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épaulettes de fleurettes blanches et double blonde blanche pied contre pied. Cette blonde est appliquée sans ondulation sur l'étoffe. Elle garnit aussi une partie de la jupe par derrière en imitant des bouts de ceinture qui s'arrêtent à cinquante centimètres du corsage.

Madame Fouqueteau compose une foule de robes de velours noir qu'elle dispose avec corsage bas à épaulettes, passant sur un corsage montant en satin de nuance bleue, verte ou rose. Les bijoux artistiques augmentent l'élégance du costume.

Nous avons admiré des costumes en velours fantaisie marron clair ayant une jupe ronde ornée de rouleaux de satin de couleur tranchée. Une casaque ajustée forme jupe boutonnée à quinze centimètres de la ceinture, pour s'ouvrir ensuite en se maintenant de chaque côté, avec des boutons de satin. Il y a doubies manches; les premières sont collantes, et les autres longues et fendues jusqu'à la saignée; le reste de la hauteur laisse place à trois boutons de satin.

Nous avons vu des bonnets de demi-parure en blonde blanche bouillonnée, bordés de blonde brodée ondulée légèrement. Ces bonnets forment un puff arrondi qui se place sur le dessus de la tête, ornée d'une petite couronne de très-petites roses. De larges brides de satin rose sont posées en arrière. Ce petit bonnet coquet rappelle le style des coiffures Marie-Antoinette. Nous avons d'autres bonnets à citer, car on fait des fanchons formées de bouclettes de velours bleu clair appliquées dans le milieu laissé vide d'un papillon de blonde blanche. Les brides en velours sont bordées d'une petite blonde. Il y a des bridons de velours qui passent derrière.

Un troisième bonnet de blonde plissée est disposé avec petits biais de satin rouge faisant séparation, décorés avec un lacet d'or en spirale se prolongeant plus bas pour flotter librement derrière la coiffure. Il y a des extrémités garnies d'olivettes en tissu d'or. Sur le devant du bonnet, large touffe de petit raisin de Corinthe poudré et suréts d'or. Les brides sont en satin rouge accompagnées de barbes en blonde brodée.

Les chapeaux de velours vert tendu sont accompagnés d'un bavolet. Le devant est orné d'une guirlande de petites fleurettes de perles fines disposées en grappes. Un biais plissé passe sur le bavolet et retient un voile illusion qui peut se développer sur les épaules. L'intérieur bouillonné de tulle illusion reçoit les petites grappes vers le haut du chapeau. Il y a de grandes brides de satin de la nuance du velours.

Un chapeau tout tendu est en satin marron avec calotte, passe et bavolet nouveau entouré d'une cordelière en tissu d'or. Les glands accompagnent une touffe de plumes marron frisées. L'intérieur est orné d'un diadème formé avec de petites marguerites d'or piquées dans un bouillonné. Les brides sont en satin

marron.

Un chapeau de velours noir, formant très-petite

fanchon bouillonnée, est orné sur le côté d'une grosse rose pourpre avec son feuillage rejeté en arrière pour traverser derrière la fanchon et rejoindre un bouquet de plumes noires. Les brides se font en satin noir.

Lorsqu'on s'occupe des costumes d'enfant, on choisit d'abord des toilettes de petites filles, c'est un entraînement; mais nous allons désigner plusieurs costumes de petits garçons en rapport avec les exemples que nous avons donnés dans notre dernier compte rendu.

On fait des costumes en drap d'hiver marron foncé, pantalon arrêté par des boutons de fantaisie, et petite veste à basques fendues formant le tour du corps. Un beau galon côtelé suit les contours; des boutons ferment la partie supérieure de la veste, qui s'entr'ouvre vers la ceinture.

Un autre costume de drap couleur prune a un pantalon large et droit s'arrêtant à mi-jambe. Un galon pareil, brodé noir, est posé sur la couture extérieure entre deux fantaisies olivettes. Une petite blouse russe ferme sur le côté sous une bande de galon encadrée de la même manière. La ceinture est assortie. Un ornement semblable suit le bord de la blouse, l'entournure et le bas des manches.

