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plie de paroles inutiles et vulgaires. Le dialogue écrit, celui surtout que l'on destine au théâtre, tout en paraissant naturel, condition indispensable, doit donc être pressé, pressant, dégagé de toutes paroles qui ne vont pas au but, ou qui n'entraînent pas une prompte réplique. La chaleur, la finesse et le trait caractérisent encore le dialogue; la chaleur entraîne, la finesse pénètre et séduit, le trait porte coup, et souvent quelques traits heureux et saisissants, ont valu à un auteur dramatique les applaudissements et tout le succès de son œuvre. Cependant l'abus du trait peut aussi devenir un écueil.

LIVRE VII.

LETTRES.

Il serait difficile, pour ne pas dire impossible, de tracer les règles du style épistolaire. Il est et doit être varié à l'infini comme tous les sujets qu'il effleure plus ordinairement qu'il ne les approfondit. Tout ce qui a l'air prétentieux, apprêté, maniéré, ne saurait lui convenir; et cependant, il faut l'avouer, parmi les modèles de genre que l'on cite le plus, ce sont des défauts que l'on rencontre quelquefois, tant il est difficile de s'en garantir, surtout quand on écrit une lettre avec la pensée qu'elle courra le monde et qu'elle sera imprimée. La correspondance que l'on trace dans cette vue peut être piquante et pleine d'attraits lorsqu'elle s'occupe de sujets frivoles ou généraux; mais elle ne saurait qu'y perdre lorsque c'est la douleur qui s'épanche et que les larmes découlent pour ainsi dire avec l'encre sous la plume. Dans la première c'est l'esprit et le goût qui décident, dans la seconde c'est le cœur; et dans l'une comme dans l'autre le style doit toujours paraître naturellement d'accord avec la pensée..

Paris. Imprimerie de Ducessois, 55, quai des Grands-Augustins.

(Près le Pont-Neuf.)

DES

PROSATEURS FRANÇAIS.

LIVRE I.

RELIGION ET MORALE.

DIEU.

Toute existence émane de l'Être éternel, infini; et la création tout entière avec ses soleils et ses mondes, chacun desquels enferme en soi des myriades de mondes, n'est que l'auréole de ce grand Être. Source féconde des réalités, tout sort de lui, tout y rentre; et tandis qu'envoyées au dehors pour attester sa puissance, et pour célébrer sa gloire dans tous les points de l'espace et du temps, ses innombrables créatures, leur mission remplie, reviennent déposer à ses pieds la portion d'être qu'il leur départit, et que sa justice rend aussitôt à plusieurs d'entre elles, ou comme récompense, ou comme châtiment : seul immobile au milieu de ce vaste flux et reflux des existences, unique raison de son être et de tous les êtres, il est à lui-même son principe, sa fin, sa félicité. Chercher quelque chose hors de lui, c'est explorer le néant. Rien n'est produit, rien ne subsiste que par sa volonté, par une participation continuelle de son être. Ce qu'il crée, il le tire de luimême, et conserver, pour lui, c'est se communiquer encore. Il réalise extérieurement l'étendue qu'il conçoit, et voilà l'univers. Il anime, si on peut le dire, quelques-unes

de ses pensées, il leur donne la conscience d'elles-mêmes, et voilà les intelligences. Unies à leur auteur, lles vivent de sa substance en se nourrissant de sa vérité, leur aliment nécessaire. Même lorsqu'elles l'ignorent, même lorsqu'elles le nient, elles puisent encore dans son sein, comme la plante aveugle dans le sein de la terre, la séve qui les vivifie. Faibles mortels, qui naguère désespérions de la lumière, redisons-le donc avec une joie pleine de confiance et d'amour : il existe un Dieu. Les ténèbres fuient devant ce grand nom; le voile qui couvrait notre esprit s'abaisse, et l'homme, à qui toute vérité et son être même échappaient sans qu'il pût les retenir, renaît délicieusement à l'aspect de celui qui est, et par qui tout est. (L'ABBÉ DE LA Mennais.)

DIEU CONSIDÉRÉ COMME CRÉATEUR.

Dieu dit: Que la lumière soit, et la lumière fut. Le roi dit qu'on marche, et l'armée marche; qu'on fasse telle évolution, et elle se fait toute une armée se remue au seul commandement d'un prince, c'est-à-dire à un seul petit mouvement de ses lèvres. C'est, parmi les choses humaines, l'image la plus excellente de la puissance de Dieu; mais, au fond, que cette image est défectueuse! Dieu n'a point de lèvres à remuer; Dieu ne frappe point l'air avec une langue pour en tirer quelque son; Dieu n'a qu'à vouloir en lui-même, et tout ce qu'il veut éternellement s'accomplit comme il l'a voulu, et au temps qu'il l'a marqué.

