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apportant à leur maître la semence de vie... oh! avec quel éclat ne doit-elle pas maintenant et germer et fleurir!

Mais combien les autres fleurs envièrent le sort de celleci ! elles qui demeuraient encore dans ces lieux, à la merci des saisons changeantes! Comment des fleurs pourraientelles ne pas désirer les beaux jours?

Tout auprès de la plante arrachée il s'en trouvait une autre si remarquable qu'on aurait pu croire qu'elle n'appartenait point à nos climats ; le temps de sa floraison n'était pas encore venu; mais, malgré ses brillantes promesses, à peine semblait-elle tenir à la terre.

Les nombreux boutons, trop précoces, brillaient déjà d'un éclat céleste; déjà s'en exhalait un parfum suave qu'enviaient les fleurs d'alentour : quelques-unes même pensaient qu'une plante terrestre n'était pas faite pour prendre un tel essor... En effet, tandis que ses fleurs prématurées s’efforçaient de s'épanouir, ses frêles racines se détachaient du sol, et sa tige délicate s'affaissait sous le poids de sa tête fleurie.

Alors le Créateur, jetant sur elle un regard d'amour, ordonne à l'un de ses messagers de cueillir les riches et pesants boutons destinés à un plus beau printemps.

Cette fois encore, le bon ange fut suivi de trois de ses frères, l'Amour fraternel, l'Amour paternel, et le plus doux de tous les anges, l'Amour maternel.

Tous trois environnent la fleur bien-aimée, et, fixant sur elle leurs tristes et tendres regards, ils ne les détournèrent que lorsque sa dernière douleur eut fait place au sourire de la béatitude...

L'ange avait rempli sa mission divine; et comme il achevait de courber vers la terre sa tige inanimée, ses trois compagnons, vaincus par la douleur, se penchèrent sur ces restes chéris, qu'ils auraient voulu suivre dans la froide terre prête à les recueillir...

Déjà l'ange s'élevait d'un vol rapide avec son précieux dépôt; il leur fit signe, et ils se relevèrent consolés, car ils savaient que ce n'était pas cette tige rendue à la poussière qui était l'objet de leur amour, mais bien l'essence précieuse qui les précédait dans les régions où règne un perpétuel matin,

Les compagnes de la fleur choisie voient encore cette fois avec regret l'ange s'éloigner d'elles: exposées aux rigueurs de l'hiver, elles soupirent après le printemps, le printemps éternel!...

(Mme AMABLE TASTU.)

LA JALOUSIE.

Nous fumes conduits par un chemin de fleurs au pied d'un rocher affreux; nous vîmes un antre obscur ; nous y entrâmes, croyant que c'était la demeure de quelque mortel. O Dieu! qui aurait pensé que ce lieu eût été si funeste! à peine y eus-je mis le pied que tout mon corps frémit; mes cheveux se dressèrent sur ma tête ; une main invisible m'entraînait vers ce fatal séjour, à mesure que mon cœur s'agitait, il cherchait à s'agiter encore. Ami, m'écriai-je, entrons plus avant, dussions-nous augmenter nos peines. J'avance dans ce lieu où jamais le soleil n'entra et que les vents n'agitèrent jamais; j'y vis la Jalousie; son aspect était plus sombre que terrible; la Pâleur, la Tristesse, le Silence l'entouraient et les Ennuis volaient autour d'elle. Elle souffla sur nous, elle nous mit la main sur le cœur, elle nous frappa sur la tête, et nous ne vimes, nous n'imaginâmes plus que des monstres. Entrez plus avant, nous ditelle, malheureux mortels; allez trouver une déesse plus puissante que moi. Nous vimes une affreuse divinité à la lueur des langues enflammées des serpents qui sifflaient sur sa tête: c'était la Fureur. Elle détacha un de ses serpents et le jeta sur moi; je voulus le prendre : déjà, sans que je l'eusse senti, il s'était glissé dans mon cœur. Je restai un moment comme stupide; mais dès que le poison se fut répandu dans mes veines, je crus être au milieu des enfers; mon ame fut embrasée, et dans sa violence, tout mon corps la contenait à peine; j'étais si agité qu'il me semblait que Je tournais sous le fouet des furies.

(MONTESQUIEU.)

LE DÉMON DE LA JALOUSIE.

Par-delà des marais croupissants et des lacs de soufre et de bitume, dans les vastes régions de l'enfer, s'ouvre un cachot, séjour du plus infortuné des habitants de l'abîme. C'est là que le démon de la jalousie fait entendre ses éternels hurlements; couché parmi des vipères et d'affreux reptiles, jamais le sommeil n'approcha de ses yeux. L'inquiétude, le soupçon, la vengeance, le désespoir et une sorte d'amour féroce agitent ses regards; des chimères occupent et tourmentent son esprit. Il tressaille; il croit entendre des bruits mystérieux; il croit poursuivre de vains fantômes; pour éteindre sa soif brûlante, il boit dans une coupe d'airain un poison composé de ses sueurs et de ses larmes; ses lèvres tremblantes respirent l'homicide; au défaut de la victime qu'il cherche sans cesse, il se frappe lui-même d'un poignard, oubliant qu'il est immortel.

(CHATEAUBRIAND.)

LA NUIT DU JOUR DE L'AN.

LES DEUX CHEMINS DE LA VIE.