Le même costume exécuté en velours vert et chinchilla obtient un grand succès. La petite toque suit le même style; elle est plate ou élevée, et souvent gar

nie de fourrure.

Des costumes de velours noir, composés d'un pantalon collant s'arrêtant à l'ouverture d'une botte molle, ont aussi un bon cachet; il y a une double blouse presque collante, garnie de galons nouveaux ou de fourrure. Fermée jusqu'à l'encolure, où la même fourrure fait collier, cette blouse a des manches demilarges bordées de fourrure.

On fait des costumes de petits garçons en drap-velours havane. Le pantalon droit, boutonné au-dessus du genou avec de beaux boutons dorés placés sur le côté, accompagne un petit gilet montant fermé de la même manière.

La veste est garnie de galon ou de fourrure. Les chaussures sont soignées, élégantes; bottes molles ou guêtres montantes.

Les coiffures prennent toutes les formes, et le choix devient facile en consultant l'âge et la physionomie des enfants.

CÉLESTINE DE B...

Détails du dessin.

Première toilette. - Robe de satin bleu de lumière; jupe droite sur le devant et à très-longue traîne derrière, recouverte d'une jupe Marie-Antoinette en dentelle blanche ayant de grands bouts noués qui suivent le mouvement de la traîne de satin. Corsage décolleté

avec draperie de dentelle. Nœud-rosace à la taille derrière. Coiffure assortie à la toilette. Gants blancs.

Seconde toilette. Composée d'un dessous de satin rouge et d'une robe de mousseline claire à traîne. Chaque lé est orné d'un large entre-deux de guipure. Un haut volant froncé bordé de guipure se rattache à un entre-deux; il termine la jupe, qui est accompagnée d'un corselet espagnol en satin rouge rattaché sur la poitrine avec une cordelière. Le dessus de chaque épaule est ouvert et rejoint avec une petite cordelière. Le bas du corselet est orné d'olivettes. La ceinture longue est nouée derrière. Coiffure artistique. Gants blancs.

Explication du patron.

COSTUME POUR PETIT GARÇON DE CINQ A SEPT ANS.

Blouse russe en drap marron ou feutre. Le devant se recroise en plastron, le côté gauche sur le côté droit; les boutonnières sont coupées dans l'étoffe. Boutons de nacre. Bordure en galon satiné de nuance assortie.

Pantalon large, flottant, forme droite, qui se fait en même étoffe que la blouse et complète le costume.

Explication de la planche de broderie.

No 4. Col de camisole. Feston, œillets et plumetis. N° 2. Manchette de la camisole, reversible sur le poignet.

No 3. Bande festonnée pour le devant de la camisole. Nos 4 et 5. Parure pour jeune fille. Point de feston. No 6. H. P. Initiales anglaises ornées. Plumetis. N° 7. J. L. Initiales anglaises ornées. Plumetis. No 8. Écusson pour coin de mouchoir. Plumetis. No 9. Quart de mouchoir. Coin arrondi, feston crête de coq, boutons de rose au plumetis.

No 40. M. R. Initiales anglaises ornées. Plumetis. No 11. Bas de jupon. Soutache et petits plis. No 12. HENRIETTE. Lettres anglaises. Point Mexico et piqûre.

No 13. Bonnet d'enfant, formant pointe sur le devant. Plumetis.

N° 14. Rond de bonnet d'enfant.

No 45. J. C. Initiales anglaises. Plumetis.

No 16. Écusson pour coin de mouchoir. Plumetis et cordonnet.

N° 47. MARIE. Lettres anglaises. Point russe et piqûre.

N° 18. T. W. Initiales anglaises ornées. Plumetis.

La prime de 1868, intitulée NOS ARTISTES CONTEMPORAINS, est dès ce jour à la disposition de nos abonnées.

Elle se compose d'une très-jolie collection de gravures

d'après les derniers ouvrages de nos artistes les plus en vogue. Quelques-uns des tableaux reproduits par ces gravures ont figuré à l'Exposition universelle.

