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avec plus de compassion pour sa faiblesse que de passion contre sa faute, l'excitant avec suavité à se mieux régler; il sera plus touché et plus pénétré de douleur qu'il ne le serait de tous ces regrets que l'indignation impétueuse pourrait y exciter. Pour moi, si j'avais entrepris de me préserver de tout péché de vanité, et que j'en eusse commis un fort considérable, je ne voudrais pas reprendre mon cœur en cette sorte. N'es-tu pas misérable et abominable de t'être laissé emporter à la vanité, après tant de résolutions? Meurs de honte, ce n'est plus à toi de penser au ciel, aveugle que tu es, impudent, infidèle à Dieu. Mais je voudrais le corriger ainsi par manière de compassion: Hé bien! mon pauvre cœur, nous voilà tombés dans le piège que nous avions tant résolu d'éviter. Ah! relevons-nous, et sortons-en pour jamais; implorons la miséricorde de Dieu; espérons qu'elle nous soutiendra à l'avenir, et rentrons dans la voie de l'humilité. Courage, Dieu nous aidera; nous ferons quelque chose de bon. C'est donc sur la suavité de cette douce correction que je voudrais établir solidement la résolution de ne plus faire la même faute, prenant d'ailleurs les moyens convenables à cette intention, et principalement l'avis de mon direc

teur.

Cependant, si quelqu'un ne trouve pas son cœur assez sesible à cette douce réprimande, il faut y employer des reproches plus vifs, et une répréhension plus dure et plus forte, pour le pénétrer d'une profonde confusion de soi-même, pourvu qu'après l'avoir traité avec aigreur, l'on tâche de le soulager par une sainte et suave confiance en Dieu, à l'imitation de ce grand pénitent qui, sentant son ame affligée, la consolait en cette manière: Pourquoi es-tu triste, ô mon ame! et pourquoi te troubles-tu? Espère en Dieu, car je le bénirai encore. Vous éles, ο mon Dieu!

le salut qui paraît toujours certain à mes yeux: vous étes mon Dieu.

Relevez-vous donc de vos chutes avec une grande suavité de cœur, vous humiliant beaucoup devant Dieu par l'aveu de votre misère, mais sans vous étonner de votre faute. Car, quel sujet y a-t-il de s'étonner que l'infirmité soit infirme, la faiblesse faible, et la misère misérable? Détestez néanmoins de toutes vos forces l'injure que vous avez faite à la divine Majesté, et puis, avec une grande et courageuse confiance en sa miséricorde, rentrez dans les voies de la vertu que Vous avez quittées.

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CHAPITRE X.

Il faut s'appliquer aux affaires avec beaucoup de soin, mais sans inquiétude ni empressement.

IL y a bien de la différence entre le soin des affaires et l'inquiétude, entre la diligence et l'empressement. Les Anges procurent notre salut avec autant de soin et de diligence qu'ils peuvent, parce que cela convient à leur charité, et n'est pas incompatible avec la tranquillité et la paix de leur bienheureux état: mais comme l'empressement et l'inquiétude seraient entièrement contraires à leur félicité, ils n'en ont jamais pour notre salut, quelque grand que soit leur zèle.

Prencz donc, Philothée, le soin des affaires que Dieu vous met entre les mains; car Dieu, qui vous les a confiées, veut que vous y apportiez toute la diligence nécessaire. Mais n'en prenez jamais, s'il est possible, la chaleur et l'inquiétude; car toute sorte d'empressement trouble la raison, et nous empêche de bien faire la chose même pour laquelle nous nous empressons.

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: Quand notre Seigneur reprit sainte Marthe, il lui dit: Marthe, Marthe, vous vous inquiètez, et vous vous troublez par beaucoup de choses. Philothée, prenez bien garde à cela. Si elle n'eût eu qu'un soin raisonnable, elle ne se fût pas troublée; mais parce qu'elle s'inquiétait beauelle se troubla, et c'est de quoi notre Seigneur la blâma. Les fleuves qui roulent doucement et également leurs eaux à travers les campagnes portent de grands bateaux et de riches marchandises, et les pluies douces et modérées donnent la fécondité à la terre; au lieu que les torrens et les rivières rapides qui, à grands flots, la terre, ruinent et désolent tout, et sont inutiles au commerce, comme les pluies violentes et orageuses ravagent les champs et les prairies. Il est vrai, jamais ouvrage fait avec une impétueuse précipitation ne fut bien fait.

courent sur

Il faut se hâter lentement, comme porte l'ancien proverbe. Celui qui court bien víte, dit Salomon, court risque de tomber à chaque pas, et nous avons toujours fait assez tôt ce que nous avons à faire, quand nous l'avons bien fait. Les bourdons qui font beaucoup plus de bruit, et sont beaucoup plus empressés que les abeilles, ne font que de la cire, et jamais de miel; ainsi ceux qui sont dans leurs affaires d'un si grand bruit et d'un empressement si inquiet, ne font jamais que peu de chose, et encore fort mal.

