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différentes connaissances humaines, et qui seul peut les porter au plus haut degré d'utilité, de dignité et de perfection.

L'esprit philosophique diffère essentiellement de la philosophie proprement dite; car la philosophie proprement dite est limitée à un ordre d'objets déterminés. L'esprit philosophique est applicable à tout: il n'est point une science, il est le résultat des sciences comparées. C'est une sorte d'esprit universel, non pour les connaissances acquises, mais pour la manière de les acquérir : il ne se rapporte point à telle ou telle autre vérité particulière, mais en tout il ne se propose que la vérité.

L'esprit philosophique est au-dessus de la philosophie mème, comme l'esprit géométrique est au-dessus de la géométrie, comme la connaissance de l'esprit des lois est supérieure à la connaissance même des lois.

(J.-E.-M. PORTALIS.)

ORIGINE DE L'ESPRIT PHILOSOPHIQUE.

Si l'homme, entraîné vers la recherche des premiers principes de la sublimité de son être, a créé, comme par instinct, les sciences philosophiques, les hommes de génie ont porté dans l'étude de la philosophie ce regard systé matique et transcendant qui ne laisse rien échapper de ce qui peut être aperçu et découvert, qui met chaque chose à sa place et sous son véritable jour. L'alliance de cet esprit d'ordre et de lumière, propre aux grands hommes, et de l'esprit d'analyse et de méthode, propre aux sciences abstraites et rationnelles, a produit par degrés un esprit particulier, qui transporte avec hardiesse les procédés d'une science dans l'autre, qui soumet tous les objets à la critique de la raison, qui prétend éprouver toutes les vérités, donner des lois à l'évidence, rectifier tous les esprits selon la science, et qui n'est jamais plus audacieux que lorsqu'il est asservi aux règles qu'il s'est prescrites. Il est plus aisé de suivre la marche d'un tel esprit que de la définir. On peut l'appeler esprit philosophique, puisqu'il est le produit nécessaire de l'étude et du maniement des

sciences philosophiques et la cause de la prépondérance qu'elles acquièrent. Mais on conçoit qu'il est plus ou moins lumineux selon les temps, plus ou moins utile selon qu'il est plus impartial et moins exclusivement assujetti aux méthodes de la science qui prévaut, ou aux préjugés de l'école qui domine. La fin du dix-septième siècle et la première partie du dix-huitième nous offrent la plus brillante époque de l'esprit philosophique: il se répand parmi les moins philosophes, comme le luxe parmi les plus pauvres; il entre dans la composition de toutes les opinions individuelles, parce que, dans les siècles éclairés, il est, pour ainsi dire, l'étoffe de l'esprit général des nations; mais il n'éclaire sans nuage que lorsqu'il atteint un juste milieu en deçå il n'est que ténèbres; au-delà il n'est qu'éblouissements; aussi ce nom ne lui est-il donné que parce qu'il se renferme dans ses salutaires limites. C'est ce qui résulté de cette belle définition, où il est présenté comme le coup d'œil d'une raison exercée qui devient pour l'entendement ce que la conscience est pour le cœur.

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(J.-M.-E. PORTALIS.)

OU DOIT S'ARRÊTER L'ESPRIT PHILOSOPHIQUE

C'est dans la religion surtout que cette parole de saint Paul, non plus sapere quàm oportet, doit servir de frein à la raison, et tracer autour d'elle un cercle étroit d'où lê philosophe ne s'échappe jamais. Il est vrai que la sagesse incarnée n'est pas venue défendre à l'homme de penser, et qu'elle n'ordonne point à ses disciples de s'aveugler eux-mêmes. Aussi réprouvons-nous ce zèle amer et ignorant, qui crie d'abord à l'impiété, et qui se hâte toujours d'appeler la foudre et l'anathème, quand un esprit éclairé, séparant les opinions humaines des vérités sacrées de la religion, refuse de se prosterner devant les fantômes sortis d'une imagination faible et timide à l'excès, qui veut tout adorer, et, comme dit un ancien, mettre Dieu dans les moindres bagatelles. Croire tout sans discernement, c'est donc stupidité, je l'avoue; mais un autre excès plus dan

gereux encore, c'est l'audace effrénée de là raison, c'est cette curiosité inquiète et hardie, qui n'attend pas, comme la crédulité stupide, que l'erreur vienne la saisir, mais qui s'empresse d'aller au-devant des périls, qui se plaît à rassembler des nuages, à courir sur le bord des précipices, à se jeter dans les filets que la justice divine a tendus, pour ainsi dire, de toutes parts, aux esprits téméraires. La vient ordinairement se perdre l'esprit philosophique.

Libre et hardi dans les choses naturelles, et pensant toujours d'après lui-même, flatté depuis long-temps par le plaisir délicat de goûter des vérités claires et lumineuses qu'il a vues sortir, comme autant de rayons, de sa propre substance, l'esprit philosophique, ce roi des sciences humaines, se révolte aisément contre cette autorité qui veut captiver toute intelligence sous le joug de la foi, et qui ordonne aux philosophes mêmes, à bien des égards, de redevenir enfants; il voudrait porter dans un nouvel ordre d'objets sa manière de penser ordinaire; il voudrait encore ici marcher de principe en principe, et former de toute la religion une chaîne d'idées générales et précises que l'on pût saisir d'un coup d'œil; il voudrait trouver en réfléchissant, en creusant lui-même, en interrogeant la nature, des vérités que la raison në saurait révéler, et que Dieu a cachées dans les abîmes de sa sagesse; il voudrait même ôter, pour ainsi dire, aux événements leur propre nature, et que des choses dont l'histoire seule et la tradition peuvent être les garants, fussent revêtues d'une espèce d'évidence dont elles ne sont point susceptibles, de cette évidence toute rayonnante de lumière qui brille à l'aspect d'une idée, pénètre tout d'un coup l'esprit et l'enlève rapidement. Quelle absurdité! quel délire! mais c'est une raison ivre d'orgueil qui s'évanouit dans ses pensées, et que Dieu livre à ses illusions. Craignons une intempérance si funeste, et retenons dans une exacte sobriété cette raison qui ne connaît plus de retour quand une fois elle a franchi les bornes.