Il nous a semblé qu'une collection destinée aux tables des salons et représentant les travaux de Corot, Rousseau, Gérome, Daubigny, Meissonnier, etc., serait favorablement accueillie par les lectrices des Modes parisiennes et viendrait leur prouver le soin que nous mettons à choisir ce qui leur est destiné. Rester à la hauteur de notre tâche est le but que nous espérons atteindre.

On peut dès à présent se procurer dans nos bureaux cette nouvelle prime, qui sera remise GRATUITEMENT à toutes les personnes qui renouvelleroat ou prendront pour la première fois un abonnement d'un an. L'affranchissement de la prime est de 2 fr. pour toute la France, et 3 fr. pour l'étranger.

ALCESTE A LA COUR. (SUITE.)

Le major prit un siége à côté d'elle; il la laissa pleurer tant qu'elle voulut pleurer; lorsqu'il la vit un peu calmée, il lui présenta la dernière lettre écrite par son frère et les cheveux qu'il avait trouvés sur le pauvre enfant. Alors il pleura à son tour. Telle fut cette première entrevue. Il en revint tout bouleversé. En vain, la nuit venue, il voulut dormir; la douce image était présente à ses yeux fermés; il entendait cette voix désolée; il essuyait, mais en vain, ces larmes brûlantes. Désormais il appartenait tout entier à cette enfant que son frère avait aimée jusqu'à la mort.

Quand il la vint saluer pour la seconde fois, il lui sembla qu'il la connaissait depuis son enfance. Elle était naturelle, elle n'avait rien à cacher. Elle conta dans l'accent même des tendresses innocentes comment elle avait rencontré le chevalier de Grandlieu dans la maison de M. le président de Mesmes, une austère et sainte maison, où le jeune homme était le bienvenu pour ses vertus non moins que pour sa bonne grâce. Ils s'étaient aimés tout d'abord, et lorsqu'il partit pour l'Allemagne ils avaient échangé un double serment, qui valait un mariage. Elle lui avait donné ce gage d'amour. Il devait la conduire à l'autel aussitôt qu'il aurait eu la permission de son père et de son frère ainé. Rien de plus. Voilà tout. Elle savait qu'il était pauvre et qu'il n'avait que son épée. Elle-même elle était peu riche, assez cependant pour n'être pas importune à sa nouvelle famille. O fin cruelle, impitoyable, de tant d'espérances! Chastes amours sitôt brisées! Que faire et que devenir? Il y avait des moments où son angoisse était au comble, alors elle cherchait dans le saint livre une consolation, une espérance, une force. O mon ami! disait-elle, mon fiancé! c'est donc vrai, je ne vous reverrai jamais! Puis voyant le major dont le cœur battait à se briser, elle essuyait ses larmes et s'efforçait de sourire. Ils passèrent ainsi bien des journées, soit que M. Hébert, le père, ou la servante, madame Bencît, fussent en tiers avec leur douleur, mais le plus souvent ils étaient seuls. Celui-là qui pourra comprendre et deviner ce que disait leur silence et quelles étaient leurs paroles n'aura pas un mauvais cœur. Chaque jour ajoutait une clarté nouvelle à cette amitié que désormais rien ne pouvait rompre. Hébert était un avocat très-éloquent et très-écouté de la ville de Toulouse avant que la persécution l'eût contraint de chercher un asile au milieu de Paris. Il possédait au pied des Cévennes le plus beau domaine de la contrée. Il était nouvellement marié et père de famille. Enfin il appartenait à la religion réformée. Il vivait caché, il était prudent; il savait toutes les misères que la révocation de l'édit de Nantes avait amenées avec elle, mais comme il ne voulait pas que rien troublât la vie et le bonheur de sa femme et de ses deux enfants, il avait fini par abjurer la religion de ses pères. Il en convenait, à sa honte, ajoutant que tout ce qu'il avait souffert depuis était une expiation de sa lâcheté.

