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bien autant, si vous vouliez lire quelques livres français, que vous prissiez la traduction d'Hérodote, qui est fort divertissant, et qui vous apprendrait la plus ancienne histoire qui soit parmi les hommes, après l'Écriture sainte. Il me semble qu'à votre âge il ne faut pas voltiger de lecture en lecture; ce qui ne servirait qu'à vous dissiper l'esprit et à vous embarrasser la mémoire. Nous verrons cela plus à fond quand je serai de retour à Paris. Adieu: mes baisemains à vos sœurs.

LETTRE DE RACINE

A SON FILS.

7 juillet 1698.

Je puis vous assurer que M. de Torcy ne laissera échapper aucune occasion de vous rendre de bons offices. Comme il estime extrêmement M. l'ambassadeur, il ajoutera une foi entière aux bons témoignages qu'il lui rendra de vous. Je lui ai lu votre dernière lettre, aussi bien qu'à M. le maréchal de Noailles. Ils ont été charmés et effrayés de la description que vous y faites du grand travail et de l'application continuelle de M. l'ambassadeur. Je lisais, ou je relisais ces jours passés pour la centième fois les épîtres de Cicéron à ses amis. Je voudrais qu'à vos heures perdues vous en puissez lire quelques-unes avec M. l'ambassadeur: je suis assuré qu'elles seraient extrêmement de son goût, d'autant plus que, sans le flatter, je ne vois personne qui ait mieux attrapé que lui ce genre d'écrire des lettres, également propre à parler sérieusement et solidement des grandes affaires, et à badiner agréablement sur les petites choses. Croyez que, dans ce dernier genre, Voiture est beaucoup au-dessous de l'un et de l'autre. Lisez ensemble les épitres ad Trebatium, ad Marium, ad Papyrium Pætum et d'autres que je vous marquerai, quand vous voudrez. Lisez même celle de Cælius à Cicéron: vous serez étonné de voir un homme aussi vif et aussi élégant que Cicéron même, mais il faudrait pour cela que vous eussiez pu vous familiariser ces lettres par la connaissance de l'histoire de ce temps-là, à quoi les vies de Plutarque vous pour

raient aider beaucoup. Cette lecture est excellente pour un homme qui veut écrire des lettres, soit d'affaires, soit de choses moins sérieuses.

LETTRE DE RACINE

A SON FILS.

Paris, 16 mai 1698.

Votre relation du voyage que vous avez fait à Amsterdam m'a fait un très-grand plaisir. Je n'ai pu m'empêcher de la lire à M. de Valincourt et à M. Despréaux. Je me gardai bien, en la lisant, de leur lire l'étrange mot de tentatif, que vous avez appris de quelque Hollandais, et qui les aurait beaucoup étonnés : du reste je pouvais tout lire en sûreté, et il n'y avait rien qui ne fût selon la langue et selon la raison. M. Despréaux assure fort qu'il n'aura point de regret au port que lui pourront coûter vos lettres; mais je crois que vous ferez aussi bien d'attendre quelque bonne commodité pour lui écrire. Votre mère est fort touchée du souvenir que vous avez d'elle. Elle serait assez aise d'avoir votre beurre ; mais elle craint également et de vous donner de l'embarras et d'être embarrassée pour recevoir votre présent, qui se gâterait peut-être en chemin.

M. de Rost m'a appris que la Champmeslé était à l'extrémité, de quoi il paraît très-affligé; mais ce qui est le plus affligeant, c'est de quoi il ne se soucie guère apparemment, je veux dire l'obstination avec laquelle cette pauvre malheureuse refuse de renoncer à la comédie, ayant déclaré, à ce qu'on m'a dit, qu'elle trouvait très-glorieux pour elle de mourir comédienne. Il faut espérer que quand elle verra la mort de plus près elle changera de langage, comme font d'ordinaire la plupart de ces gens qui font tant les fiers, quand ils se portent bien. Ce fut madame de Caylus qui m'apprit hier cette particularité, dont elle était effrayée, et qu'elle a su, comme je crois, de M. le curé de Saint-Sulpice.

Un mousquetaire, fils d'un de nos camarades, a eu une affaire assez bizarre avec M. de Villacerf qui, le prenant pour un de ses meilleurs amis, lui donna en badinant un coup de pied dans le derrière; puis, s'étant aperçu de son er

reur, lui fit beaucoup d'excuses; mais le mousquetaire, sans se payer de ses raisons, prit le temps qu'il avait le dos tourné, et lui donna aussi un coup de pied de toute sa force; après quoi il le pria de l'excuser, disant qu'il l'avait pris aussi pour un de ses amis. L'action, qui s'est passée sur le petit degré de Versailles, par où le roi revient de la chasse, a paru fort étrange. On a fait mettre le mousquetaire en prison : il est parent de Mme Quentin, et cette parenté ne lui a pas été infructueuse en cette occasion. M. de Boufflers accommoda promptement les deux partis. Je fais toujours résolution de vous écrire de longues lettres; mais je m'y prends toujours trop tard: il faut que je finisse malgré moi. Je me porte bien et toute la famille. Adieu.

LETTRE DE RACINE

A SON FILS.

Paris, 24 octobre 1698.

