cœur toute l'inclination et tout le penchant que je pourrai pour l'humilité et pour la douceur, et que j'y fasse encore servir mes exercices spirituels, l'usage des sacremens et les autres vertus, comme la prudence, la constance et la sobriété car, comme les sangliers, pour aiguiser leurs défenses, les frottent contre leurs autres dents, qui en même tems se liment et s'affilent; de même l'homme qui a entrepris une vertu qu'il sait être la plus nécessaire à la défense de son cœur, doit s'attacher à s'y perfectionner par le secours même des autres vertus, qui en devien nent aussi plus parfaites. Cela n'arriva-t-il pas Job, qui, étant principalement soutenu par la patience contre les tentations du démou, se trouva un homme parfait en toutes sortes de vertus ? Et bien plus, dit saint Grégoire de Nazianze, un seul acte de vertu fait avec toute la perfection dont il est capable, et avec une excellente ferveur de charité, a quelquefois mis tout d'un coup une personne au comble de la sainteté, et il cite sur cela la charitable et fidèle Raab, qui parvint à un haut degré de fortune pour avoir une seule fois exercé l'hospitalité envers quelques Israelites avec beaucoup d'exactitude.

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CHAPITRE II.

Suite des Réflexions nécessaires sur le choix des Vertus.

SAINT Augustin dit excellemment bien que plusieurs personnes, dans les commencemens de la devotion, font des choses qu'on blâmerait, si l'on en jugeait par les règles exactes de la perfection dont on les loue, parce qu'on les regarde en elles commes les présages et les dispositions d'une grande vertu. C'est par cette raison que la crainte basse et grossière, laquelle produit des scrupules excessifs dans l'ame de ceux qui sortent des voies du péché, est considérée comme une vertu et comme un présage certain d'une parfaite pureté de conscience; mais la même crainte serait blâmable en ceux qui sont déjà avancés, et dont le cœur doit être réglé par la charité, qui en bannit peu à peu la crainte servile. La direction de saint Bernard était, au commencement, d'une rigueur et d'une dureté extrême pour ceux qui se mettaient sous sa conduite; car il leur déclarait d'abord qu'il fallait quitter le corps, et ne venir à lui qu'avec le seul esprit. Entendant leur confession, il marquait d'une manière vive et sévère l'horreur que lui faisaient leurs défauts, pour petits qu'ils fussent. En un mot, il troublait et affligeait si fort l'ame de ces pauvres novices dans la perfection, qu'à force de les y porter il les en éloignait, et ils perdaient cœur et haleine, comme l'on dit, en se voyant poussés si vivement; semblables à des hommes que l'on presse de monter à la hâte une montagne fort escarpée. Vous voyez, Philothée, c'était ce zèle très-ardent d'une parfaite pureté qui faisait prendre cette méthode à ce grand Saint, et ce zèle était en lui une grande

vertu, mais une vertu qui ne laissait pas d'avoir quelque chose de repréhensible. Aussi Dieu l'en corrigea-t-il par lui-même dans une merveilleuse apparition, répandant en son ame un esprit doux et miséricordieux, charitable et tendre, de manière que le Saint, condamnant cette sévère exactitude, eut toujours de la douceur et de la condescendance pour ceux qu'il dirigeait, et se fit avec beaucoup de suavité tout à tous, afin de les gagner tous à Jésus-Christ. Saint Jérôme, qui a écrit la vie de sainte Paule, sa chère fille, y remarque trois sortes d'excès; l'un d'une austérité immodérée, l'autre d'une grande opiniâtreté à préférer en cela sa pensée au sentiment de saint Epiphane son évêque, et le troisième d'une tristesse demesurée, qui la mit plusieurs fois en danger de mourir elle-même à la mort de ses enfans et de son mari. Et puis ce père s'écrie: Mais, quoi! l'on dira que je laisse les louanges de cette Sainte pour lui reprocher ses imperfections et ses défauts. Non, j'atteste Jésus-Christ qu'elle l'a servi comme je veux le servir; que je ne m'éloigne nullement de la vérité, ni de part ni d'autre en disant simplement en chrétien ce qu'elle a été comme chrétienne, c'est-à-dire que j'en écris la vie et non pas l'éloge, pouvant dire d'ailleurs que ses défauts auraient été des vertus en beaucoup d'autres.