Un jour cependant, comme il fut témoin des cruautés de ce monstre appelé Lamoignon de Bâsville, épouvante et bourreau du Midi, soudain le sentiment de la justice éclata dans cette âme où la religion se taisait, et la justice plus forte dans l'esprit de l'avocat que n'avait été la croyance dans l'âme du chrétien, Hébert avait osé, résistant à M. de Bâsville et défiant les bourreaux, invoquer les saintes lois de la conscience humaine et proclamer que la persécution était impie. A cette voix très-écoutée, il y eut dans la ville une émeute: Aux armes! aux armes! et Bâsville épouvanté eut grand'peine à sauver sa tête. Il revint trois mois après dans la cité désolée, et les fureurs n'eurent plus de bornes. La tête de l'avocat fut mise à prix, ses biens confisqués, son cabinet dévasté, sa robe déchirée en mille pièces. Enfin, comme il s'enfuyait dans la montagne, il perdit sa jeune femme, épuisée, en plein délire, et doutant de la justice divine. Il fut sauvé par la mort de cet odieux gouverneur d'une si belle province, et comme il ne pouvait guère franchir la frontière avec ses deux enfants dans ses bras, il s'en vint chercher un refuge à Paris. M. de Mesmes accepta cette épave et fit inscrire au nombre des avocats en parlement le nom d'Hébert, nouvellement converti. Sa conversion, Dieu merci, ne l'avait pas déshonoré, et ses nouveaux confrères lui tenaient compte en même temps de son courage et des maux qu'il avait soufferts. Telle était la vie. Au travail tout le jour, le soir venu, il ne songeait plus qu'à sa fille, il l'entourait de ses meilleures tendresses, et il lui demandait sans cesse et sans fin: «Pourquoi donc elle était si triste. Ah! disait-il, je le sais bien, ma pauvre enfant! >>>

Ainsi commencèrent les amours, disons mieux, les passions du major de Grandlieu. Il s'habitua si vite et si bien à la contemplation d'Armande Hébert, que pour rien au monde il n'eût changé son bonheur de la voir et de l'entendre.

De son côté, elle avait pris l'habitude heureuse de cette amitié fraternelle, mais comme elle était courageuse et forte, elle y résista. « Il n'est pas bon, disaitelle à M. de Grandlieu, que vous soyez ici tous les jours. Vous n'y pouvez pas être, et je sens que j'y perdrais le peu de force et de courage qui me restent. >>> En vain il voulut se défendre et protester contre un ordre qui lui semblait sévère, il fut décidé qu'ils se verraient tous les huit jours, et que dans l'intervalle il irait chez un sien ami, le capitaine Bertrand, un officier de fortune, qui passait doucement sa vie, à côté de la ville de Saint-Germain, dans une maison d'humble apparence, mais où rien ne manquait de ce qui fait le bien-être des honnêtes gens.

Un jour de printemps (M. de Grandlieu avait quitté la veille sa jeune sœur moins triste que d'habitude), il allait sur son beau cheval respirant l'air frais du matin. Son rêve était plein d'une espérance inaccoutumée, et pour un sourire de la belle Armande, il se voyait déjà la conduisant à l'autel et lui donnant le nom de ses aïeux. Les oiseaux chantaient, les prés fleurissaient, le bois commençait à poindre, enfin tout était charme, et le cavalier n'eut pas fait la moitié du chemin qu'il était déjà sûr de ne pas rêver toujours. Du bas de la montagne au sommet la montée était rude autrefois plus qu'aujourd'hui. Le major mit son cheval au petit galop, et, tournant à droite, il prit le chemin qui longeait le château de M. de Vaujours, duc et pair de France. A moitié chemin et non loin de la grille, il fut assailli par quatre ou cinq coups de feu. Un seul l'atteignit au front, mais sans blessure dangereuse. Très-étonné de l'algarade et déjà tout couvert de sang, il mit pied à terre, et, la canne à la main, il tomba sur ces maroufles, qui s'enfuirent devant lui en poussant de grands cris. Au même instant il vit accourir le seigneur châtelain. << Monsieur, s'écria le major, qu'est-ce à dire, et d'où vient ce brigandage? Etesvous le seigneur du château ou le chef d'une caverne? Dans tous les cas il me faut une réparation. On ne tire pas impunément sur un major de l'armée du roi. Donc l'épée à la main, et finissons. >>

