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une palissade. Si ce n'étoit pour me jeter dans un des canaux, comme fit Saint-Preuil (1), ce seroit pour vous réjouir et pour me faire un très-grand plaisir. Ah! vous êtes donc fragile, madame; vous ne vouliez pas entendre mal parler de Satan parce qu'il est de vos amis, et vous me demandez aujourd'hui des vers contre lui et vous lui faites accroire que les injures n'offensent qu'en prose. Savez-vous bien ce que c'est, madame, et dont vous ne vous apercevez peut-être pas vous-même ? C'est que vous êtes à Bagnolet, que le diable n'y peut aller à cloche-pied, et que vous voulez divertir la princesse (2). Je le veux bien aussi. Voilà un rondeau ; si cela l'amuse, je ne l'en laisserai pas manquer.

Contre une infidèle.

Debout, muse, debout; viens encor me servir
A parler du sujet qui m'a tant fait souffrir,
Qui mérite si bien quelque rude épigramme.
C'est pour un seul rondeau qu'ici je te réclame,
Fais-moi dire comment Iris me pût trahir.

Elle me conjuroit de me bien souvenir
De la déshonorer, de la faire mourir,
Si je voyois jamais à l'ardeur de sa flamme
de bout.

Elle me protestoit lorsque j'allois partir,
Que si j'étois un peu trop long à revenir,

Je trouverois son corps privé de sa belle âme.

Mais tous les beaux discours de cette honnête dame,
Ce n'étoient que chansons, que contes à dormir
de bout.

(1) Voy. sur le fait auquel Bussy fait allusion, Mémoires, t. I, p. 93.

(2) Madame de Nemour,

504. La maréchale d'Humières à Bussy.

A Paris, ce 13 mai 1672.

L'on ne peut vous être plus obligée que je la suis des marques que vous me donnez de l'honneur de votre souvenir dans l'occasion présente. Sinos malheurs nous étoient particuliers ou arrivés par notre faute, j'aurois une douleur bien grande de nous voir éloignés de la cour; mais nous ne sommes pas les seuls accablés de cette disgrâce: ainsi, il faut espérer de la bonté du roi qu'il voudra bien considérer quels ont été les motifs de ces messieurs en cette rencontre. Notre plus grand déplaisir est d'avoir déplu à un aussi bon maître que le nôtre, à qui nous devons tout. Je souhaite qu'il connoisse quelle a été l'intention de M. le maréchal, qui n'a nulle ambition que de lui rendre de continuels services, et de sacrifier sa vie pour cela mille fois le jour s'il le falloit. En cas que les choses changent, je vous en donnerai avis et serai ravie de vous persuader qu'on ne peut vous honorer plus sincèrement que je fais.

505. - Bussy à madame de Scudéry.

A Chaseu, ce 15 mai 1672.

Vous êtes malade, et il y a longtemps que vous n'avez reçu de mes lettres. Ainsi, madame, c'est votre seule amitié qui vous a pressée de m'écrire. Il faut dire la vérité : je serois bien ingrat si je ne vous aimois pas; mais il faut aussi que vous confessiez que je n'ai pas attendu toutes vos bontés pour vous aimer, et que si vous ne m'aimiez pas vous seriez bien ingrate. Nous allons avoir de grandes

et de cruelles choses cette campagne. Parmi les spectateurs, les malheureux seront moins touchés que les autres, car, comme ils gardent toute leur pitié pour eux, les malheurs publics les trouveront insensibles, et ils seront bien généreux s'ils n'en ont même de la joie. Pourvu que Dieu conserve le roi, toute la maison royale et mes amis particuliers, j'abandonne volontiers le reste à sa colère. Si votre sexe, comme vous dites, a sujet de se plaindre des manières brutales du nôtre, la fortune vous vengera bien cette année : car, sans compter les filles héritières et les veuves de maris dont le nombre sera infini, il y aura bien aussi des veuves de galants qui n'auront qu'à ne pas laisser prendre les dessus aux nouveaux qu'elles choisiront. Il n'est pas possible que vous croyiez, quoique vous en fassiez semblant, que madame de Montglas ne me soit la plus indifférente personne du monde; mais j'ai remarqué qu'aussitôt qu'elle vous a vue et priée de m'adoucir sur son sujet, vous me mandez, afin de me faire taire, que ce que j'en dis vous persuade que j'en suis amoureux. Et moi, qui ne mords pas à l'hameçon, j'en fais encore pis.