Or, vous entendez bien, Philothée, qu'il parle des ames moins parfaites que sainte Paule. Et en effet, il y a des actions que l'on condamne comme des imperfections en ceux qui sont parfaits, lesquelles seraient prises pour de grandes perfections en ceux qui sont imparfaits. Ne dit-on pas que c'est un bon signe quand les jambes enflent à un malade dans la convalescence, parce que l'on conjecture que la nature a repris assez de force pour rejeter les humeurs superflues? Mais cela même serait un méchant pronostic dans un homme qui

ne serait malade, parce que l'on jugerait que la nature n'aurait plus assez de force pour

ssiper et résoudre les mauvaises humeurs. Philothée, aycz toujours une bonne opinion des personnes dans qui les vertus nous paraissent mêlées de quelques défauts, puisque plusieurs Saints ne les ont pas eues sans ce mélange. Mais, pour vous, tâchez de vous y perfectionner, en accordant la prudence avec la fidélité; et pour cela, tenezvous bien à l'avis sage, qui nous avertit de ne pas nous confier en notre prudence, et de la mettre à celle des conducteurs que Dieu nous a donnés.

Sou

Il y a bien des choses que l'on prend pour des vertus, et qui ne le sont aucunement, et il est nécessaire que je vous en parle : ce sont les extases on ravissemens, les insensibilités, les impassibilités, les unions déifiques, les élévations et transformations, et autres semblables perfections dont traitent de certains livres qui promettent d'élever l'ame jusqu'à la contemplation purement intellectuelle, à l'application essentielle de l'esprit et à la vie suréminente. Philothée, ces perfections ne sont pas des vertus, mais leurs récompenses, ou bien plutôt des communications anticipées de la félicité éternelle dont Dieu donne quelquefois le goût à l'homme pour lui en faire désirer la possession. Mais enfin, nous ne devons jamais prétendre à de telles faveurs, parce qu'elles ne sont nullement nécessaires au service de Dieu, ni à son amour, qui doit faire notre unique préten tion; d'autant plus que ce ne sont pas ordinairement des grâces que nous puissions acquérir par notre application, l'ame recevant plutôt en tout cela les impressions de l'esprit de Dieu, qu'elle n'y agit par ses opérations. J'ajoute que, n'ayant point ici d'autre dessein que de devenir des hommes solidement dévots, des femmes véritablement pieuses, c'est à cela uniquement qu'il faut s'atta

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cher; et, si Dieu veut nous élever jusqu'à ces perfections angéliques, nous serons encore de bons anges dans le monde.

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En attendant, appliquons-nous avec simplicité et humilité aux petites vertus dont notre Seigneur, par sa grâce, a attaché la conquête à nos faibles efforts, comme sont la patience, la débonnaireté, la mortification du cœur, l'humilité, l'obéissance, la pauvreté, la chasteté, la suavité envers le prochain, la patience à souffrir les imperfections, la sainte ferveur. Laissons volontiers les suréminentes à ces grandes ames si élevées au-dessus de nous. Nous ne méritons pas un rang si haut dans la maison de Dieu; trop heureux encore de nous voir au nombre de ses serviteurs les moins considérés, et semblables à de petits et bas officiers de la maison du prince qui se font un honneur de leurs charges, quelques viles et abjectes qu'elles soient. Ce sera ensuite au Roi de la gloire, si bon lui semble, de nous faire entrer dans les secrets mystérieux de son amour et de sa sagessse. Notre consolation en tout ceci, Philothée, est que ce grand Roi ne règle pas les récompenses de ses serviteurs sur la dignité de leurs offices, mais sur l'humilité et sur l'amour avec lequel ils les exercent. Saul, cherchant les ânesses de son père, trouva le royaume d'Israël; Rebecca, abreuvant les chameaux d'Abraham, devint l'épouse de son fils; Ruth, glanant après les moissonneurs de Booz, et se couchant à ses pieds, devint son épouse. Certes, les prétentions si hautes que l'on a sur ces états extraordinaires de la perfection sont sujètes à beaucoup d'erreurs et d'illusions; et il arrive quelquefois que ceux qui peuvent être des Anges ne sont pas seulement des hommes aux yeux de Dieu, et qu'il y a plus en leur fait d'affectation et de paroles magnifiques, que de solidité de pensée et d'action. Il ne fait pas pourtaut rien mépriser ni censurer témérairement; mais

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