Il dit donc : Que la lumière soit, et elle fut; qu'il y ait un firmament, et il y en cut un; que les eaux s'assemblent, et elles furent assemblées; qu'il s'allume deux grands luminaires, et ils s'allumèrent ; qu'il sorte des animaux, et il en sortit; et ainsi du reste. Il a dit, et les choses ont été faites; il a commandé, et elles ont été créées. Rien ne résiste à sa voix, et l'ombre ne suit pas plus vite le corps, que tout suit au commandement du ToutPuissant. Mais les corps jettent leur ombre nécessairement; le soleil envoie de même ses rayons; les eaux bouillonnent d'une source comme d'elles-mêmes, sans que la

source les puisse retenir; la chaleur, pour ainsi parler, force le feu à la produire; car tout cela est soumis à une loi et à une cause qui les domine. Mais vous, ô loi supreme, ô cause des causes! supérieur à vos ouvrages, maître de votre action, vous n'agissez hors de vous qu'autant qu'il vous plaît. Tout est également rien devant vos yeux vous ne devez rien à personne, vous n'avez besoin de personne; vous ne produisez nécessairement que ce qui vous est égal; vous produisez tout le reste par pure bonté, par un commandement libre, non de cette liberté changeante et irrésolue, qui est le partage de vos créatures, mais par une éternelle supériorité que vous exercez sur les ouvrages qui ne vous font ni plus grand ni plus heureux, et dont aucun, ni tous ensemble, n'ont droit à l'être que vous leur donnez.

{BOSSUET.)

DE LA PROVIDENCE.

Infortunés mortels, cherchez votre bonheur dans la vertu, et vous n'aurez point à vous plaindre de la nature. Méprisez ce vain savoir et ces préjugés qui ont corrompu la terre, et que chaque siècle renverse tour à tour. Aimez les lois éternelles. Vos destinées ne sont point abandonnées au hasard, ni à des génies malfaisants: rappelez-vous ces temps dont le souvenir est encore nouveau chez toutes les nations. Les animaux trouvaient partout à vivre, l'homme seul n'avait ni aliments, ni habit, ni instinct. La sagesse divine l'abandonna à lui-même pour le ramener à elle; elle répandit ses biens sur toute la terre, afin que pour les recueillir il en parcourût les différentes régions, qu'il développât sa raison par l'inspection de ses ouvrages, et qu'il s'enflammât de son amour par l'inspection de ses bienfaits. Elle mit entre elle et lui les plaisirs innocents, les découvertes ravissantes, les joies pures et les espérances sans fin, pour le conduire à elle pas à pas par la route de l'intelligence et du bonheur. Elle plaça sur le bord de son chemin la crainte, l'ennui, le remords, la douleur et tous les maux de la vie, comme des bornes destinées à l'empêcher d'aller au-delà et de s'égarer. Ainsi une mère sème

des fruits sur la terre pour apprendre à marcher à son enfant; elle s'en tient éloignée, elle lui sourit, elle l'appelle, elle lui tend les bras; mais s'il tombe, elle vole à son secours, elle essuie ses larmes et elle le console. Ainsi la Providence vient au secours de l'homme par mille moyens extraordinaires qu'elle emploie pour subvenir à ses besoins. Que serait-il devenu, dans les premiers temps, si elle l'avait abandonné à sa raison encore dépourvue d'expérience? Où trouva-t-il le blé dont tant de peuples tirent leur nourriture aujourd'hui, et que la terre, qui produit toutes sortes de plantes sans être cultivée, ne montre nulle part? Qui lui a appris l'agriculture, cet art si simple que l'homme le plus stupide en est capable, et si sublime que les animaux les plus intelligents ne peuvent l'exercer? Il n'est presque point d'animal qui ne soutienne sa vie par les végétaux, qui n'ait l'expérience journalière de leur reproduction, et qui n'emploie pour chercher ceux qui lui conviennent beaucoup plus de combinaisons qu'il n'en faut pour les resemer. Mais de quoi l'homme lui-même a-t-il vécu avant qu'une Isis ou une Cérès lui eût révélé ce bienfait des cieux? Qui lui montra, dans l'origine du monde, les premiers fruits des vergers dispersés dans les forêts et les racines alimentaires cachées dans le sein de la terre? N'a-t-il pas dû mille fois mourir de faim, avant d'en avoir recueilli assez pour le nourrir, ou du poison, avant d'en savoir faire le choix, ou de fatigue et d'inquiétude, avant d'en avoir formé autour de son habitation des tapis et des berceaux? Cet art, image de la création, n'était réservé qu'à l'être qui portait l'empreinte de la Divinité. Si la Providence l'eût abandonné à lui-même, en sortant de ses mains, que serait-il devenu? Aurait-il dit aux campagnes: «Forêts inconnues, montrez-moi les fruits qui sont mon partage; terre, entr'ouvrez-vous, et découvrez-moi dans vos racines mes aliments; plantes d'où dépend ma vie, ma nifestez-vous à moi, et suppléez à l'instinct que m'a refusé la nature? » Aurait-il eu recours, dans sa détresse, à la pitié des bêtes, et dit à la vache, lorsqu'il mourait de faim: : « Prends-moi au nombre de tes enfants, et partage avec moi une de tes mamelles superflues? » Quand le souffle de l'aquilon fit frissonner sa peau, la chèvrę sau

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