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L'auteur a mis en œuvre les deux premières parties de la méthode, non la troisième. La seconde même laisse à désirer, car l'auteur parle de conjectures et de divination, selon la raison d'art, et il est vrai que la raison d'art, l'idée du beau, eût été, en pareille matière, un bon guide. Mais cette lumière du beau, cette raison d'art, n'ont pas été suivies. Nous le verrons.

Au fond donc, il n'y a pas ici de méthode. L'auteur dit ce qu'il veut; c'est là toute sa méthode. La volonté actuelle du penseur, non liée par ses volontés précédentes, voilà pour lui la règle du jugement. C'est ce que j'appelais l'assertionalisme absolu.

Cet auteur donc dit tout ce qu'il veut, soit. C'est la forme de sa méthode. Mais qu'est-ce qu'il veut dire? Quel est le fond de sa méthode? Où va donc cet esprit? Quelle est sa pente, sa marche réelle, sa logique effective, c'est-à-dire sa méthode agissante et réelle? Je crois le savoir. Cet esprit est dans l'état mental si bien décrit, mais si mal à propos loué par l'un des membres de cette école.

Oui, « un principe paraît s'être emparé avec force » de cet esprit, « c'est le prin» cipe en vertu duquel une assertion n'est >> pas plus vraie que l'assertion opposée..... >> Rien n'est plus pour nous vérité ni erreur. » Il faut inventer d'autres mots. Nous ne >> voyons plus partout que degrés et nuances; >> nous admettons jusqu'à l'identité des con>> traires..... Nous admettons tout, parce » que nous comprenons tout. Nous expli» quons tout, et l'esprit finit par approuver » tout ce qu'il explique >> Chacun à reconnu le portrait intellectuel. Oui, cet état mental infirme, fatigué, ramolli, cédant à tout, et vacillant de tout à tout, existe parmi nous. C'est bien évidemment celui qui a dicté ce livre. Voilà bien la méthode réelle, la logique effective de cette Vie de Jésus.

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Mais il n'y a pas seulement fatigue mentale et décomposition logique, il y a système et orgueil. Il y a l'entreprise avouée de transformer la métaphysique, la logique, et tout l'ensemble de l'esprit humain, dans le sens que nous avons dit ci-dessus, et d'établir

1 Voir les Sophistes et la Critique, liv. I, chap. II.

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FAUSSE IMAGE DE JÉSUS.

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qu'il n'y a, du moins quant à présent, ni Dieu, ni âme, ni vrai, ni faux, ni bien, mal. C'est à cette entreprise que M. Renan a cru pouvoir contribuer par la Vie de Jésus. Là il veut ou paraît vouloir établir l'identité du christianisme et du matérialisme, l'identité de l'athéisme et de la religion, celle du dédain et de l'adoration, et même, jusqu'à un certain point, l'identité de la divinité et de la non-divinité du Christ.

Que peut produire, et qu'à produit une pareille entreprise? Quel est le résultat, quelle est la conclusion du livre ? C'est ce que nous allons voir.

CHAPITRE IV.

LA DISJONCTION DES CARACTÈRES.

Que le lecteur veuille bien se rappeler les exemples de conclusions contraires, absolument incompatibles, que nous avons cités '.

Qu'on se rappelle cet écrivain qui, parlant de la sophistique allemande, déclare que c'est << une œuvre stérile et contradic>> toire et dans ses termes et dans son es» sence >>> et puis ajoute que «< cette œuvre

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1 Ceci fait allusion au livre premier de l'ouvrage (les Sophistes et la Critique), dont le présent volume est l'édition populaire; dans cette édition j'ai retranché, comme plus difficiles à lire, le premier et le troisième livre, qui traitent de l'erreur générale dont le livre de M. Renan est un cas particulier.

» renferme sous, l'enveloppe des mots, une » pensée vivante et éternelle, qui suffit à » la gloire d'un philosophe, d'un pays et » d'un siècle. »

Ces deux conclusions sont-elles compatibles?

Qu'on se rappelle encore l'autre écrivain qui, parlant de la philosophie alexandrine, affirme que cette doctrine « n'est point une >> simple juxtaposition, un rapprochement >> forcé de principes contraires, mais une vé>> ritable alliance, une fusion harmonieuse >> des doctrines » ; et qui, d'autre part, dans la même page, affirme que cette même doctrine «n'est pas une conciliation impartiale » de tous les éléments de la pensée, mais >> une transformation forcée et artificielle de >> toutes les doctrines. >>

Évidemment, quoique ces auteurs donnent ces conclusions dans les mêmes pages, comme formant un seul jugement, ce sont des jugements contraires, contradictoires, absolument irréductibles. Il faut choisir. Poser et empiler ainsi le oui et le non l'un sur l'autre, et soutenir leur identité, c'est

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