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avec eux, leur parlant comme d'égal à égal ; mais soyez riche des mains, en leur faisant part de ce que Dieu vous a donné de plus qu'à cux.

Voulez-vous faire encore davantage, Philothée? Ne vous contentez pas d'être pauvre comme les pauvres, mais soyez plus pauvre qu'eux-mêmes. Et comment cela, dites-vous? Je m'explique. Le serviteur est inférieur à son maître, vous n'en doutez pas: attachez-vous dore au service des pauvres; allez les servir quand ils sont malades dans leur lit, et de vos propres mains apprêtezleur à manger, et à vos dépens. Occupez-vous humblement de quelque travail pour leur usage. O Philothée! servir ainsi les pauvres, c'est régner plus glorieusement que les rois. Sur cela je ne puis assez admirer l'ardeur de saint Louis, l'un des plus grands rois que le soleil ait jamajs vus; mais je dis grand roi en toute sorte de grandeur. Il servait très-fréquemment à la table des pauvres qu'il nourrissait; il en faisait venir presque tous les jours trois à la sienne, et souvent il mangeait les restes de leur potage avec une affection incroyable pour eux et pour leur état: il visitait souvent les hôpitaux, et il s'attachait ordinairement à servir les malades qui avaient les maux les plus horribles, comme les lépreux, les ulcérés et ceux qui étaient rongés d'un chancre; il leur rendait ce service tête nue et à genoux, respectant en eux le Sauveur du monde, et les chérissant d'un amour aussi tendre que celui d'une mère pour son enfant. Sainte Elisabeth, fille du roi de Hongrie, se mêlait ordinairement parmi les pauvres ; et pour se divertir avec les dames de sa maison, elle s'habillait quelquefois en pauvre femme, leur disant: Si j'étais pauvre, je m'habillerais ainsi. O mon Dieu! ô Philothée! que ce prince et cette princesse étaient pauvres dans leurs richesses, et qu'ils étaient riches en leur pauvreté Bienheureux ceux qui sont ainsi pah

vres, car le royaume des cieux leur appartient. J'ai eu faim, et vous m'avez nourri, leur dira le Roi des pauvres et des rois au jour de son grand jugement. J'ai été nu, et vous m'avez vétus possédez le royaume qui vous a été préparé dès le commencement du monde.

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Il n'y a personne à qui les commodités de la vie ne manquent quelquefois en de certaines occasions. On n'aura pas à la campagne ce qu'il faudrait pour bien recevoir ses amis, dont la visite est imprévue; les habits nécessaires, selon les règles de la bienséance, pour paraître avec honneur dans une assemblée, ne se trouveront pas où l'on sera; les meilleures provisions de vin et de blé sont gâtées, et il n'en reste que ce qu'il y avait de méchant, sans qu'on y puisse suppléer. Tout manquera dans un voyage: la chambre, le lit, la nourriture, le service. En un mot, pour si riche que l'on soit, il est aisé d'avoir souvent besoin de quelque chose, et c'est être véritablement pauvre en ces tems-là. Philothée, acceptez donc l'occasion de bon cœur, et en souffrez la peine avec joie.

Quand vous ferez quelque perte grande ou petite, par quelqu'un de ces accidens dont la vie est fort mêlée, comme une tempête, le feu, une inondation, la stérilité, un larcin, un procès, c'est alors le véritable tems de pratiquer la pauvreté, en recevant avec douceur d'esprit cette diminution de vos biens, et vous y accommodant avec toute la fermeté de la patience chrétienne. Esau se présenta à son père avec ses mains couvertes de poil, et Jacob en fit autant; mais parce que le poil qui couvrait les mains de Jacob ne tenait pas à sa peau, mais seulement à ses gants, on pouvait le lui arracher sans l'écorcher ni le blesser: au contraire, parce que le poil des mains d'Esau tenait à sa peau, qui était naturellement toute velue, on ne le lui aurait pas arra

ché ni sans une grande douleur ni sans une grande résistance. C'est justement une double figure de l'attachement des uns aux richesses, et du détachement des autres. Quand nos biens nous tiennent au cœur, si la tempête, si le larron, si le chicaneur nous en enlèvent quelque partie, que de plaintes, que de troubles, que d'impatience! Mais quand nous ne tenons à nos biens que par le soin que Dieu veut que nous en ayons, et non pas par le cœur, si nous les perdons, nous ne perdons pas pour cela ni la raison ni la tranquillité. Les fidèles serviteurs de Dieu ne tiennent pas plus à leurs biens qu'à leurs habits, qu'ils peuvent prendre et laisser quand il leur plaît; mais les mauvais chrétiens y tiennent autant que les bêtes à leur

peau.

