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tiens; prenez donc quelque chose de leur pratique, selon votre dévotion, et le sage conseil de votre directeur.

Je dirais volontiers ce que saint Jérôme dit de la pieuse dame Léta: Les jeunes longs et immodérés me déplaisent fort, surtout en ceux qui sont encore dans un áge tendre. J'ai appris par expérience que les petits ânons, étant las du chemin, cherchent à s'en écarter: je veux dire par-là que les jeunes gens à qui l'excès du jeûne a causé quel que infirmité se laissent aller aisément à une vie délicate et molle. Les cerfs courent mal en deux tems, quand ils sont chargés de venaison et quand ils sont trop maigres; et nous autres nous sommes exposés à de grandes tentations en deux états, savoir: quand le corps est trop nourri, et quand il est trop abattu. Dans le premier état, il devient rebelle, et dans l'autre, il ne se croit plus capable de rien; de sorte que, comme nous ne pouvons le porter quand il a trop d'embonpoint, aussi ne peut-il nous porter quand il est trop affaibli. L'usage excessif des jeûnes, des disciplines, des haires et de toutes les austérités, rend inutiles aux emplois de la charité les meilleures années de plusieurs personnes, ainsi qu'il arriva à saint Bernard, qui se repentit bien de sa vie trop austère; et l'on voit souvent que, pour avoir trop maltraité sa chair dans les commencemens, on est contraint de la flatter à la fin. N'aurait-il pas mieux valu en avoir un soin modéré, égal, proportionné aux peines et aux travaux de son

état.

Le jeûne et le travail matent et abattent la chair: si donc votre travail est nécessaire ou fort utile à la gloire de Dieu, j'aime mieux que vous souffriez la peine du travail que celle du jeûne, et c'est le sentiment de l'Eglise, qui exempte des jeûnes commandés les personnes occupées des travaux utiles au service de Dieu et du prochain.

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S'il y a de la peine à jeûner, il y en a aussi à ser vir les malades, à visiter les prisonniers, à confesser, à prêcher, à assister les affligés, à prier à faire de semblables exercices. Cette dernière peine vaut mieux que la première; car, outre qu'elle mate également la chair, les fruits en sont plus grands et plus souhaitables. Ainsi, généralement parlant, il vaut mieux conserver plus de forces corporelles qu'il ne faut, que d'en ruiner plus qu'il ne faut; car on peut toujours les affaiblir quand on veut, mais on ne peut pas toujours les réparer quand on veut.

Il me semble que nous devons respecter beaucoup cette parole de notre Sauveur à ses disciples: Mangez ce que l'on vous servira. C'est, comme je crois, une plus grande vertu de manger sans choix ce que l'on vous présente, et selon l'ordre qu'on vous le présente, qu'il soit à votre goût ou non, que de choisir toujours ce qu'il y a de plus méchant sur la table ; car, bien que cette pratique semble plus austère, il y a moins de propre volonté dans l'autre, puisqu'on ne renonce pas seulement à son goût, mais encore à son choix. D'ailleurs ce n'est pas une petite mortification que de tourner son goût à toutes mains, et de le tenir assujéti à toutes sortes de rencontres, outre que cette manière de le mortifier ne paraît point, n'incommode personne, et convient tout-à-fait aux usages de la vie civile. Repousser un plat pour en prendre un autre, regarder de près et tâter toutes les viandes, ne trouver jamais rien de bien apprêté ni d'assez propre, et beaucoup d'autres façons semblables, tout cela est d'une ame molle et trop attentive à sa bouche. J'estime plus saint Bernard d'avoir bu de l'huile pour l'eau et pour du vin, que si de dessein il avait bu de l'eau d'absynthe, puisque c'était une marque qu'il ne faisait pas d'attention à ce qu'il buvait; et c'est dans cette indifférence sur le boire et sur

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le manger que consiste la perfection de la parole du Sauveur Mangez ce que l'on vous servira. J'excepte néanmoins les viandes qui nuisent à la santé ou même fonctions de l'esprit, comme, à l'égard de plusieurs personnes, les viandes chaudes et épicées, fumeuses et venteuses, et je n'entends pas non plus parler des occasions où la nature a besoin de quelque soulagement extraordinaire pour se soutenir dans les travaux utiles à la gloire de Dieu. En un mot, une sobriété modérée et toujours égale est préférable à une abstinence violente et mêlée de certains intervalles d'un grand relâchement.