Enfin, mon cher fils, je suis, Dieu merci, absolument sans fièvre. J'espère que je n'ai plus qu'une médecine à essuyer. J'ai pourtant la tête encore bien faible; la saison n'est pas fort propre pour les convalescents, et ils ont d'ordinaire beaucoup de peine en ces temps-ci à se rétablir ma maladie a été considérable; mais vous pouvez compter néanmoins que je ne vous ai point trompé, et que lorsque je vous ai mandé qu'elle était sans péril, c'est qu'on me l'assurait en effet. Je suis fort aise que vous ne soyez point venu; votre voyage aurait été fort inutile, vous aurait coûté beaucoup, et vous aurait détourné du train où vous êtes de vous occuper sous les yeux de M. l'ambassadeur. Je souhaiterais de bon cœur que sa santé fût aussitôt rétablie que la mienne. J'espère que nous pourrons nous trouver, lui et moi, à Saint-Amand le printemps prochain : car on a en tête que ces eaux-là me sont très-bonnes aussi bien qu'à lui.

La profession de votre sœur a été retardée, de quoi elle a été fort affligée; elle a mieux aimé pourtant retarder, et que je fusse en état d'y assister. Je lui ai mandé que ce serait

pour la première semaine du mois de novembre. Je serai alors si près de Fontainebleau, que d'autres que moi seraient peut-être tentés d'y aller; mais j'assisterai seulement à la profession de votre sœur, et je reviendrai le lendemain coucher à Paris.

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Votre mère est en bonne santé, Dieu merci, quoiqu'elle ait pris bien de la peine après moi pendant ma maladie. Il n'y eut jamais de garde si vigilante, ni si adroite, avec cette différence que tout ce qu'elle faisait partait du fond du cœur, et faisait toute ma consolation. C'en est une fort grande pour moi que vous connaissiez tout le mérite d'une si bonne mère et je suis persuadé que, quand je n'y serai plus, elle retrouvera en vous toute l'amitié et toute la reconnaissance qu'elle trouve maintenant en moi. M. de Valincourt et M. l'abbé Renaudot m'ont tenu la meilleure compagnie du monde je vous les nomme entre autres parce qu'ils n'ont presque bougé de ma chambre. M. Despréaux ne m'a point abandonné dans les grands périls; mais quand l'occasion a été moins vive, il a été bien vite retrouver son cher Auteuil; et j'ai trouvé cela très-raisonnable, n'étant pas juste qu'il perdît la belle saison autour d'un convalescent qui n'avait pas même la voix assez forte pour l'entretenir long-temps; du reste, il n'y a pas un meilleur ami ni un meilleur homme au monde. Faites mille compliments pour moi à M. l'ambassadeur et à M. de Bonnac. Je leur suis bien obligé de l'intérêt qu'ils ont pris à ma maladie. Je suis aussi fort touché de toutes les inquiétudes qu'elle vous a causées; et cela ne contribue pas peu à augmenter la tendresse que j'ai eue pour vous toute ma vie. Je vous manderai une autre fois des nouvelles

MADAME DE SÉVIGNÉ

AU COMTE DE BUSSY.

Paris, 3 avril 1681.

J'apprends, mon cher cousin, que ma nièce ne se porte pas trop bien. C'est qu'on ne peut pas être heureux en ce monde. Ce sont des compensations de la Providence, afin

que tout soit égal, ou qu'au moins les plus heureux puissent comprendre par un peu de chagrin et de douleur ce qu'en souffrent les autres qui en sont accablés. Le Père Bourdaloue nous fit l'autre jour un sermon contre la prudence humaine, qui fit bien voir combien elle est soumise à l'ordre de la Providence, et qu'il n'y a que celle du salut, que Dieu nous donne lui-même, qui soit estimable. Cela console, et fait qu'on se soumet plus doucement à sa mauvaise fortune. La vie est courte, c'est bientôt fait : le fleuve qui nous entraîne est si rapide, qu'à peine pouvons-nous paraître. Voilà des moralités de la semaine sainte...

MADAME DE SÉVIGNÉ

AU COMTE DE BUSSY.

Paris, 13 octobre 1677.

Il y a quatre jours que je suis revenue de Vichy. J'y portai un souvenir bien tendre de votre amitié, de votre bonne et agréable réception, de la beauté de Chaseu, de votre conversation, du mérite de ma nièce de Coligny que j'aime et qui me plaît. Parmi tant de bonnes choses, j'avais un petit regret de ne vous avoir pas demandé à voir quelque chose de vos mémoires, pour lequels j'ai un goût extraordinaire. Je ne comprends pas comment je ne m'en avisai point. Je suis fort aise que, de votre côté, vous m'ayez trouvé un peu à dire : vous vous étiez donc réchauffé pour moi en me voyant. Cela fait bien de l'honneur aux gens quand l'amitié redouble par la présence. Pour moi, je crois que nous nous aimons encore plus que nous ne pensons. Cette Puisieux était bien épineuse, Dieu veuille avoir son ame. Il fallait, comme vous dites, charrier bien droit avec elle. Quand elle fut prête à mourir l'année pas sée, je disais, en voyant sa triste convalescence et sa décrépitude: Mon Dieu! elle mourra deux fois bien près l'une de l'autre. Ne disais-je pas vrai? Un jour Patrice étant revenu d'une extrême maladie à quatre-vingts ans, et ses amis s'en réjouissant avec lui, et le conjurant de se lever: « Hélas, messieurs. leur dit-il, ce n'est pas la peine de se

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