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M. du Bouchet a écrit à M. le maréchal de Créqui, qui l'avoit prié de lui dire ses sentiments sur le refus que les maréchaux de Humières et de Bellefonds ont fait d'obéir à M. de Turenne. Je vous envoie la copie de cette lettre (1), monsieur; nous serons bien contents si vous l'approuvez : je le souhaite préférablement à toute autre approbation.

(1) Voy. cette pièce à l'Appendice.

Mon paquet sera assez gros sans faire ma lettre plus longue, outre que je ne sais point de nouvelles que les publiques, que vous savez assurément. Pour mon estime et mon amitié pour vous, monsieur, vous n'en doutez pas.

507.- Madame de Sévigné à Bussy.

A Paris, ce 16 mai 1672.

Il faudroit que je fusse bien changée pour ne pas entendre vos turlupinades et tous les beaux endroits de vos lettres. Vous savez bien, monsieur le comte, qu'autrefois nous avions le droit de nous entendre avant que d'avoir parlé. L'un de nous répondoit fort bien à ce que l'autre avoit envie de dire; et si nous n'eussions point voulu nous donner le plaisir de prononcer assez facilement des paroles, notre intelligence auroit quasi fait tous les frais de la conversation. Quand on s'est si bien entendu, on ne peut jamais devenir pesant. C'est une jolie chose à mon gré que d'entendre vite, cela fait voir une vivacité qui plaît et dont l'amour-propre sait un gré non pareil. M. de La Rochefoucauld dit vrai dans ses Maximes: Nous aimons mieux ceux qui nous entendent bien que ceux qui se font écouter. Nous devons nous aimer à la pareille, pour nous être toujours si bien entendus. Vous dites des merveilles sur l'affaire des maréchaux de France; je ne saurois entrer dans le procès, je suis toujours de l'avis de celui que j'entends le dernier. Les uns disent oui, les autres disent non, et moi je dis oui et non ; vous souvenez-vous que cela nous a fait rire à une comédie italienne? Je vous prie de parler toujours de moi à tous venants, et de ne pas perdre le temps de donner quelques petits traits de votre façon au panégyrique que vous fait de moi la marquise de Saint

Martin (1). Soyez alerte, et vous placez entre deux périodes avec autant d'habileté qu'elle a de facilité à parler.

Nous ne savons ici aucunes nouvelles. Le roi marche, on ne sait où. Les desseins de Sa Majesté sont cachés, comme il le souhaite. Un officier d'armée mandoit l'autre jour à un de ses amis qui est ici : « Je vous prie de me mander si nous allons assiéger Maestricht, ou si nous allons passer l'Issel. »

Je vous assure que cette campagne me fait peur. Ceux qui ne sont point à la guerre, par leur malheur plutôt que par leur volonté, ne me paroissent point malheureux. Une marque que le roi n'est pas fatigué de vos lettres, c'est qu'il les lit il ne se contraindroit pas. Adieu, comte ; je suis fort aise que vous aimiez mes lettres, c'est signe que vous ne me haïssez pas. Je vous laisse avec notre ami.

De Corlinelli.

J'ai bien dans la tête de refaire encore un voyage en Bourgogne, monsieur : je meurs d'envie de discourir de toutes sortes de choses avec vous; car ce que j'ai fait en passant a été trop précipité. Je n'ai pas laissé de bien profiter de la lecture de ces endroits que vous m'avez montrés. J'en ai l'esprit rempli; car personne à mon gré ne dit de si bonnes choses, ni si bien que vous. Vous savez que je ne suis point flatteur. Gardez toujours bien cette divine manière que vous avez au suprême degré, qui est celle

(1) La seigneurie de Saint-Martin-le-Châtelet, en Bresse, avait été érigée en marquisat, en 1584, par le duc de Savoie, en faveur de Françoise de la Baume, dame de Carnavalet et de son fils Antoine de la Baume, comte de Montrevel. La personne dont il est question dans la lettre de madame de Sévigné est Thérèse-Antoine de Thrasignies, mariée, en 1663, à Charles de la Baume, marquis de SaintMartin, qui passa au service de l'Espagne.

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