Très-étonné, le duc de Vaujours s'excusa de son mieux. << A Dieu ne plaise, disait-il, que j'insulte un officier du roi. Les gens que j'avais appostés, monsieur le major, devaient faire une prompte justice d'un pleutre et d'un coquin que je faisais dîner à l'office, et qui a fait une insolente déclaration à madame la duchesse. Le fusil ou le bâton avec ces gens-là, nous ne connaissons que cela nous autres gentilshommes. Acceptez donc mes très-humbles excuses, et cependant permettez que l'on arrête le sang qui rougit votre front. La blessure est peu de chose; une ou deux compresses suffiront. Sitôt guéri, je serai, monsieur le major, tout à vos ordres. >>>

M. de Grandlieu se laissa conduire au rez-dechaussée de la maison, où les femmes accoururent pour exercer de leur mieux leur chirurgie domestique. On lava la blessure; une habile main réunit l'un à l'autre les deux bords de la plaie. Et jugez de l'étonnement du blessé lorsqu'il crut reconnaître, à certains signes qui ne trompent guère un homme amoureux, dans la jeune et belle femme ici présente, l'image même d'Armande Hébert! C'était bien là son visage et son tour de tête, et tout l'ensemble! Et quand il l'eut bien considérée : << O madame! il faut que vous ayez une sœur cadette, et, s'il est vrai, vous pouvez compter sur l'obéissance et le dévouement du comte de Grandlieu. » La dame à ce propos resta comme atterrée. Elle sembla d'abord ne rien comprendre, mais quand elle eut éloigné sa servante : « Hélas! monsieur, il est vrai, je possède une sœur dont je fais le désespoir, un père dont je suis la honte. Il y a deux ans, malgré la volonté de mon père et les prières de ma sœur, j'ai épousé le propre neveu de M. de Lamoignon de Bâsville, et mon père m'a maudite. A tout le monde, il a répondu que j'étais morte. Il a fait chanter un De profundis à mon intention. Pas une seule fois, je le sais par ma propre nourrice, mon triste nom depuis deux ans n'a été prononcé entre mon père et ma sœur. Maintenant, monsieur, vous savez mon châtiment. Livrée à moi-même, à mes instincts mauvais, j'ai souillé le nom que je porte, et, pas plus tard que ce matin, M. le duc de Vaujours a tendu ce guet-apens au triste amant que je me suis donné. » A ces mots, elle acheva d'une main tremblante le pansement qu'elle avait commencé. La plaie était fermée et ne saignait plus. Elle en eût encore moins dit que M. de Grandlieu l'eût reconnue, tant la ressemblance était grande entre cette femme et sa sœur. D'ailleurs si vive était sa peine, et ses remords parlaient si hautement, tant de douleur était empreinte sur ce beau visage pâli par les angoisses d'une âme bouleversée, qu'un barbare en aurait eu pitié. - <<< Madame, écoutez-moi, dit le major; votre mari peut revenir, en deux mots dites-moi où vous en êtes avec cet indigne amoureux. » Elle alors comprenant qu'il fallait se hâter et courir au plus pressé :

<< Monsieur, dit-elle, je l'attends en ce moment. S'il entre ici, lui et moi nous sommes perdus. Cet homme est d'ailleurs peu de chose, et je doute à présent qu'il soit un homme d'honneur. Maintenant que faire et que devenir? je n'en sais rien. » La servante survint apportant un bassin plein d'eau fraîche; le maître du logis la suivait. Il ne parut point étonné que sa femme fût restée seule avec le major, ou tout au moins il en prit son parti. - <<< Monsieur, dit-il, je vous renouvelle ici toutes mes excuses; vous et moi nous sommes les victimes d'une funeste méprise, et pourtant si vous saviez quel homme est attendu

par moi dans ces murailles qu'il a déshonorées, vous comprendriez ma vengeance, et comment je n'y veux

pas renoncer. »

