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dans ce temps-ci et vis-à-vis d'un grand nombre de lecteurs: il est amusant. Malgré l'indignation que soulèvent des citations affreusement sacriléges, malgré le religieux respect qui saisit toujours un chrétien dès qu'on prononce devant lui le nom très-sacré de JÉSUS, on ne peut s'empêcher, en lisant votre travail, de rire des spirituelles et nombreuses saillies avec lesquelles vous fustigez, comme il le mérite, le petit Voltaire du Collége de France.

Je souhaite à votre charmant et excellent petit livre une immense diffusion, surtout dans les rangs de cette jeunesse à qui s'adresse de préférence le roman antiévangélique de M. Renan ; et je demande à Dieu de vous inspirer aussi bien lorsque viendra le moment de réfuter les autres volumes que l'on nous promet encore sur les origines du christianisme.

Agréez, cher Monsieur, etc.

L.-G. DE SEGUR,

Prélat de la Maison du Pape,
Chanoine de Saint-Denis.

Paris, 6 août 1863.

SELON RENAN

I

J'ai lu quelque part une effroyable histoire. Un général très-habile au pistolet, devenu célèbre par l'étonnante sûreté de son tir, homme d'esprit, éloquent et pardessus tout grand duelliste, se prit un jour de querelle, je ne sais trop comment, avec un tout jeune homme charmant et bon, aimé de tous. Rendez-vous fut pris pour le lendemain. Le général, à qui le sort avait laissé le choix des armes, avait voulu le pistolet. Le jeune homme tira le

premier et manqua. Le vieux duelliste abaissa alors son arme: « Jeune homme, lui dit-il avec un accent paternel, vous avez à peine vingt ans; vous avez de la grâce, de l'esprit, du cœur, toutes les qualités qui peuvent faire présager le bonheur. La vie s'ouvre devant vous, sereine et souriante comme une matinée de printemps; votre cœur se repose dans mille espérances douces et sacrées. Vous voulez vivre, n'est-ce pas? vivre pour votre mère, dont vous êtes l'unique enfant? vous voulez vivre aussi pour une autre, car je sais que vous aimez. Eh bien! mon enfant, regardez ce beau ciel, songez à votre bonne et vieille mère, à votre fiancée. Oui, je le veux, ouvrez, ouvrez largement votre âme à toutes les promesses de félicité que vous fait la vie... >>

Le général parla ainsi quelques instants encore. Sa voix était émue : il semblait profondément attendri. Il fut superbe, éloquent, et jamais on n'ouït de

plus magnanimes paroles. Elles étaient faites, on le conçoit, pour toucher puissamment celui à qui elles s'adressaient. L'excellent jeune homme était remué jusques au fond de l'âme. Tout à coup, n'y tenant plus, il voulut s'élancer dans les bras d'un adversaire si généreux.

Attendez, Monsieur! dit le grand duelliste en relevant son arme à la hauteur de son œil, attendez car toutes ces espérances que je viens d'éveiller, cette vieille mère, cette bien-aimée, cette longue et souriante vie, il leur faut dire adieu pour jamais je n'ai pas encore tiré. Et maintenant je vais vous tuer.

Et d'un coup de pistolet ajusté froidement, il l'atteignit au front. L'infortuné tomba raide mort.

- Excellents pistolets! dit le duelliste.

Lorsque je lis les pages éloquentes qui se rencontrent çà et là dans les livres de

M. Renan, le souvenir de cette histoire me revient obstinément à la pensée. Ce beau style, où il se complaît, me rappelle le beau discours et la factice émotion du grand duelliste.

M. Renan parle avec un accent souvent remuant, avec un sentiment parfois exquis de la divine religion fondée par Notre-Seigneur, de ce Royaume du Ciel qui est le suprême espoir et la consolation de tous ceux qui souffrent ici-bas; il se plaît à nous répéter combien est splendide et touchant un semblable idéal, combien il répond aux besoins de l'âme humaine; il nous montre en Jésus le meilleur et le plus grand des êtres apparus jusqu'ici à la terre; puis, quand il est parvenu à émouvoir l'âme de ses lecteurs, à leur faire comprenare ce que peut-être ils n'avaient fait que pressentir d'une façon plus vague, il leur dit froidement: De telles espérances sont vaines. Cet homme n'était

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