Les mouches ne nous importunent que par leur multitude et non pas par leur effort; et les grandes affaires ne nous troublent pas tant que le nombre des petites. Prenez donc les affaires avec une douce tranquillité d'esprit, comme elles viendront, et appliquez-vous-y selon l'ordre qu'elles se présentent; car, si vous voulez faire tout en même tems et dans la confusion, vous fercz de grands efforts d'esprit qui vous consumeront, et vous n'en verrez ordinairement. pas

d'autres effets que l'accablement sous lequel vous succomberez.

En toutes vos affaires, appuyez-vous uniquement sur la divine Providence, qui seule les peut faire réussir: agissez cependant, de votre côté, avec une raisonnable application de votre prudence, pour y travailler sous sa conduite. Après cela, croyez que, si vous avez une vraie confiance en Dieu, le succès en sera toujours heureux pour vous, soit qu'il paraisse bon ou mauvais au jugement de votre prudence.

Dans le maniement et dans l'acquisition du bien, imitez les petits enfans qui, se tenant d'une main à leur père, se divertissent à cueillir de l'autre quelques fruits ou quelques fleurs : je veux dire qu'il faut vous y conserver dans une continuelle dépendance de la protection de votre Père céleste, considérant bien qu'il vous y tient par la main, comme parle l'Ecriture, pour vous y conduire heureusement, et tournant les yeux de tems en tems vers lui, pour observer si vos occupations lui sont agréables: gardez-vous sur toutes choses que l'envie d'amasser plus de bien ne vous fasse quitter sa main et négliger sa protection, parce que, s'il vous abandonne, vous ne ferez pas un pas que vous ne donniez du nez en terre. Ainsi, Philothée, dans les occupations ordinaires qui ne demandent pas beaucoup d'application pensez plus à Dieu qu'à vos affaires; et quand elles seront d'une si grande importance qu'elles méritéront toute votre attention, ne laissez pas de tourner de tems en tems les yeux vers Dieu, à la manière de ceux qui, étant sur mer, regardent plus le ciel que la mer pour conduire leur vaisseau. Si vous en usez de la sorte, Dieu travaillera avec vous, en vous et pour vous, et votre travail yous produira toute la consolation que vous en pourrez attendre.

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CHAPITRE XI.

De l'Obéissance.

La seule charité nous rend essentiellement parfaits; mais l'obéissance, la chasteté et la pauvreté font les principales vertus qui nous aident à acquérir la perfection: car l'obéissance consacre notre esprit à l'amour et au service de Dieu; la chasteté, notre corps, et la pauvreté, nos biens. Elles sont comme les trois branches de la croix spirituelle, sur laquelle nous sommes crucifiés avec Jésus-Christ, et elles sont en même tems fondées sur une quatrième vertu, qui est la sainte humilité. Je ne prétends pas vous parler de ces trois vertus, ni par rapport aux vœux solennels de religion, ni même par rapport aux vœux simples qu'on en peut faire dans le monde pour de bonnes raisons, parce qu'encore que le vœu attache beaucoup de grâces et de mérites à ces vertus, toutefois leur pratique, sans aucun vou, suffit absolument pour nous conduire à la perfection. Il est vrai que les vœux qu'on en fait, et, surtout les solennels, dans la religion, établissent une personne dans l'état de perfection; mais il y a une grande différence entre l'état de perfection et la perfection, puisque tous les évêques et les religieux sont dans l'état de perfection, et que tous néanmoins n'ont pas la perfection, comme il ne se voit que trop. Tâchons donc, Philothée, de nous appliquer à la pratique de ces vertus, mais chacun selon notre vocation. Car, bien qu'elles ne nous mettent pas elles-mêmes dans l'état de perfection, elles nous donneront cependant la perfection; et d'ailleurs nous sommes tous obligés à la pratique de ces trois vertus,

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