Le major, pendant ce temps, effaçait quelques traces sanglantes de son visage, et, sans trop répondre au mari, prenait congé de la duchesse avec toutes sortes de grâces et de respects. Une fois à cheval, il suivit son chemin jusqu'au moment où les gens du château de Vaujours l'ayant perdu de vue, il se mit à réfléchir de quelle façon il sauverait cette infortunée. Elle avait tous les droits du monde à la pitié de ce galant homme. Elle était femme et sans expérience des choses de la vie; elle l'avait pansé de ses belles mains comme autrefois les dames châtelaines quand leur tour était assiégée. Elle s'était fiée à son courage, à sa loyauté; que de motifs pour la défendre! Enfin l'incontestable raison qui faisait du major de Grandlieu le défenseur de madame de Vaujours, c'est qu'elle était la propre sœur de la jeune fille que son frère avait aimée, et qu'il aimait lui-même de toutes les tendresses de son cœur. « Oui, disait-il, je la sauverai, je sauverai sa renommée; il ne faut pas qu'une nouvelle honte s'ajoute à la douleur de cette famille, qui sera ma famille un jour. » A ces mots, prenant son parti vite et bien, il revint sur ses pas, non point par le sentier frayé, mais par le versant de la montagne. A chaque pas, son cheval pouvait tomber, mais ils n'y regardaient guère, la bête et le cavalier étant habitués à se faire en tout lieu leur trouée. Et voilà comme ils se trouvèrent au bas de la montée, après avoir franchi des passages qui semblaient infranchissables. Une fois là, le major s'arrêta sous un vieil arbre, à l'ombre, et il attendit patiemment l'homme qui devait venir.

Au bout d'une heure, il aperçut un cavalier monté sur un léger cheval qui s'en venait sans trop de hâte, en chantant, la cravache à la main. C'était un homme qui avait passé la trentaine; au premier aspect les passants disaient : « Voilà certes un beau cavalier. >>> Il était vêtu comme un voyageur qui ne vient pas de très-loin et qui s'arrêtera bientôt. Par un hasard assez singulier, sa monture était de la même couleur que le cheval du major, ce qui expliquait le guet-apens dans lequel M. de Grandlieu était tombé. C'était bien l'homme qu'il attendait, et, lui barrant le passage, il lui dit de cette voix qui le faisait écouter partout : <<< Monsieur, je ne sais pas qui vous êtes, mais je vous arrête ici. Pour peu que vous teniez à la vie, il ne faut point, croyez-moi, que vous alliez plus loin. Revenez sur vos pas, je vous prie, et souffrez que je vous accompagne et vous ramène à Paris. Chemin faisant, j'aurai, ne vous déplaise, à vous demander une explication que je veux complète. >> Un coup d'œil lui avait suffi pour deviner que cet homme était l'un de ces chevaliers plus spécieux que solides, auxquels on parle avec peu de cérémonie. Il obéit sans mot dire, en regardant ce front où le sang reparaissait. Au premier mot du danger qu'il avait couru, il était devenu tout pâle; enfin, dans son obéissance, on pouvait deviner une grande terreur.

JULES JANIN.

(La suite au numéro prochain.)

LA BAIE DES GROTTES.

(SUITE.)

x.

Julia rentra chez elle le visage radieux.

A dix heures, après avoir recommandé à Paquitta de la réveiller le lendemain aussitôt qu'une dame Pibert, qui devait venir de bonne heure pour s'entendre avec elle sur sa toilette de bal, serait arrivée, elle se mit au lit, non qu'elle eût sommeil, mais pour savourer, dans la solitude et le calme de la nuit, le bonheur qu'elle se promettait à ce bal.

Ce beau jeune homme qu'elle avait aimé à Séville, qu'elle avait aimé à Madrid, dont la disparition subite l'avait plongée dans la tristesse et le désespoir, et qu'elle retrouve, après trois ans d'absence, dans le brave cavalier qui l'a sauvée des mains des scélérats; cet Alphonse de Cueva, puisqu'elle peut maintenant l'appeler de son nom, elle allait le revoir.

Où est-on plus isolé, se disait Julia, qu'au milieu d'une foule ivre de plaisir, qui, vive, folle, enjouée, se presse dans les salons dorés, étincelants de fleurs et de lumière? Le tumulte d'une fête brillante, les conversations qui se croisent, la joie qui petille, l'éclat des parures, le bruit de l'orchestre, l'animation de la danse... où deux âmes qui s'aiment peuvent-elles s'épancher plus librement? Alphonse! un mot seulement qui me révèle ton amour, et tout ce que mon cœur renferme de tendresse... Demain! demain!... Oh! que je me sens heureuse! Demain!... Alphonse!... Je sens là... Oh! oui, oui... je...

