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AVANT-PROPOS.

Les études de linguistique et de philologie ont pris depuis quelques années un développement remarquable. La philosophie a rattaché la faculté des signes à celle des idées, la parole à la pensée; un parallèle entre les langues en a établi clairement la filiation; enfin la publication des monuments les plus anciens de notre littérature, restaurés par une laborieuse et intelligente érudition, a jeté un jour tout nouveau sur l'histoire de notre langue nationale.

Au milieu de ces progrès de la science générale, comment se fait-il que la théorie particulière de notre idiome soit demeurée stationnaire? Aux vives et bruyantes discussions des anciens grammairiens, pourquoi le plus profond silence a-t-il tout à coup succédé, et comment le public, dont la curiosité et la sympathie étaient autrefois si vives, en est-il venu à une indifférence presque générale? Il faut bien le dire la faute en est aux grammairiens.

Quand toutes les connaissances humaines ont trouvé leurs applications et constaté leurs progrès par la sûreté de leurs procédés, la

linguistique n'a rien su faire pour le langage usuel. Entre la grammaire philosophique et historique et ce qu'on appelle les Grammaires françaises, il est resté une lacune que nul n'a cherché à combler.

Et cependant les petits livres décorés du titre de Grammaires continuent de se multiplier avec une telle fécondité qu'aujourd'hui le moindre instituteur se fait gloire d'avoir publié son rudiment, et qu'il serait facile de faire une autre bibliothèque d'Alexandrie de ces innombrables traités élémentaires, serviles copies d'un premier modèle, aussi mal conçu que mal exécuté. Mais ces reproductions ne sont faites ni au profit ni dans l'intérêt de la science.

Quant aux ouvrages plus volumineux, et qui s'adressent au public lettré, ils se bornent eux-mêmes, pour la plupart, à répéter les variantes d'un thème commun, les opinions diverses sur quelque doublement de lettre controversé, sur quelque virgule litigieuse, et aucun ne résume le débat et ne donne une décision motivée qui tire d'embarras le malheureux lecteur.

Il y a tout autre chose à faire aujourd'hui; il ne faut plus de vagues généralités, mais des notions claires et précises; au lieu de discuter, à l'occasion des faits, il faut les expliquer, les démontrer et les établir; pour rendre l'étude de la langue française à la fois attrayante et profitable, il est nécessaire de rappeler notre grammaire à ses origines, de la rattacher d'une part à la grammaire générale et philosophique qui explique la cause et la raison de toutes les langues, et de l'autre à sa propre histoire, c'est-à-dire à toutes les grammaires particulières que l'on aurait pu établir aux différents âges de notre idiome.

Il ne suffit plus de commencer à Vaugelas pour s'arrêter à Lhomond. Depuis Palsgrave jusqu'à Charles Nodier et Ampère, depuis nos anciens chroniqueurs jusqu'à leurs derniers commentateurs, des faits aussi nombreux qu'importants ont été accumulés et peuvent

fournir à la grammaire une foule de rapprochements curieux, d'ingénieuses remarques et de déductions inattendues, propres à y jeter l'intérêt et la vie.

Des travaux monographiques nombreux et approfondis renferment tous les matériaux qu'il s'agit de mettre en œuvre. Il ne reste donc qu'à les coordonner.

Nous ne voulons pas dire qu'il faille refaire le lexique et la grammaire du moyen âge; non, car il serait impossible au philologue, nous ne dirons pas le plus érudit, mais au plus patient et au plus résolu, de parvenir jamais à dresser la nomenclature exacte et complète des nombreux paronymes de chacun des vocables qui, du treizième au seizième siècle, ont été successivement usités dans nos provinces.

Les différences orthographiques résultant de la variété des accents locaux sont tellement considérables, que si l'on voulait suivre les mots dans toutes leurs transformations, il faudrait nécessairement étendre l'étude de nos principaux dialectes à tous les patois qui en sont dérivés; or l'érudition la plus vaste et la patience la plus obstinée ne suffiraient pas à une pareille tâche.

Et puis, quel intérêt y aurait-il à l'entreprendre, et quel avantage à l'accomplir? Une semblable exhumation, curieuse pour celui-là seul qui l'aurait tentée, serait appréciée tout au plus de ces quelques érudits qui se font une loi de n'accorder leur estime qu'aux œuvres qui restent inaccessibles au plus grand nombre.

Ensuite, si de l'étude des éléments dont se composent nos dialectes nationaux, on essayait de passer à l'examen de leurs formes et de leurs constructions particulières, la difficulté de réunir des analogies et de grouper des séries de principes communs, ne serait pas moins grande, et l'on ne pourrait, à l'aide d'un nombre de faits suffisants, distribuer, enchaîner une suite de règles précises, coordonner un ensemble, établir enfin une syntaxe.

Ce n'est donc pas là ce que nous avons entrepris; nous avons tout simplement rapproché les formes et les constructions anciennes des formes et des constructions modernes qui en sont dérivées, de manière à bien établir la filiation et le lien de la langue moderne avec les dialectes dominants au quatorzième et au quinzième siècle. Nous avons cherché, en un mot, à intéresser l'esprit sans le fatiguer.

Le besoin d'ordre et de clarté nous faisait une loi de n'innover que dans les choses essentielles; nous n'avons donc rien changé à la distribution généralement adoptée, non plus qu'aux dénominations consacrées par l'usage. Après un traité de l'emploi des lettres et de l'orthographe, commence la Grammaire proprement dite, divisée en autant de parties qu'il y a d'espèces de mots, et présentant le résumé des principes généraux nécessaires à l'explication logique des faits; puis vient un aperçu historique des variations que ces faits ont subies avant d'arriver à l'usage actuel; enfin, après avoir exposé les règles aujourd'hui établies, et en avoir expliqué la raison, nous avons toujours eu soin de la démontrer au moyen d'exemples concluants et de discussions nettes et motivées.

Afin de ne point surcharger la partie historique de chaque chapitre, nous avons réservé pour une Introduction certaines grandes théories de grammaire philosophique et le tableau général de l'histoire de la langue.

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