L'usage modéré de la discipline ranime vivement la ferveur de la dévotion. La haire mate extrêmement le corps, mais extraordinairement l'usage n'en convient pas, ni à l'état du mariage, ni aux complexions délicates, ni à aucun état chargé de quelques grandes peines: il est vrai que l'on pourrait s'en servir, avec l'avis d'un confesseur discret, les jours qui sont plus particuliè rement destinés à la pénitence. Le sommeil doit être réglé sur la nécessité que chacun en peut avoir, selon sa complexion, pour s'occuper utilement durant le jour, et parce que la sainte Ecriture, l'exemple des Saints, et la raison avec l'expérience, nous font connaître que les premières heures du jour en sont la meilleure partie et la plus utile; je pourrais dire même parce que notre Seigneur est appelé le soleil levant, et sa sainte mère l'aurore. Je pense que c'est une pratique louable de régler si bien l'heure du coucher, que l'on puisse se lever de bon matin. Certainement c'est le tems le plus doux à l'esprit, le plus libre et le plus favorable aux exercices de piété et au désir que l'on peut avoir de bien conserver sa santé. Les oiseaux ne nous excitent-ils pas de grand matin à quitter le sommeil et à chanter les louanges de Dieu ?

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Balaam, monté sur une ânesse, allait trouver le roi Balaac, et comme il n'avait intention bien droite, un Ange l'attendit en chemin avec une épée pour le tuer. Cette pauvre bête, qui vit l'Ange, s'arrêta par trois fois, quelques efforts que fit le prophète à grands coups de bâton le faire avancer, jusqu'à ce qu'enfin s'étant abattue sous lui à la troisième fois, elle lui parla, par un miracle bien extraordinaire, pour lui faire ce reproche: Que vous ai-je fait, et pourquoi me frappez-vous ainsi jusqu'à trois fois? Ensuite le Seigneur ayant ouvert les yeux de Balaam, ce prophète aperçut l'Ange, qui lui dit: Pourquoi as-tu battu ton ânesse? Si elle ne se fût détournée de devant moi, je t'eusse tué, et je l'eusse épargnée. Alors Balaam dit à l'Ange: J'ai péché, car je ne savais pas que vous vous Philoopposassiez à mon voyage. Voyez-vous, thée, Balaam était la cause de tout le mal, et il s'en prenait à son ânesse, qui n'y avait nulle part; et c'est de la sorte que nous en usons dans nos affaires. Une femme voit son mari ou son enfant malade, et elle court au jeûne, à la haire, à la discipline, comme fit David dans une pareille occasion: hélas! chère amie, vous faites comme Balaam, qui battait son ânesse; vous affligez votre corps, quoiqu'il ne soit pas la cause de la colère de Dieu, qui a la main levée sur vous. Allez à la source du mal, corrigez le cœur qui est idolâtre de ce mari et de cet enfant que vous avez laissé le maître de ses mauvaises inclinations, et que votre orgueil n'a élevé que pour la vanité. Un homme commet souvent un péché dimpureté, et aussitôt sa conscience lui perce le cœur par des reproches intérieurs qu'elle lui fait craindre comme des traits de la colère de Dieu; sur cela, revenant à soi: Ah! chair rebelle, dit-il, corps déloyal, tu m'as trahi, et il décharge son indignation sur sa chair par l'usage immodéré des

austérités. O pauvre ame! si ta chair pouvait parler comme l'ânessc de Balaam, elle te dirait: Pourquoi me frappes-tu, misérable? C'est contre toi que Dieu s'arme de colère; c'est toi qui es la criminelle. Pourquoi me conduis-tu à de mauvaises conversations? Pourquoi appliques-tu mes yeux et mes sens à des objets déshonnêtes! Pour quoi me troubles-tu par de sales imaginations? Forme de bonnes pensées, et je n'aurai pas de mauvais sentimens; fréquente des personnes qui aient de la pudeur, et la passion ne s'allumera pas en moi. Hélas! tu me jètes dans le feu, et tu ne veux pas que je brûle; tu me remplis les yeux de fumée, et tu ne veux pas qu'ils s'enflamment. Or, Philothée, Dieu vous dit en ce tems-là: brisez vos cœurs de douleur, mortifiez-les, faitesleur porter la pénitence qu'ils méritent; c'est principalement contre eux que je suis irrité. Certes, pour guérir la démangeaison, il n'est pas si nécessaire de se baigner que de purifier le sang; et à l'égard de nos vices, quoiqu'il soit bon de mortifier la chair, il est sur tout néccssaire de purifier le cœur.

Mais la règle universelle que je vous donne est de n'entreprendre jamais d'austérités corporelles sans l'avis de votre directeur.

CHAPITRE XXIV.

Des Conversations et de la Solitude.

RECHERCHER les conversations et les fuir, ce sont deux extrémités blâmables dans la dévotion qui doit régler les devoirs de la vie civile. La fuite marque de la fierté et le mépris du prochain, et la recherche porte beaucoup d'oisiveté et d'inutilité, Il faut aimer le prochain comme soi-même.

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