Julia ferma les yeux et s'endormit, bercée par les doux rêves de son imagination. Un radieux sourire errait sur ses lèvres.

Le lendemain matin, à neuf heures, Paquitta entra chez sa maîtresse; madame Pibert était là. Julia se lève, passe un peignoir du matin et entre dans un charmant petit boudoir attenant à sa chambre à coucher, où madame Pibert attendait avec des cartons contenant des étoffes de couleurs différentes, mais toutes d'une merveilleuse beauté et du meilleur goût. D'autres cartons contenaient de superbes dentelles, des fleurs admirables de fraîcheur, des perles blanches, noires, rouges, bleues, avec lesquelles les femmes élégantes d'alors composaient de ravissantes parures.

Julia, avec ce tact exquis qu'elle apportait en toutes

choses, eut bientôt fait son choix. D'ailleurs le temps pressait. Elle recommanda donc la plus grande diligence à madame Pibert, qui partit en promettant qu'à six heures tout serait prêt, et qu'elle viendrait ellemême habiller madame la comtesse.

La journée parut un siècle à Julia. Elle allait et venait de sa chambre à coucher au salon, du salon à son boudoir, furetait partout, se mettait à son clavecin, préludait par un boléro espagnol qu'elle terminait par une barcarole vénitienne, s'étendait sur un canapé, prenait un livre et... rêvait, à quoi? à qui? Dieu seul le sait. Paquitta vint lui annoncer que le diner était servi. Elle se mit à table et ne toucha que du bout des lèvres aux mets qu'on lui servit. Puis elle se fit coiffer par sa camériste.

Six heures sonnèrent. Madame Pibert fut exacte; elle arriva que le dernier coup du timbre vibrait encore. - Voulez-vous que nous procédions? lui dit Julia. - Je suis aux ordres de madame la comtesse.

En dépit de certains sceptiques qui prétendent que l'occupation la plus importante pour une femme, celle qui absorbe tout son temps, tous ses soins, c'est la toilette, nous dirons qu'en moins de deux heures celle de Julia fut complétement terminée. Elle était, il est vrai, d'une simplicité extrême.

Une robe de lampas noir, - on n'a pas oublié que la comtesse de San-Marco portait encore le deuil de son mari, - garnie au corsage, à l'entour du col et aux manches d'un double rang de magnifiques guipures de Hollande de la mème couleur, retombait en plis larges et moelleux jusque sur le tapis, ne laissant voir que la cambrure d'un pied ravissant. Une résille, Julia affectionnait cette coiffure espagnole, - une résille de jais, dont les pièces de forme oblongue et taillées à facettes se reliaient ensemble par une toute petite perle fine, retenait ses cheveux sur le derrière de sa tête. Quelques boucles, s'échappant des mailles, se jouaient, simples et légères, sur un cou de cygne. Le collier, les bracelets, de longs pendants d'oreilles, également de jais noir constellé de perles, rendaient plus éblouissante encore l'incomparable blancheur de ses épaules et de ses bras. Ce petit semé blanc adoucissait ce qu'il y a de sévère dans une parure de deuil. Julia était irrésistiblement belle ainsi.

Il était huit heures et demie. La voiture attendait dans la cour. Julia se fit conduire chez Carlotta, qui était prête depuis une demi-heure et commençait à s'impatienter.

Quand elles arrivèrent chez la baronne d'Auberteuil, la fète était dans tout son éclat.

L'effet que produisit Julia, lorsqu'au bras de son amie qui venait de la présenter à la baronne elle parut dans les salons, ne saurait se décrire. Ce ne fut qu'un murmure sur son passage. Les hommes restaient en extase, les femmes se regardaient entre elles. Elle est ravissante, disaient ceux-ci; qui est-elle? disaient celles-là. Julia ne prenait pas garde à l'admiration

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