Pendant la nuit du premier jour de l'année 1797, un homme de soixante ans était à la fenêtre; il élevait ses regards désolés vers la voûte argentée du ciel où nageaient et brillaient les étoiles, comme les blanches fleurs du nénuphar sur une nappe d'eau tranquille; il les rabaissait ensuite sur la terre, où personne n'était aussi dépourvu que lui de joie et de repos, car sa tombe n'était pas loin de lui, il avait déjà descendu soixante des marches qui devaient l'y conduire, et il n'y emportait du beau temps de sa jeunesse que des fautes et des remords. Sa santé était détruite, son ame vide et abattue, son cœur navré de repentir, et sa vieillesse pleine de chagrin. Les jours de sa jeunesse reparaissaient devant lui, et lui rappelaient ce moment solennel où son père l'avait placé à l'entrée de ces deux routes dont l'une conduit dans un pays tranquille et heureux, couvert de moissons fertiles, éclairé par un soleil toujours pur et

retentissant d'une douce harmonie, tandis que l'autre mène dans un séjour de ténèbres, dans un antre sans issue, peuplé de serpents et rempli de poisons.

Hélas! les serpents s'attachaient à son cœur, les poisons souillaient ses lèvres, et il savait maintenant où il était.

Il reporta ses regards vers le ciel, et s'écria avec une angoisse inexprimable: « O jeunesse, reviens! ô mon père! place-moi de nouveau à l'entrée de la vie, afin que je choisisse autrement. »>

Mais sa jeunesse et son père n'étaient plus. Il vit des feux follets s'élever au-dessus des marécages et disparaître; et il se dit : « Voilà ce que sont mes jours de folie. » Il vit une étoile tombante parcourir le ciel, vaciller et s'évanouir, « C'est là ce que je suis », s'écria-t-il, et les pointes aiguës du repentir s'enfoncèrent encore plus avant dans son cœur.

Alors il se retraça dans sa pensée tous les hommes de son âge qui avaien! été jeunes avec lui; qui, maintenant répandus sur la teité, s'y conduisaient en bons pères de famille, en amis de la verre, de la vertu, et qui passaient doucement, et sans verser de larmes, cette première nuit de l'année. Le son de la cloche qui célèbre ce nouveau pas du temps vint, du haut de la tour de l'église, retentir à son oreille comme un chant pieux. Ce son lui rappela ses parents, les vœux qu'ils formaient pour lui dans ce jour solennel, les leçons qu'ils lui répétaient vœux que leur malheureux fils n'avait jamais accomplis, leçons dont il n'avait jamais profité. Accablé de douleur et de honte, il ne put regarder plus long temps ce ciel où demeurait son père; il rabaissa sur la terre ses yeux abattus, des larmes amères coulèrent de ses yeux et tombèrent sur la neige qui couvrait le sol; il soupira, et ne voyant rien qui le pût consoler: « Ah! reviens, jeunesse, s'écria-t-il encore, reviens! >>

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Et sa jeunesse revint: car tout cela n'était qu'un rêve qui avait agité pour lui la première nuit de l'année; il était jeune encore; ses fautes seules étaient réelles. Il remercia Dieu de ce que sa jeunesse n'était point passée, et de ce qu'il pouvait quitter la route du vice pour reprendre celle de la vertu, pour rentrer dans le pays tranquille, couvert d'abondantes moissons.

Revenez avec lui, mes jeunes lecteurs, si, comme lui, Vous vous êtes égarés: ce songe terrible sera désormais votre juge, si, un jour, accablés de douleur, vous êtes forcés de vous écrier: « Reviens, belle jeunesse! » la belle jeunesse ne reviendra point.

(Mme GUIZOT (PAULINE DE MEULAN). Traduction de l'allemand, de JEAN PAUL.

L'ACADÉMIE SILENCIEUSE.

Il y avait à Amadan une célèbre académie dont le premier statut était conçu en ces termes :

Les académiciens penseront beaucoup, écriront peu, et parleront le moins possible.

On l'appelait l'Académie silencieuse, et il n'était point en Perse de vrai savant qui n'eût l'ambition d'y être admis.

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Le docteur Zeb, auteur d'un petit livre excellent, intitulé le Baillon, apprit, au fond de sa province, qu'il vaquait une place dans l'académie silencieuse. Il part aussitôt arrive à Amadan, et, se présentant à la porte de la salle où les académiciens sont assemblés, il prie l'huissier de remettre au président ce billet: Le docteur Zeb demande humblement la place vacante. L'huissier s'acquitta sur-lechamp de la commission; mais le docteur et son billet arrivaient trop tard, la place était déjà remplie.

L'académie fut désolée de ce contre-temps; elle avait reçu un peu malgré elle, un bel esprit de la cour, dont l'éloquence vive et légère faisait l'admiration de toutes les ruelles, et elle se voyait réduite à refuser le docteur Zeb, le fléau des bavards, une tête si bien faite, si bien meubléc! Le président, chargé d'annoncer au docteur cette nouvelle désagréable, ne pouvait presque s'y résoudre, et ne savait comment s'y prendre. Après avoir un peu rêvé, il fit remplir d'eau une grande coupe, mais si bien remplir, qu'une goutte de plus eût fait déborder la liqueur; puis il fit signe qu'on introduisît le candidat. Il parut avec cet air simple et modeste qui annonce presque toujours le vrai mé rite. Le président se leva, et, sans proférer une parole,

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