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l'importance et formé dans l'Église une espèce d'ordre parallèle à celui des Apôtres. Il est absolument certain que ces frères-là seraient connus. Il est absolument certain que toute la tradition chrétienne n'eût pas pu affirmer que Jésus était fils unique de Marie.

Sachez-le bien, la tradition que vous traitez içi comme si elle n'était pas, la tradition est de toutes les preuves la plus forte. Elle est plus forte que vos raisons et que les nôtres, et que tous les textes écrits.

Votre ignorance des lois de la réalité peut seule vous donner la puérile audace d'affirmer seul contre la tradition, seul sans les textes et malgré les textes.

La tradition, beaucoup mieux que les textes écrits, est la résultante naturelle de l'ensemble des données réelles de l'histoire. Sauf accident, elle suit, comme l'eau, la ligne de plus grande pente des faits. De là la force considérable du quod ubique, quod semper. La tradition, ce n'est pas tel ou tel témoin, c'est l'immensité historique. Et que sera-ce s'il s'agit de la tradition chrétienne,

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la plus forte, la plus solennelle, la plus riche, la plus pure et la plus débattue qui fut jamais? Lutter contre cette immensité et contre le sens général de son mouvement, c'est lutter contre l'Océan.

Suivons donc ici, je vous prie, la lutte de ce particulier contre la tradition. Il veut, malgré la tradition, que Jésus-Christ ait eu des frères. Lui qui se borne d'ordinaire à l'assertion sans phrase, essaye ici, en quelque sorte, un espèce de raisonnement.

Je n'ai pas remarqué dans la Vie de Jésus d'autre essai de raisonnement ni de discussion scientifique. L'auteur annonce dans sa préface qu'il discutera peu. Certes, s'il n'a essayé que cette fois, c'est peu, on va le voir.

Voici comment il se débat.

La tradition affirme que Jésus n'a pas eu de frères. M. Renan oppose à cela le passage de saint Jean : « Ses frères ne croyaient pas en lui (Jean, vii, 5). » La tradition répond Ces frères sont, ou bien ceux des cousins qui ne furent pas apôtres, ou le gros

de la parenté de Jésus qui, en ce temps,

comme on le sait d'ailleurs, ne croyait pas en lui.

Quant à des frères nés du même sang, s'ils avaient existé et avaient eu de l'importance, comment se pourrait-il qu'il n'y eût aucune trace, ni de leurs noms ni de leurs gestes, ni dans les textes, ni dans les souvenirs traditionnels ?

Réponse: C'est que « leurs noms étaient » inconnus à tel point » que saint Matthieu et saint Marc ne les connaissaient pas, et qu'eux-mêmes sont « restés toujours obs

» curs. >>

Mais on demande précisément comment il est possible d'affirmer, dans la même page, que des hommes sont « restés >> toujours obscurs et leurs noms inconnus >> et que pourtant ils eurent de l'importance après la mort de Jésus-Christ, et même constituèrent « évidemment une espèce d'ordre >> parallèle à celui des Apôtres. >> Cela peut-il se concevoir ?

Point de réponse ici de la part de

M. Renan.

Voilà le premier effort de la lutte.

II.

Essayez, dit la tradition, de citer un seul texte de l'Évangile où il soit parlé de ses frères selon le sang.

Réponse Je soutiens que les textes, à peu près identiques, de Marc et de Matthieu, veulent parler de ses frères selon la nature « Ses, frères ne sont-ils pas Jacques » et Joseph, Simon et Jude? »

Mais quoi reprend la tradition, l'Évangile ne vous dit-il pas que ces frèreslà sont les fils de la sœur de Marie, femme de Cléophas? Ne dites-vous pas vous-même, parce qu'il le faut absolument, que ce sont les noms de ses cousins germains ?

Oui, ces quatre noms sont ceux de ses cousins germains.

Comment alors, dans cet endroit, s'agit-il de ses frères proprement dits?

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:

Le voici c'est que l'évangéliste s'est trompé, il a voulu parler des frères selon la nature, et il a nommé ses cousins.

Oui, ajoute le lutteur, voulant nommer

les frères, l'évangéliste a écrit le nom des cousins, parce que l'on ne connaissait pas le nom des frères (p. 25). « Leur nom était >> inconnu à tel point que, quand l'évangé>> liste met dans la bouche des gens de >> Nazareth l'énumération des frères selon » la nature, ce sont les noms des fils de >> Cléophas qui se présentent à lui tout >> d'abord. »

Le lecteur appréciera ce raisonnement. Mais reprenons. Vous soutenez donc que saint Matthieu, l'un des douze apôtres, a commis cette étrange erreur? Matthieu lui-même.

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Oui, saint

Mais saint Marc écrivant sous la dictée de Pierre, saint Marc, ce témoin oculaire, selon vous, qui, selon vous encore, peut être Pierre lui-même, a un texte identique où il donne les mêmes noms. (Marc, VII, 3.)

Il s'est aussi trompé. Ils se sont trompés tous les deux. « L'évangéliste (il fallait » dire les évangélistes, puisqu'il y en a >> deux), l'évangéliste, entendant appeler >> les quatre fils de Cléophas, frères du Sei»gneur, aura mis, par erreur, leurs noms à

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