CHAPITRE XVI.

Des Richesses de l'esprit dans l'état de la Pauvreté.

MAIS si effectivement vous êtes pauvre, Philothée, ô Dieu! tâchez de l'être encore d'esprit ; faites de nécessité vertu, et employez cette pierre précieuse de sa sainte pauvreté pour ce qu'elle vaut. Elle paraît fort obscure au monde, et il n'en sait pas la valeur; cependant l'éclat en est admirable, et elle est d'un grand prix.

Ayez un peu de patience; vous êtes avec votre pauvreté en bonne compagnie. Notre Seigneur, la sainte Vierge sa mère, les Apôtres, tant de Saints et de Saintes ont été pauvres; et ayant pu avoir les richesses du monde, ils les ont méprisées. Combien y a-t-il eu de grands du monde qui, malgré toutes les contradictions des hommes, sont alles chercher avec beaucoup d'empressement la sainte pauvreté dans les cloîtres, dans les

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hôpitaux? Ils ont bien pris de la peine pour trouver, et vous savez ce qu'il en coûta à saint Alexis, à sainte Paule, à saint Paulin, à sainte Angele et à tant d'autres. Or voild, Philothée, qu'elle vient se présenter à vous, et vous l'avez trouvée sans la chercher et sans peine : embrassez-la donc comme la chère amie de Jésus-Christ, qui, étant né pauvre, vécut et mourut pauvre.

Votre pauvreté, Philothée, a deux avantages considérables qui peuvent vous faire un grand fonds de mérites. Le premier est que, n'étant point de votre choix, elle vous est venue de la seule volonté de Dieu, sans que votre volonté y ait eu part. Or, ce qui nous vient de la seule disposition de la Providence, nous rend toujours plus agréables à Dieu, pourvu que nous le recevions de bon cœur et par un vrai amour de sa sainte volonté. Partout où il y a moins de nous, il a plus de Dieu. Ia simple et pure acceptation de sa volonté rend la patience extrêmement pure.

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Le second avantage consiste en ce qu'elle est une pauvrete vraiment pauvre. Je m'explique : une pauvreté estimée, louée, caressée, secourue et assistée, teint lieu de richesses, du moins elle ne fait pas un pauvre autant qu'il peut l'être mais une pauvreté méprisée, rejetée, reprochée et abandonnée, est la véritable pauvreté. Telle est l'ordinaire celle des séculiers; car comme pour ils ne sont pas pauvres par leur choix, mais par nécessité, on n'en fait pas grand cas, et c'est par cette raison que leur pauvreté est plus pauvre que celle des religieux, bien que celle-ci tire une grande excellence et un mérite singulier du choix que l'on en fait, et du voeu par lequel on s'y est assujéti.

Donc, Philothée, ne vous plaignez pas de votre pauvreté, car on ne se plaint que de ce qui déplaît; et si la pauvreté vous déplaît, vous n'êtes

plus pauvre d'esprit, mais riche de cœur et d'affection.

Ne vous désolez point de ce que les secours nécessaires vous manquent; car c'est en cela que consiste la perfection de la pauvreté. Vouloir être pauvre, et n'en recevoir aucune incommodité, c'est une grande ambition: oui, c'est vouloir l'honneur de la pauvreté et la commodité des richesses.

N'ayez point de honte d'être pauvre, ni de demander l'aumône par charité; recevez avec humilité ce que l'on vous donnera, et souffrez le refus avec douceur. Rappelez-vous, le plus que vous pourrez, le souvenir du voyage que NotreDame fit en Egypte pour y porter sondivin enfant, et tout ce qu'il lui fallut souffrir de mépris et de misères.

Si vous viviez ainsi, vous seriez très-riche en pauvreté.

CHAPITRE XVII.

De l'Amitié en général et de ses mauvaises espèces.

L'AMOUR tient le premier rang entre les passions; il règne dans le cœur et en conduit tous les mouvemens; il se les rend propres et comme naturels, en leur faisant prendre ses impressions; il nous rend nous-mêmes semblables à ce que nous aimons. Défendez donc bien votre cœur Philothée, de tout mauvais amour; car il deviendrait aussitôt un méchant cœur. Or, le plus dangereux de tous les amours, c'est l'amitié, parce que les autres amours peuvent absolument subsister sans aucune communication, et que l'amitié est essentiellement fondée sur le commerce de deux personnes, dont il est presque impossible

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