Quelles sont donc, en matière de religion, les bornes où doit se renfermer l'esprit philosophique? Il est aisé de le dire, la nature elle-même l'avertit à tout moment de sa faiblesse, et lui marque en ce genre les étroites limites de son

intelligence. Ne sent-il pas à chaque instant, quand il veut avancer trop avant, ses yeux s'obscurcir et son flambeau s'éteindre? C'est là qu'il faut s'arrêter. La foi lui laisse tout ce qu'il peut comprendre : elle ne lui ôte que les mystères et les objets impénétrables. Ce partage doit-il irriter la raison? Les chaînes qu'on lui donne ici sont aisées à porter, et ne doivent paraître trop pesantes qu'aux esprits vains et légers. Je dirai donc aux philosophes : Ne vous agitez pas contre ces mystères que la raison ne saurait percer; attachez-vous à l'examen de ces vérités qui se laissent en quelque sorte toucher et manier, et qui vous répondent de toutes les autres, ces vérités dont la religion s'est comme enveloppée tout entière, afin de frapper également les esprits grossiers et subtils. On livre ces faits à votre curiosité, voilà les fondements de la religion. Creusez donc autour de ces fondements, essayez de les ébranler, descendez avec le flambeau de la philosophie jusqu'à cette pierre antique, tant de fois rejetée par les incrédules, et qui les a tous écrasés; mais lorsque, arrivés à une certaine profondeur, vous aurez trouvé la main du Tout-Puissant qui soutient, depuis l'origine du monde, ce grand et majestueux édifice, toujours affermi par les orages mêmes et le torrent des années, arrêtez-vous enfin, et ne creusez pas jusqu'aux enfers. La philosophie ne saurait vous mener plus loin sans vous égarer; vous entrez dans les abîmes de l'infini; elle doit ici se voiler les yeux comme le peuple, adorer sans voir, et remettre l'homme avec confiance entre les mains de la foi. La religion ressemble à cette nuée miraculeuse qui servait de guide aux enfans d'Israël dans le désert le jour est d'un côté, la nuit de l'autre ; si tout était ténèbres, la raison, qui ne verrait rien, s'enfuirait avec horreur loin de cet affreux objet. Mais on vous donne assez de lumières pour satisfaire un œil qui n'est pas curieux à l'excès; laissez donc à Dieu cette nuit profonde où il lui plaît de se cacher avec sa foudre et ses mystères. Mais vous direz peut-être : « Je veux entrer avec lui dans la nue, je veux le suivre dans les profondeurs où il se cache; je veux déchirer ce voile qui me fatigue les yeux, et regarder de plus près ces objets mystérieux qu'on écarte avec tant de soin. » C'est içi

que votre sagesse est convaincue de folie, et qu'à force d'être philosophe vous cessez d'être raisonnable. Téméraire philosophie! pourquoi vouloir atteindre à des objets plus élevés au-dessus de toi que le ciel ne l'est au-dessus de la terre? Pourquoi ce chagrin superbe de ne pouvoir comprendre l'infini? Tu voudrais forcer l'être qui renferme tous les êtres à se faire assez petit pour se laisser embrasser tout entier par cette pensée, trop étroite pour embrasser un atome. La simplicité crédule du vulgaire ignorant fut-elle jamais aussi déraisonnable que cette orgueilleuse raison qui veut s'élever contre la science de Dieu ? tel est cependant le génie des sages de notre siècle, (Le Père GUENARD.)

L'ORDRE EST LA PREMIÈRE LOI DU CIEL.

Choisis parmi les objets qui t'environnent, ou, si tu l'aimes mieux, prends au hasard et examine : l'oiseau qui vole, le poisson qui nage, l'araignée qui file, l'abeille qui a sa police et ses lois, l'insecte industrieux qui pourvoit avec tant d'art à ses besoins et à ceux de ses petits qui vont éclore, la chenille rampante qui se métamorphose dans le plus léger papillon; la plante qui végète, l'arbuste qui croît à l'aide des sucs qui le nourrissent, la semence que la terre reçoit dans son sein et qu'elle te rend au centuple; le pepin qui devient pour ton usage arbre, fleurs et fruits; l'édifice mobile de ton propre corps, dont Galien n'a pu exposer la structure sans s'écrier, dans l'enthousiasme dont il était saisi, qu'il avait chanté le plus bel hymne en l'honneur de la divinité; chaque partie de la nature, chaque être, examine-le selon les lois les plus sévères; considère bien sa construction et sa fin, partout tu trouveras de l'ordre, et tu en seras transporté. Tu verras que, dans la moindre fleur, la plus petite feuille, la plus légère plume, l'auteur de toutes choses n'a pas négligé le juste rapport des parties entre elles; tu verras que l'art est toujours grossier auprès de la nature; que plus on soumet l'un à la critique, plus il paraît imparfait; et plus on étudie les ouvrages de l'autre, plus on y découvre

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